L’évaluation
comme critère, objet et outil de la transmission… Porté par des
membres du laboratoire ADEF, université d’Aix-Marseille, le symposium
brasse large… Tenter un fil rouge entre les contributions ?
L’évaluation, vue comme mesure d’une valeur et transmission de valeurs
éthiques, et transmission, vue comme une activité d’accompagnement
qu’il faut évaluer. Mais tout est-il transmissible ? Évaluable ? N’y
a-t-il pas dans toute situation et dans tout sujet une part de soi
professionnel indicible, une part de subjectif dans l’autre, qui est
justement intransmissible ? Paradoxe. L’intransmissible, ce
« reste » de toute chose, qui représente l’inconnu mais qui
nous meut et nous fait penser.
Isabel
Rivoallan définit l’attention
plus comme une posture constante que comme un comportement à mettre en
oeuvre à certains moments de l’apprentissage. « C’est faire attention à soi,
prendre soin de soi et être ouvert à l’autre et à son environnement. Ce
n’est pas qu’une compétence cognitive, parce que nous sommes des
personnes. », dit-elle. C’est peut-être l’essentiel de son
propos… Présente dès l’Antiquité, cette notion est aujourd’hui mise
en avant par différents courants du cognitivisme et des neuro-sciences
: méthodes comportementales pour modifier et auto-réguler le
comportement, « éducatives » avec La Garanderie ou programmes
informatisés pour entrainer la mémoire de travail. Selon
l’intervenante, les enseignants sont peu nombreux à faire ce travail,
déclarent souvent qu’ils n’ont pas été formés à l’enseigner, encore
moins à l’évaluer. « Faut-il attendre
que nos élèves soient attentifs pour les mettre en activité ?
L’attention est sans doute plus une appétence qu’une compétence ! »,
demande Richard Etienne, professeur en sciences de l’éducation à
l’université de Montpellier-LIRDEF et discutant du symposium.
Valérie
Guillemont se penche sur un métier émergent : « coach », un
professionnel qui intervient auprès d’autres professionnels en
situation individuelle. Profession non réglementée, diplômes peu
reconnus, savoirs transmis par des organismes aux déontologies
variables… « Cependant il
existe un référentiel de compétences, conçu tout à la fois comme un
cadre normatif pour délimiter une activité, une ligne d’horizon à
essayer d’atteindre ou un outil donnant matière à interprétation et
auto-évaluation. Le référentiel devient un outil formateur donnant lieu
à une reconnaissance d’un métier. Il est à la fois objet et outil de
transmission. », explique Valérie Guillemot. Richard
Etienne revient à la charge : «
Transmission et tradition… qu’est-ce qui autorise à transmettre
quelque chose qui n’ a pas de tradition ? Est-ce un système comparable à la
psychanalyse, où quand on a fait soi-même une analyse, on peut
s’instituer psychanalyste ? »
Béatrice
Perrenoud éclaire l’importance de transmettre à la fois des
valeurs professionnelles et des valeurs éthiques dans l’accompagnement
des stagiaires en formation aux soins infirmiers en Suisse romande. La
profession infirmière a du affronter une tension entre mieux-être
(guérir) et bien-être (apprendre à vivre avec), avec une histoire
liée fortement à l’humanisme religieux (les salles d’asile). La
professionnalisation veut développer un processus identitaire et une
appartenance à une communauté. « Dans
ce type de formation, l’accompagnant n’a pas à organiser des
procédures, des activités ou des savoirs, mais à réajuster les
objectifs et les moyens en fonction des échanges avec l’apprenant dans
des relations interpersonnelles. C’est un travail réflexif continu qui
se développe et qui relève de l’éthique, plus que de la déontologie ou
de l’organisationnel. », estime Perrenoud.
L’éthique de la relation est une mise en travail du désir, de la
responsabilité et du lien social. Il faut tout à la fois soutenir la
motivation, accepter la subjectivité, reconnaître la liberté de
l’apprenant pour que celui-ci s’émancipe, créer un lien entre
l’apprenant et la culture du métier.
« Dans une praxis de la relation, le formateur s’engage au niveau
éthique par l’intégration des enjeux liés à l’intersubjectivité
et à la reliance. » Les résultats de la recherche de
Perrenoud montrent ce double travail dans la réflexion éthique sur les
émotions, le désir, la subjectivité du stagiaire, du patient et la
propre subjectivité du formateur.
Richard Etienne fait des
rapprochements sémantiques : « Un
siècle de constructivisme a opposé transmission et construction et ici,
pour professionnaliser le métier, on transmet des connaissances et des
compétences ! La question de la reliance est importante, relier, mettre
ensemble… »
Michel
Vial s’intéresse à la manière dont un étudiant de master
« problémate » son mémoire. « Problématiser
est le contraire de résoudre un problème. On pose un problème, on le
construit pour soi, en revisitant le soi professionnel. On ne donne pas
de solution mais on fait des avancées, le problème n’est pas éradiqué,
on l’a rendu intelligible. ». Vial précise que le rapport
au savoir de l’étudiant est alors déterminant. Considérer le problème
comme un obstacle renvoie à la « problémation », c’est-à-dire
à la résolution de problèmes : « Pour
qu’il y ait problématisation, il faut s’y reconnaître. Cela relève du
narcissisme et du « frayage ». On élucide le problème,
on ne l’éclaire pas. L’accompagné ne fait pas de la résistance, il met
plutôt en place des défenses.
Les
compétences du directeur de mémoire sont particulières : accompagner
n’est pas guider, ni conseiller. C’est créer un espace de confiance, ne
pas laisser faire, savoir quoi faire de l’affect qui vient perturber,
aire la différence entre questionner (on ne connait pas la réponse) et
interroger (on attend la bonne réponse)… Vial ajoute
qu’accompagnement n’est pas transmission parce que le savoir du
formateur ne pourra pas être utilisé par le formé. Le formateur ne peut
pas savoir ce qui est utile à l’autre, il doit inventer au fur et à
mesure. Nn pas apporter mais stimuler…
Richard Etienne apporte son point de vue : « Plutôt que de former des
praticiens réflexifs, je préfère dire qu’il faut former des praticiens
capables de se situer dans leur réflexion, et de définir ce qui est
important, essentiel. Dans la formation, c’est l’herméneutique
(l’interprétation des signes) qui nous conduit. »…
Muriel
Briançon manipule le méta-paradoxe : transmettre
l’intransmissible, est-possible ? Elle commence par jouer sur les mots
« transmettre ou trans-maitre », aller au-delà du maitre ? La
transmission, pour elle, est au coeur de l’acte éducatif et c’est un
enjeu professionnel majeur mais tout n’est pas transmissible, il y a le
« reste » de la transmission. Elle s’appuie sur la
pensée d’Emmanuel Lévinas et sur ce qu’elle appelle de façon
volontairement provocante la PPP (Pédagogie par paradoxes), en souvenir
de la PPO (Pédagogie par objectifs). « Le
paradoxe est une affirmation inattendue qui contredit les idées reçues,
c’est le contraire de la doxa qui est ce qu’on attend. ».
C’est bien connu : tous les Crétois sont menteurs, je suis Crétois,
est-ce que je mens quand je dis cela ?
Les paradoxes sont nombreux en éducation, qui reflètent la complexité
contradictoire inhérente à la réalité : autonomie, éducabilité,
transmission (entre obligation d’enseigner et liberté d’apprendre ?),
etc…
Elle explique comment elle le met en oeuvre avec ses étudiants. « En 3 étapes : on commence par
expliciter cette idée du méta-paradoxe, qui va mettre en route une
posture de questionnement de la part du formé. Il va être étonné et
n’attendra plus de recettes ou de réponses toutes faites. On met le
paradoxe en situation en dans le but de développer des compétences
métacognitives et expérientielles. On travaille sur la notion
d’altérité pour encourager une prise de distance. »
Après cette petite leçon de
philosophie, le couperet de Richard
Etienne tombe. La formation, ce serait repartir avec plus de
questions qu’on est arrivé ? Il titille : « Tout n’est pas paradoxe, sinon on peut
dire tout et son contraire. Il faut repérer les injonctions paradoxales
et les injonctions contradictoires, les apories qui ne sont pas
solubles dans un raisonnement. Et ne pas jeter trop vite la maïeutique
de Socrate avec l’eau du bain lévinassien… »
Ce sera le mot de la fin, il était temps, la tête est pleine…