Stéphane Clerc est enseignant en français histoire géographie en lycée professionnel en Saône-et-Loire, mais pas uniquement. Une fois par semaine, il se rend au centre pénitentiaire de Varennes le Grand pour donner des cours de français. Un choix devenu une opportunité supplémentaire pour apporter un grand bol d’air à ses pratiques pédagogiques.
Un cadre de contraintes
Enseigner en prison est une expérience unique à part, parce qu’elle bouscule les idées reçues et aussi parce qu’elle favorise la créativité pédagogique. Les publics que Stéphane côtoie sont forcément différents de ses élèves du lycée. Adultes, les profils sont hétérogènes, par l’âge, les stagiaires ont entre 18 et 74 ans, le niveau scolaire et par les attentes. Les plus jeunes préparent un diplôme, CAP ou Bac Pro principalement. Les plus âgés viennent en cours pour maintenir leur niveau scolaire. Tous peuvent bénéficier d’une réduction de peine puisque la participation à une formation entre dans le système complexe de calcul de ces réductions par l’administration pénitentiaire.
La liste d’attente pour suivre les cours est importante. Un responsable local d’enseignement, personnel lui aussi de l’éducation nationale, rencontre les nouveaux arrivants pour définir leurs besoins en fonction de leur parcours et les inscrit sur la liste fréquemment mise à jour. Les sorties de prison, les transferts, entrainent un fort turn over dans le groupe des stagiaires, une autre particularité de la vie scolaire en milieu pénitentiaire. Lorsqu’un nouveau stagiaire intègre le groupe, Stéphane effectue un diagnostic pour proposer des activités adaptées. Dans la classe, composée de six à sept stagiaires, les ateliers sont diversifiés : orthographe, préparation du bac ou atelier d’écriture. L’enseignant prépare des séquences différentes.
Le déroulement du cours est perturbé par les aléas de la vie en prison : heures d’arrivées échelonnées en fonction des contraintes de circulation au sein du centre pénitentiaire, heures de départ avancées pour cause de rendez-vous médical, de visite de l’avocat. Mais dans la salle de classe, c’est la relation pédagogique qui prédomine, un air de liberté dans un cadre contraint. Stéphane démarre chaque cours par un échange informel. On prend des nouvelles des uns et des autres, les échanges sont empreints des difficultés d’une vie à l’ombre. Véritable sas entre deux univers, la discussion donne un caractère éminemment humain à un exercice qui pourrait demeurer uniquement pédagogique, professionnel. Il tutoie ses stagiaires qui le tutoient aussi, posture inconcevable avec ses élèves du lycée.
Un terreau d’innovations
Stéphane trouve dans son activité de prof en prison, une autre dimension de son métier, un petit plus que le contexte particulier, les faibles effectifs en cours et l’absence de notation favorisent : la possibilité de chercher, d’innover, d’expérimenter d’autres façons d’apprendre. D’autant que les stagiaires sont particulièrement réceptifs : la réalisation des activités est beaucoup plus rapide qu’avec ses élèves. Ce qu’il tente ici, il l’utilise également dans le cadre de ses cours en lycée professionnel lorsque l’activité s’y prête.
L’atelier d’écriture est conçu comme une passerelle entre les deux univers. Sur le blog « écrire et lire délivrent », Stéphane Clerc publie les articles de ses élèves de CAP en écho à des lectures. Les thèmes traités sont communs et le blog construit pour les productions des lycéens pourrait héberger aussi les textes des détenus d’autant que les thèmes traités sont communs. Tout est prévu pour cela. La lourdeur administrative freine hélas les initiatives. En prison, les textes doivent être relus avant d’être publiés, doublement relus même par le personnel de la prison et celui du niveau régional. Trois productions ont été déjà refusées, d’autres présentées à l’administration ne sont revenues qu’après quatre à cinq mois. Pas moins de six tampons doivent approuver le projet du blog avant qu’il puisse prendre l’air de la liberté ; un obstacle qui retarde d’autant la concrétisation de l’idée d’une mutualisation entre lycéens et détenus. Difficile aussi d’utiliser des DVD en cours, impossible de se connecter au Web, les contraintes pénitentiaires limitent le recours aux Tice.
Enfermés dehors, libres dedans
Le cadre de la prison s’impose aussi au chemin qu’il faut prendre pour arriver à la salle de cours. Pas moins de 9 portes s’ouvrent et se ferment au passage de Stéphane avant d’atteindre l’école. Sur le chemin, il rencontre peu de monde. Le centre pénitentiaire de Varennes le Grand est une prison moderne où les caméras et les serrures automatiques ont pris le relais des gros trousseaux de clés. A la fin du périple, un surveillant ouvre la salle et s’en va ; on entre là alors dans l’espace pédagogique, lieu où les détenus deviennent des stagiaires de la formation continue comme tant d’adultes au dehors. Supporter l’enfermement est indispensable pour être prof en prison.
Stéphane confie ne pas avoir peur dans un univers où pourtant la violence se devine voire se raconte lors des échanges de début de cours. En trois ans, il n’a connu qu’un seul incident à l’issue duquel le stagiaire a été exclu des cours. Les relations se tissent au fil des cours, flirtant avec l’empathie. Le constat s’impose : ce sont des personnes comme les autres et ce constat n’est pas le moins troublant. « En prison, on est plus qu’enseignant, on est là aussi pour amener de la douceur dans un monde de brutes », la dimension humaine parait décuplée par la froideur des barreaux. Elle est palpable à l’approche de Noël lorsque Stéphane, comme ses collègues, amène café et gâteaux pour rendre un peu plus chaleureuse cette période propice à la détresse.
Stéphane Clerc a fait le choix d’enseigner en prison et ne le regrette pas. Arrivé par hasard, sur les conseils d’une amie, il souhaite continuer mais ne pas le faire à plein temps, les contraintes administratives lui semblent bien trop fortes. Son expérience en prison lui a permis de conforter son projet d’enseigner en Segpa ou en classe relais. Après avoir réussi la formation d’enseignant spécialisé, en s’appuyant notamment sur une expérimentation pédagogique menée avec ses stagiaires détenus, il aimerait trouver un poste dans ce secteur. En attendant, prof de lycée professionnel, il poursuit ses incursions hebdomadaires en milieu pénitentiaire ne désespérant pas de voir un jour le pont entre ses élèves des deux rives de la légalité voir le jour numériquement.
Monique ROYER
Le blog « Ecrire et lire » délivrent