Par François Jarraud
« L’examen du bac est à bout de souffle. Il ne certifie plus un niveau de connaissances. Si on continue comme cela on va dévaloriser le bac ». Alors que Luc Chatel avait tenu à prendre ses distances avec les détracteurs du bac en 2010 et 2011, il a opéré le 12 mars un revirement complet en dénonçant la qualité du diplôme. A 40 jours de l’élection présidentielle, le ministre publie un rapport qui dénonce la baisse de qualité du bac et propose sa refonte. C’est la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur qui est en jeu.
Un rapport critique sur le bac. Luc Chatel s’appuie sur un rapport d’une vingtaine de pages coordonné par l’inspecteur des finances Laurent Buchaillat et l’inspecteur général Stéphane Kesler, ancien directeur du services des examens (SIEC). Il faut rappeler que la RGPP s’est fixé comme objectif la réduction des coûts des examens, ce qui explique la présence des Finances. « L’amélioration continue de la réussite à l’examen, dans un contexte d’élargissement de l’accès au baccalauréat, suscite des doutes sur sa qualité certificative» affirment les rapporteurs. En clair, à leurs yeux, le fait que le nombre de bacheliers augmente signifie que le niveau baisse. Le rapport relève que le nombre de bacheliers a doublé depuis 1985 passant de 253 000 à 513 000. « Cela a entraîné la destruction de l’unité du diplôme » poursuivent les rapporteurs, avec la multiplication des bacs. C’est donc bien la montée des bacs professionnels depuis 1985, année de leur création qui semble leur poser problème. Ils dénoncent aussi la règle de compensation des résultats. « 5% des élèves de S auraient eu le bac avec des notes inférieures à 10 dans les disciplines principales », affirment-ils. En fait 219 lycéens ont eu le bac S avec une note inférieure à 10 dans les 3 disciplines scientifiques (pour 145 000 reçus). Enfin ils critiquent les épreuves de second groupe dont « la qualité certificative est incertaine ». Elles permettent à des candidats ayant atteint au moins 8 de moyenne de représenter certains épreuves.
Les propositions Chatel. Pour le ministre il faut « moins d’options, moins d’épreuves facultatives, des notes éliminatoires, plus de contrôle continu, plus de tronc commun ». Moins d’options et d’épreuves facultatives parce qu’elles sont accusées de rapporter des points. Le ministre veut par exemple réduire le nombre de langues présentées au bac. Des notes éliminatoires parce que ça permettrait aux yeux de Luc Chatel de remonter le niveau du bac. Et ça reprend l’annonce faite par Nicolas Sarkozy à Montpellier le 28 février. Les rapporteurs ont calculé qu’en utilisant des notes éliminatoires on pourrait éliminer 25% des bacheliers de L, 14% d’ES et 11% de S. Ce simple calcul est intéressant à observer… Plus de contrôle continu parce que ça permettrait, bien que Luc Chatel s’en défende, de diminuer le coût du bac. Justement les rapporteurs soulignent que celui-ci a augmenté de 45% en moyenne de 2008 à 2009 (73% pour le bac général, 29% pour le bac technologique). Pour Roland Hubert, co-secrétaire général du Snes, on a là une des motivations de cette réforme. « Supprimer des options permettra de faire des économies durant l’examen mais aussi toute l’année », note-t-il. Le Snes s’inquiète de l’appel au contrôle continu car il remet en question la dimension nationale de l’examen.
Le bac est-il donné à tout le monde ? Il faut rappeler que seulement deux jeunes sur trois passent le bac. Dans tous les pays de l’Union européenne, un document certifie la fin de l’enseignement secondaire. Selon les statistiques de l’Unesco, le taux brut de diplômés de fin du secondaire s’établit à 51% en France contre 92% en Finlande, 73% aux Etats-Unis, 74% en Italie. Le taux brut de diplômés du supérieur est à 38% en France contre 62% aux Etats-Unis, 74% en Finlande, 55% en Italie. La France fait partie des pays développés où l’accès au bac est moyennement élevé.
Que voudrait dire le remplacement des épreuves du bac par un recours accru au contrôle continu ? On sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires.
Pour Bruno Julliard, co-responsable de l’équipe éducation de François Hollande, la proposition de Luc Chatel relève du conservatisme bon teint. « C’est un discours rétrograde qui va de la défense des notes à l’orientation précoce en fin de 5ème. C’est le même ressort idéologique de remise en question de la démocratisation de l’accès au supérieur », nous a-t-il confié. Pour lui il sert aussi à éloigner des regards le bilan « désastreux » de N Sarkozy. B Julliard relève son étonnement de voir cette réforme arriver alors que la réforme du bac est en cours. « La question des notes éliminatoires va à rebours de ce qu’il faut faire. On a besoin de davantage de bacheliers pour avoir davantage de diplômés du supérieur ».
Ce qui semble défriser dans un fort taux de réussite au bac c’est quand même que certains qui n’y arrivaient pas y arrivent. Or on sait bien que statistiquement on a d’autant plus de chances de réussir le bac que l’on est issu d’un milieu favorisé. L’enjeu de la réforme du bac c’est la démocratisation de l’enseignement supérieur. Mais la sortie inattendue de ce rapport à quelques jours des élections semble davantage un artifice politicien surfant sur les valeurs de la droite extrême qu’une proposition sérieuse. Luc Chatel a promis de ne pas toucher au bac 2012. Au-delà l’avenir d’une partie des bacheliers serait compromis s’il n’y avait pas d’alternance politique.
François Jarraud
Le rapport
http://media.education.gouv.fr/file/2012/09/9/BAC-evolu[…]
Le bac est-il donné à tout le monde
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/20[…]
Luc Chatel annonce de nouvelles épreuves
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Page[…]
Des apports positifs dans le rapport pour le Se-Unsa
» Le SE-Unsa partage de nombreuses propositions du rapport » déclare le syndicat tout en condamnant l’introduction des notes éliminatoires au bac. » Mais le rapport fait bien d’autres propositions » rappelle le syndicat qui approuve par exemple » la nécessité de limiter le nombre d’épreuves écrites terminales à caractère national à quelques disciplines caractéristiques de la série ou la nécessité de diversifier les modalités d’évaluation pour prendre en compte des compétences plus diversifiées ». Ainsi le Se-Unsa est favorable à l’introduction d’une part plus importante d’évaluation continue. » La suppression des épreuves de « rattrapage » au profit de l’examen du livret scolaire est aussi une proposition intéressante car elle valorise l’ensemble du parcours du lycéen. » Le Se Unsa estime qu’elles permettraient de valoriser « des compétence essentielles pour le post bac ».
Communiqué se unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article4380
Les lycéens contre les propositions Chatel
« La proposition du ministre entraînera automatiquement une baisse du nombre de diplômés », note l’UNL, première organisation lycéenne. « Luc Chatel va toujours plus loin dans la mise en place d’un système élitiste ». Cette opinion est partagée par le Syndicat général des lycéens (SGL) qui « s’oppose catégoriquement aux mesures avancées par le ministre ».
Communiqué
http://unl-fr.org/communiques-orientation/les-lyceens-s-opposent-a-la-[…]
Nathalie Mons : Les propositions gouvernementales visent à déconstruire les cadres externes et nationaux de l’éducation
Nathalie Mons a analysé les politiques de certifications et leurs effets sur les acquis des élèves. Elle a aussi, pour la Commission Européenne, une analyse comparative de l’autonomie des établissements incluant les évaluations des élèves. Elle revient sur les mesures présentées par Luc Chatel sur le baccalauréat.
Luc Chatel a annoncé hier un ensemble de mesures visant à réformer le bac : notes éliminatoires, développement du contrôle continu, suppression des options… Qu’en pensez-vous ?
N. M. : Il me semble que, comme l’année dernière lorsque l’affaire des fuites au bac fut largement entretenue par les interventions du ministre lui-même, ces propositions de réforme visent un double objectif : délégitimer le baccalauréat pour imposer à terme un contrôle continu, dans le cadre d’une politique plus générale d’autonomie des établissements et de déconstruction des cadres nationaux de l’éducation et limiter les coûts d’un tel examen (en supprimant la certification qui repose sur un champ large de disciplines et d’options). A ces objectifs récurrents sous le quinquennat Sarkozy, cette année, s’ajoute également un objectif strictement électoraliste : le développement d’une proposition qui porte une coloration malthusianiste – il faut que moins d’élèves aient le bac – qui s’inscrit dans une perspective de droite populiste.
A l’étranger également de façon récurrente, les modalités de certification et d’évaluation – mettre ou non des notes par exemple dans le primaire – sont des enjeux électoraux portés par les gouvernements de droite, comme en Suède récemment, voire d’extrême droite, comme dans certains cantons suisses. Mais, en France, cette politique malthusianiste de limitation du nombre de diplômés du secondaire va à contre-courant de ce qui se fait dans les pays de l’OCDE et en Europe.
Pourquoi ?
On assiste dans ces deux ensembles de pays, qui se recoupe partiellement, à un développement important depuis 15 ans du nombre de jeunes diplômés du secondaire. Entre autres dans une perspective d’appui au développement économique, les pays ont le plus souvent conduit des politiques qui visent à développer la certification en fin de secondaire supérieur dans le but d’ouvrir les portes des universités. Ainsi, depuis 1995, le taux d’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires a augmenté de 8 points de pourcentage, en moyenne, dans les pays de l’OCDE (1). De même, entre 2000 et 2010, d’après les derniers chiffres d’Eurostat (2) , la proportion des jeunes de 20 à 24 ans qui ont finalisé le secondaire supérieur a progressé de deux points.
Tous les pays européens visent à limiter le nombre de non diplômés qui sortent de leur système éducatif et à accueillir davantage de jeunes à l’université. La mise en place de notes éliminatoires aurait pour effet de fermer les portes de l’université à certains jeunes qui ne décrochent pas leur bac puisque en France depuis Napoléon ce diplôme possède deux facettes : une certification de fin de secondaire supérieur et une autorisation d’accès à l’université, ce qui n’est pas le cas dans les pays qui distinguent ces deux fonctions et imposent à l’entrée de l’université des examens.
Comment se situe la France par rapport aux autres pays développés ? Donne-t-on son bac à tout le monde chez nous ?
Nous en sommes loin, et l’objectif de 80% d’une cohorte de bacheliers n’a jamais été atteint, voire même s’éloigne depuis une décennie. En 2010, en termes de diplomation à la fin du secondaire, nous sommes dans la moyenne des pays de l’Union européenne. Et nous sommes loin derrière un certain nombre de pays de l’OCDE dont le taux d’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires dépasse 90% comme la Finlande, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège ou l’Irlande.
Est-ce à dire que dans ces pays ces diplômés sont bradés ?
Non ces taux de diplômation fort élevés s’expliquent par le développement de programmes dits « de la seconde chance » ou de programmes du secondaire destinés aux adultes déjà entrés dans la vie active. En Finlande, en Norvège ou en Nouvelle-Zélande, par exemple, 10% des diplômés du second cycle de l’enseignement secondaire – l’équivalent de notre bac – ont plus de 25 ans.
Que pensez-vous d’un bac qui serait attribué sur la base d’un contrôle continu ?
Là encore c’est à contre-courant. Désormais la très grande majorité des pays développés ont adopté une certification qui repose sur un contrôle externe standardisé à la fin de l’enseignement secondaire. De fait on peut dire que notre bac français est devenu un standard international même si dans les autres pays cette certification peut prendre des formes variables.
Aujourd’hui par exemple, dans 80% des pays de l’Union européenne la certification en fin de secondaire supérieur repose sur un examen externe par opposition au contrôle continu qui est donc devenu marginal. Nombre de pays, dans lesquels les diplômes de fin de secondaire étaient délivrés par les établissements, sont passés à une certification externe. Je ferai ici un parallèle avec la proposition de l’actuel gouvernement de développer une évaluation interne des enseignants dominée par le chef d’établissement par opposition avec l’évaluation externe pratiquée par les corps d’inspection traditionnellement. Dans les deux cas – dans le cadre du bac en contrôle continu et de cette nouvelle évaluation dominée par un acteur interne, le chef d’établissement -, on voit bien que les propositions gouvernementales visent à déconstruire les cadres externes et nationaux de l’évaluation et à déléguer à des acteurs locaux des responsabilités qui sont importantes.
Vos recherches ont aussi porté sur les effets des différentes modalités de certification sur les acquis des élèves ?
Oui, ces recherches ont montré que les évaluations standardisées sont associées à des inégalités scolaires globales et d’origine sociale moins importantes que le contrôle continu réalisé par les établissements. Autrement dit, quand l’évaluation est externe et standardisée, les différences d’acquis scolaires entre les élèves sont plus limitées et l’école s’avère socialement moins reproductrice. On peut faire l’hypothèse qu’en imposant des cadres de certification nationaux et externes à la fois aux élèves et aux enseignants, dont les repères dépassent alors leur établissement, des exigences scolaires de même niveau s’imposent de façon uniforme à l’ensemble des élèves et limitent ainsi les inégalités inter-établissements et inter-individuelles. Ce serait donc une erreur de déconstruire le bac alors qu’à l’étranger de tels systèmes d’évaluation externes sont en cours de construction.
Nathalie Mons
Notes :
1 Voir la dernière publication de Regards sur l’Education de l’OCDE : http://www.oecd.org/dataoecd/39/16/48640049.pdf
2 http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/docu[…], les données sont présentées p. 171
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