Professeure de psychologie, co auteure de l’étude sur le bien être des écoliers et collégiens, Agnès Florin revient sur les principaux résultats de cette première recherche pionnière. Pour elle, » il faut promouvoir l’école bienveillante ».
Pourquoi s’intéresser au bien être des élèves ?
C’est vrai que c’est une question qui rencontre des résistances en France, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. On sait que la qualité de la performance des élèves va de pair avec le bien être. Mais en France la recherche n’a commencé à travailler sur le bien être que depuis 5 ans et les politiques eux sont plus centrés sur les questions de performance. La question a quand même trouvé place dans la loi d’orientation qui promeut une éducation bienveillante. Nous avons construit un outil pour évaluer le sentiment de bien être dans les écoles et les collèges dans le cadre d’une recherche financée par la Depp, le Défenseur des droits et le Commissariat général à l’égalité des territoires. Cette étude se poursuit pour observer comment évolue ce sentiment.
Globalement les élèves français se sentent bien à l’école ?
On est dans des résultats proches de ceux des autres études. La majorité se sent bien. Mais quand on regarde les études internationales, on voit que la France est mal classée dans les comparaisons internationales. Elle est en queue de liste chez les 11 à 15 ans par exemple quand il s’agit de déclarer si on aime son école. 30% des élèves ont un point de vue négatif. Et quand on regarde les données en détail on voit qu’il y a des différences importantes dont ne rend pas compte l’indice global.
Les élèves disent avoir peur à l’école ?
Le point le plus négatif c’est qu’ils ont peur des évaluations. 66% ont peur d’avoir de mauvaises notes, 75% au collège. 68% des collégiens ont peur quand le professeur met un mot dans le carnet de liaison. 64% quand leur professeur parle avec leurs parents. Ils ont aussi peur de se tromper. C’est très important.
On observe une dégradation de l’école au collège ?
On sait que en grandissant les enfants deviennent plus critiques donc une dégradation est normale. Mais on voit que l’arrivée au collège génère des ruptures. Les élèves sont confrontés à l’orientation, aux évaluations disciplinaires , aux difficultés de communication à l’écrit et à l’oral, aux maths… Quand des difficultés n’ont pas été réglées à l’école primaire elles deviennent très pénalisantes au collège. Très probablement on peut dire que notre modèle d’enseignement pose problème. PY Bernard, qui a travaillé sur le décrochage montre d’ailleurs comment celui ci se construit au collège.
Les élèves déclarent avoir envie d’apprendre à 83% mais seulement 59% estiment que leur professeur les aide suffisamment. Ca doit nous interroger. On ne doit pas rester braqués sur notre modèle traditionnel d’enseignement. Ce modèle tient à des opinions et non à ce qu’on sait sur les modes d’enseignement, sur la réduction des inégalités à l’école.
Le sentiment de bien être est plus fort dans l’enseignement privé. A quoi cela tient-il ?
Une autre étude montre qu’il est aussi meilleur chez les enseignants. Est -ce lié au fait qu’il y a moins d’hétérogénéité chez les élèves ? Ou au fait que la dimension éducative est plus affirmée que dans le public où on met souvent, mais pas partout, plus en avant la transmission des savoirs ?
On sait que l’éducation doit intégrer l’épanouissement des élèves. Pas que pour des raisons éthiques ou humanistes. Mais pour mieux accompagner l’enfant et réduire les inégalités. Cela donne une meilleure efficacité au système éducatif et finalement est économiquement plus intéressant. Ce défi d’une éducation plus globale est relevé dans certains collèges publics. Il va de pair avec l’existence dans ces établissements d’une équipe éducative solide et stable.
La surprise de cette étude c’est que les filles se sentent moins bien à l’école que les garçons. Comment l’expliquer.
C’est un point à creuser. D’autant qu’on sait aussi que les enseignants ont une attitude plus positive avec les filles que les garçons. Il faut regarder les différentes dimensions. Chez elles ce sont surtout les points de sécurité qui posent problème et ça renvoie aux phénomènes de harcèlement. Et les filles sont plus matures donc globalement plus critiques que les garçons.
Pour vous c’est le moment de mettre en place l’école bienveillante ?
Il n’est pas facile d’en parler actuellement où l’opinion prime sur les arguments. Mais oui il faut promouvoir l’école bienveillante pour mettre fin au modèle de l’école du 19ème siècle et au gâchis qu’il produit. C’est un modèle qui a pour objectif de sélectionner pas de promouvoir et qui laisse de coté nombre d’enfants.
L’école bienveillante ce n’est pas l’école gentille. C’est une école qui veille sur l’enfant et son développement. Ca passe par l’acquisition de savoirs mais ne se limite pas aux connaissances disciplinaires. L’école bienveillante est une école qui promeut et qui ne dévalorise pas. Promouvoir des réussites partielles c’est encourager l’enfant. Apprendre est toujours difficile. Pour trouver le goût d’apprendre et de s’investir il faut des encouragements. Ce sont des processus psychologiques bien connus. Ca veut dire que le statut de l’erreur doit être revu dans notre enseignement. L’école bienveillante peut être exigeante mais elle veille sur tous.
Une mesure qui pourrait être prise rapidement ?
Qu’on laisse les établissements se soucier de ces questions et expérimenter en fonction des situations qu’ils rencontrent. C’est le travail collectif au niveau des équipes éducatives qui compte.
Propos recueillis par François Jarraud