Par Françoise Solliec
Ni Xavier Darcos, ni Marcel Pochard ne pouvaient ignorer les réactions qui s’étaient fait connaître la semaine dernière à propos du livre vert sur la condition enseignante, disponible dans une pré-version sur différents sites, que la démission de Michel Rocard de la commission de travail a contribué à très largement médiatiser. Lors de la conférence de presse du 4 février, les deux hommes se sont attachés à balayer les procès d’intention, en insistant, pour l’un, sur la grande diversité des points de vue pris en compte dans un rapport qui veut ne formuler que des recommandations et, pour l’autre, sur l’aspect raisonnable d’une démarche de remise en cause d’un statut datant de 1950.
Président de la commission instituée pour aboutir « à l’élaboration d’un état des lieux argumenté », première étape « d’une redéfinition de la condition enseignante » par le gouvernement, Marcel Pochard a brièvement présenté le contenu d’un rapport de près de 270 pages résultant de l’audition de 27 personnalités et de 32 organisations, complétée par des visites d’établissement, des missions à l’étranger, des tables rondes, un forum et des sondages auprès d’un groupe test. En le remettant à Xavier Darcos, il a souhaité que ce livre vert soit reconnu comme une philosophie de la diversité, répondant à la diversité des besoins dans l’éducation nationale.
Par rapport à la version du 25 janvier, le document définitif, qui comprend près d’une quarantaine de pages de plus, a été retravaillé au cours de deux séances plénières de la commission, d’une part pour ne pas apparaître prescriptif, d’autre part pour équilibrer les constats et recommandations premier et second degré.
Ayant pris soin de rappeler les nombreux travaux menés sur le métier d’enseignant, depuis la commission Ribot de 1899 qui réclamait déjà « moins de bureaucratie, plus de liberté » pour les établissements, le livre vert reflète deux convictions de la commission, « la nécessité de renforcer la gestion des ressources humaines à l’éducation nationale » et « la nécessité de faire évoluer la régulation du système éducatif, de caractère encore essentiellement normatif et centralisé ». Il met également en avant plusieurs constatations, notamment « une grande fierté [chez les enseignants] d’exercer leur métier et un réel désir pour la plupart de continuer cet exercice » et « la multiplicité des facettes du métier d’enseignant, comme de la façon dont l’enseignant lui-même le conçoit ». Il tient enfin à signaler que « le débat public … voit très fréquemment l’Ecole mise en cause pour des raisons qui la dépassent largement » et que « le malaise de l’école tient donc pour partie, au-delà des facteurs qui lui sont internes et qui font l’objet exclusif de ce présent rapport, au statut du savoir et de la culture dans la société française ».
Dans la seconde partie du rapport, « quelles perspectives pour les enseignants ? », quatre problématiques ont été abordées.
La première porte sur l’autonomie et la responsabilité des équipes éducatives et des établissements. Les situations sont extrêmement diverses mais, globalement, il y a trop peu de marges de manœuvre sur le terrain, alors que de nombreuses études montrent l’importance de l’effet établissement (et pas seulement chef d’établissement), au-delà de l’effet maître. Cependant il est très difficile d’énoncer des recommandations à ce sujet, car les interlocuteurs tiennent souvent un discours ambigu. Il semble néanmoins souhaitable d’aller sur la voie d’une plus grande autonomie des établissements et des conseils pédagogiques, en augmentant les ressources en fonction de la difficulté du public accueilli et en liant cet accroissement des possibilités d’initiatives à la mise en place d’évaluations « fiables et transparentes », internes et externes.
Dans son organisation et sa conception, le métier d’enseignant est toujours régi par le décret de 1950, définissant le temps de service devant élèves. Mais pour l’enseignant du 21ème siècle, d’autres facettes sont importantes. Le livre vert soumet donc à la réflexion des décideurs une hypothèse de définition annuelle du temps de service, qui permettrait d’organiser dans la clarté les activités autres que le face à face pédagogique. Cette redéfinition devrait s’accompagner de compensations, mais le souhait des syndicats de voir le temps d’enseignement diminuer n’est sans doute pas compatible avec les contraintes budgétaires. Une autre hypothèse pourrait être de lister ces activités complémentaires, sans leur accoler d’obligations.
Le recrutement et la formation des enseignants ont été le sujet le plus débattu. Constatant qu’un professeur débutant n’est pas assez préparé à son entrée en classe, la commission s’interroge sur plusieurs scénarios d’évolution du concours. Elle suggère de favoriser la diversification des recrutements des jeunes enseignants, pour mieux prendre en compte la diversité sociale de la population française, et la diversification des modes de recrutement, en intégrant d’autres professionnels en cours de carrière.
Enfin, sur la problématique statut et carrière, « la commission juge absolument nécessaire de redéfinir les contours d’une fonction « Ressources Humaines » partagée entre l’enseignant et son institution » facilitant des trajectoires professionnelles plus diversifiées et une meilleure reconnaissance de l’engagement professionnel. Pour les nouveaux enseignants, elle recommande une amélioration des conditions matérielles, tant en termes de rémunération que de conditions d’exercice.
Pour Xavier Darcos, ce livre vert, qui porte sur des thématiques concernant 12 millions d’élèves et près d’1 million d’enseignants, intéresse la nation tout entière. Il regrette que, pour le grand public, plusieurs réflexions de la commission aient été dénaturées et estime déraisonnable qu’on ait prêté des intentions perverses à un rapport non encore publié, qui reprend nombre des constats énoncés par les syndicats. Il remercie les membres de la commission d’avoir travaillé avec beaucoup d’objectivité et d’avoir rassemblé tant de matériaux, en se préoccupant enfin de ce qui fait que l’école réussit.
Tout en rassurant les enseignants sur une démarche de réforme qui ne saurait se conduire sans eux, le ministre rappelle que la volonté d’engager la réflexion a été énoncée il y a un an, dans le cadre de la campagne de Nicolas Sarkozy, et qu’il serait tout à fait étonnant de penser que, dans une société où tout évolue très vite, on doive impérativement en rester à un décret vieux de 58 ans. Il est temps, sans polémique, de poser la question d’une redéfinition du métier d’enseignant, car les professeurs paient cher l’immobilisme, en termes de pouvoir d’achat, de reconnaissance sociale, d’avancement dans la carrière.
Après la phase de diagnostic, il s’agit maintenant de constituer le livre blanc qui portera les propositions du gouvernement. Son élaboration sera rapide, de 3 à 4 mois, et dans ce laps de temps tous les partenaires habituels seront conviés à s’exprimer. Cette phase de travail, Xavier Darcos souhaite que les organisations syndicales l’abordent sans idées préconçues, l’action devant être guidée par l’objectif commun de la réussite d’élèves qui vont être pour 15 à 20 ans dans le système éducatif et non par une réaction immédiate à tel ou tel gouvernement.
En conclusion, le ministre rappelle les réformes récemment mises en place, suppression de la carte scolaire, accompagnement éducatif, suppression des heures d’enseignement du samedi matin. Dans l’évolution de la condition enseignante, il aura comme préoccupations centrales d’augmenter substantiellement le pouvoir d’achat et la considération due aux enseignants. Compte tenu des interactions de plus en plus importantes de l’école et de la société, il se déclare confiant dans la capacité des représentants des personnels à dialoguer avec lui, même si les évolutions se font toujours dans les tensions quand on travaille sur de l’humain, comme c’est le cas des acteurs de l’école.