Sophie Meyer-Dreux : « devenir un lecteur implicite, ça s’apprend »… La preuve.
Mettant en musique les éléments énoncés dans les conférences du matin, Sophie Meyer-Dreux veut proposer aux participants de son atelier un travail concret sur la construction du « lecteur implicite », celui qui possède les stratégies qui permettent d’entrer dans tout la saveur des livres de jeunesse.
Elle propose donc une sélection de trois ouvrages issus d’un travail de formation qu’elle co-anime dans un arrondissement populaire de Paris, dans toutes les classes de la maternelle.
Elle propose donc à l’atelier d’entrer dans une démarche « d’enquêteurs » pour pouvoir analyser ce qui fait difficulté dans les livres. Pour chaque groupe, les pages mélangées d’un album dont le texte a été masqué, et qu’il va falloir reconstituer. Facile ? Dans tous les groupes, ça patauge ferme. Comment s’y retrouver ? Avons-nous toutes les pages ? Comment imaginer celles qui manquent ? Avec quels indices ? Il va falloir prendre le risque de se mettre d’accord, trouver un titre, d’autant plus que l’animatrice presse le timing. On commence à anticiper l’objectif de l’animatrice : « mais les enfants, qu’est-ce qu’ils comprennent de ça ? Et eux, comment font-ils ?
Un premier groupe rend compte de son travail, et découvre devant les autres les trésors d’inventitivé dont il a su faire preuve avec les images reçues. Chaque groupe s’y colle, successivement. Pafois, il a été bien difficile de se mettre d’accord, et les élucubrations des uns sont bien suspectes pour les autres…
L’animatrice se garde bien de donner la bonne réponse, pour l’instant. Elle questionne l’atelier sur la manière dont les groupes s’y sont pris pour trouver une solution. les réponses fusent de toutes parts : mettre en cohérence les illustrations, chercher les structures ou la logique interne, le genre du texte, s’appuyer sur la chronologie ou chercher un sens global, comprendre les références culturelles, les caractères présumés des personnages, en fonction de leurs expressions ou de leurs stéréotypes, identifier le personnage principal, les éléments déclencheurs, les détails qu’on n’avait pas vu avant, l’intuition d’une chute ou une morale…
Avec le recul, on prend conscience de zones d’interprétation, voire de trouble qui font douter de ce qui a été énoncé, parfois avec aplomb, quelques instants plus tôt. On prend conscience que des éléments peuvent manquer. On se rend compte qu’on a tissé un chemin à partir d’indices ténus, ou qu’on s’est accroché à un premier point de vue qu’on a voulu défendre devant le groupe… Ce qui est dans les têtes s’exprime enfin avec humour : « On n’est pas sûr d’avoir bon, mdame… »
L’animatrice appuie où ça fait mal : « vous vous rendez compte que même vous, experts, pouvez être en difficulté si vous n’avez pas tous les éléments, quand on vous pousse un peu… ». Elle insiste sur toutes les références qui ont du être manipulées dans les groupes. Bonnery et Boiron, les invités du matin, sont dans toutes les têtes.
C’est là que S. Meyer-Dreux sort son arme secrète : de nouvelles pages extraites de chaque album qui vont donner de nouveaux indices. L’angoisse est à son comble, mais la jubilation n’est pas loin. La surcharge cognitive gagne : pas facile de remettre en cause les hypothèses précédentes, patiemment construites dans chaque groupe.
Vingt minutes plus tard, elle peut en venir à ses fins : « vous avez vécu combien il est difficile de passer d’une compréhension « globale », « générale », approximative, à une investigation exigeante qui va progressivement apprendre à faire ce qu’il y a à faire pour comprendre, à faire de vous des lecteurs de l’implicite, des complices éclairés de l’auteur ». Pour aider ses élèves à y parvenir progressivement, l’enseignant doit savoir que pour eux, la difficulté est partout, minuscule et plurielle, invisible et implicite. Il doit savoir qu’il va donc devoir lutter avec toutes les difficultés des élèves à renoncer à leurs premières représentations. Il va devoir enseigner explicitement tout ce qui va aider à décoder, y compris en reprenant l’étude des textes « patrimoniaux » de la littérature, qui sont les référents de fond de tous les clins d’oeil des auteurs modernes. Tout un programme.