Elisabeth BAUTIER : des classes bavardes ?
Oser parler de l’efficacité du système n’est pas tabou. Même si Elisabeth Bautier ne se reconnaît pas dans les injonctions de la LOLF, elle trouve légitime de se demander comment il se fait que malgré l’engagement des enseignants, la réussite de tous ne soit pas encore en vigueur. « On voit aujourd’hui beaucoup d’enseignants qui passent énormément de temps à chercher des documents, peut-être aux dépens de leur réflexion sur leur pratique, leur progressivité, leur insertion dans un enseignement programmé ». La salle écarquille les yeux.
Mais la conférencière poursuit le propos : « Aujourd’hui, dans les classes, à tout propos, la parole des élèves est sollicitée, les échanges valorisés. Quelle est la nature de ces échanges ? Quels indices renvoient-ils aux élèves sur ce qu’il faut faire pour apprendre ? On sollicite du langage pour « s’exprimer », mais aussi pour « construire les savoirs » à travers les échanges installés dans la classe. Mais cette sollicitation constante fait comme si chacun était à égalité pour participer, en connivence avec l’enseignant… même lorsque les ressources n’ont pas été construites à la maison ? ». La salle bruisse.
La chercheuse poursuit son fil, décidée. Pour elle, certains phénomènes « à la mode » doivent être interrogés : individualiser l’enseignement plutôt que « faire classe » ? Organiser des ateliers plutôt que travailler tous ensemble ? Pourtant, aucun texte ne demande de « faire des ateliers ». Est-ce parce que les enseignants pensent que c’est plus facile, plus efficace. Mais à quelle condition ? Que devient alors la place du collectif comme espace de communauté d’échange ? « Cela produit nécessairement des effets sur le langage produit, dans la classe, par l’enseignant et par les élèves ».
Le fond de la pensée d’Elisabeth Bautier s’affiche maintenant : « l’école est très ambiguë : on constate un accroissement d’une volonté des enseignants de créer, par exemple dans les ZEP, une « ambiance » plus détendue, plus ludique… Et du coup, le mode du « débat » devient une évidence, une « capacité », une « compétence ». Pourtant, toute notre société réclame au contraire d’aller dans le sens de la « littéracie », d’une manière d’utiliser le langage dans un rapport plus familier avec l’écrit, les documents. Mais apprend-on réellement à l’école ce que sont ces documents ? Peut-on apprendre à penser l’écrit à partir d’une langue orale, par définition dans le registre du quotidien ? »
Le sens, vous dis-je…
Pourtant, ceux qui s’intéressent à la construction des inégalités scolaires savent que les élèves ne mettent pas le même sens dans les activités : certaines pensent que «découper et coller » est la finalité de l’activité mise en place par la maîtresse, quand d’autres savent que ce n’est qu’un prétexte pour apprendre à reconstituer de l’écrit. « En ne levant pas les ambiguïtés, en n’osant pas expliciter, on n’aide pas les élèves à faire la différence ». Si on en reste, dans le quotidien de la classe, à utiliser « la langue du monde non-scolaire » au nom de l’irruption de l’extérieur dans le scolaire, on prend le risque de maintenir les ambiguïtés des discours : les catégories lexicales qui servent à catégoriser le savoir, pour l’apprendre ou le produire, ne sont pas celles de la vie quotidienne. « Je vois des enseignants changer de langage selon le groupe auquel ils s’adressent : « diagonale » pour les plus forts, « trait » pour les moyens et « tu traces de là à là » pour les plus faibles. Par ce comportement, on ne constitue pas l’univers scolaire comme permettant de construire les savoirs dans l’exigence scolaire ». Si on se contente de dire « qu’est-ce que mange le bébé dans le ventre de la maman ? », on court le risque d’installer une impossibilité à penser la situation, en induisant une erreur conceptuelle. Ou on installe dans la classe quelque chose qui va aider à penser, ou on les met en difficulté ». Pas étonnant que les maîtres se plaignent que les élèves ne sachent pas, si eux-mêmes on des difficultés à différencier « On l’a vu » de « on l’a appris »… Et du coup, avoir des difficultés pour vérifier que les savoirs utilisés ont bien été enseignés, systématiquement, et non simplement « passés en revue ».
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