Propos recueillis par Lucie Gillet
Passons de l’autre côté du miroir,….et pour l’artiste comment ça se passe? Anne Letuffe est auteure, illustratrice, elle a une douzaine d’albums à son actif. Sa spécificité est de travailler le papier déchiré pour réaliser ses illustrations, mais elle manie également la photo, d’autre part sa plume d’écrivain est aussi bien aiguisée puisqu’elle n’hésite pas à s’en saisir pour par exemple imaginer la suite du classique » Meunier tu dors » et nous conter ce qui déroule pendant que le moulin va trop vite… Au détour d’une de ses interventions dans le cadre de la manifestation » Lire en fête « , elle nous fait part de sa pratique d’intervenante dans des classes maternelles.
C.P. : Comment se déroule vos interventions ? Y a-t-il un minimum de choses à prévoir en amont ?
A.L: L’élément le plus important est de susciter l’attente chez les enfants, qu’ils soient curieux et aient envie de me rencontrer. Il n’est pas nécessaire d’avoir » disséquer » les albums en long, en large et en travers. Évidemment c’est préférable que l’enseignant leur en ait lu quelques uns, ce qui va éveiller chez eux des questions, mais ce n’est pas la peine d’en faire beaucoup plus en préalable.
C.P. : Susciter le désir, vous attendre avec impatience…et le jour J comment ça se passe?
A.L : La rencontre avec les enfants se passe en deux temps. D’abord il y a un moment d’échanges collectifs où je me présente en tant qu’illustratrice. Les jeunes enfants ont souvent une conscience très vague de ce que c’est que » faire un livre « , ils peuvent croire que je suis celle qui colle les pages…On choisit ensemble l’un des albums , je le lis avec eux . Comme j’apporte avec moi des illustrations originales, je leur montre et je leur fait comparer les volumes, les matières de celles-ci en regard de celles du livre.
J’ai aussi dans mon grand sac un exemplaire du livre avant qu’il ne soit relié, il se présente alors comme un grand tapis, j’essaie de leur faire prendre conscience que pour » fabriquer » l’objet livre il y a plusieurs étapes, l’écriture, les brouillons de dessins, les photos, puis la mise en scène pour ce qui concerne la création, puis toute la réalisation technique jusqu’au collage de la couverture.
Dans ces interventions, je ne privilégie pas le dessin, je ne veux pas que les enfants me perçoivent comme une experte, j’aimerai qu’ils retiennent de cette rencontre, le fait que c’est aussi à leur portée que de créer des illustrations. C’est un moment, où s’ils ont préparé des questions les enfants peuvent me les poser, en fait je leur présente mes petits secrets d’illustratrice, par exemple comme j’utilise beaucoup la photo, je leur montre les » vrais » objets que j’ai photographiés puis insérés dans mes illustrations.
Dans un second temps, je propose un atelier aux enfants. On se met d’accord sur un personnage à créer ou sur la trame d’une histoire à inventer. Là je peux être amenée à leur montrer comment on conçoit le » story-board » d’une histoire par exemple.
Si l’on choisit de créer un personnage, je leur montre comment s’approprier mes techniques, par exemple celle du papier déchiré.
C.P. : Et ensuite après votre départ, qu’est ce qui se passe?
A.L : Si la trame d’une histoire se dégage, il y a tout le travail d’illustration et de mise en textes de celle-ci, si nous nous sommes attachés à concevoir un personnage et que nous n’avons pas eu le temps de terminer, l’enseignant peut finir avec les enfants. Ensuite, selon les projets en cours, les envies des enfants, ce personnage peut devenir le héros d’aventures à inventer collectivement.
C.P. : Vous pouvez être amenée à revenir dans les classes?
A.L : Ce n’est pas ce qui est le plus courant, la plupart du temps, mon intervention est ponctuelle et initie un projet qui va suivre, mais selon les dispositifs, par exemple, si j’interviens dans le cadre d’une classe à PAC, on peut prévoir plusieurs interventions de ma part.
C.P. : Sur le long terme, que pensez-vous qu’il se passe chez les enfants que vous rencontrez?
A.L : Je n’ai pas de certitudes, et on ne peut jamais être sûrs de rien, mais j’ai eu quelques belles rencontres. Des enfants avec les yeux qui brillent comme des étoiles et complètement captivés lors de la rencontre, et à l’inverse des enfants qui ne montrent rien, dont on se dit qu’on est peut être passés à côté et puis qu’on retrouve quelques mois plus tard au détour d’un salon de littérature jeunesse, où ils ont littéralement traînés leurs parents pour me revoir.
C.P. : D’un point de vue pratique, on s’y prend comment pour entrer en contact avec les auteurs ? Est-ce que vous pouvez évoquer avec nous le rôle de la Charte?
A.L : Je ne suis pas spécialiste de la Charte, mais je peux dire qu’elle met à disposition, sur son site, son répertoire d’auteurs ainsi que leur fiche descriptive. La Charte fixe également un tarif journalier, ce qui clarifie les relations avec les commanditaires, et évite les abus. La Charte permet aux auteurs de ne pas être isolés, crée un lien entre tous et offre un espace de réflexion sur le livre jeunesse.