Après avoir fait fuiter dans la presse le protocole sanitaire pour la réouverture des écoles, le ministre a décidé de le publier ce week-end. L’État se devait de poser ce cadre national, nous le réclamions depuis plusieurs jours, relayant l’une des principales revendications des maires et plus généralement de la communauté éducative.
Le document comporte des précisions importantes sur le plan sanitaire et édicte des règles incontournables pour la réouverture des écoles. Il reprend très largement la dernière note du conseil scientifique après que celui-ci eut été contraint de prendre acte de la décision du Président de la République de rouvrir les écoles le 11 mai, alors que les scientifiques préconisaient de maintenir les établissements scolaires fermés jusqu’en septembre, comme d’ailleurs d’autres autorités (l’Inserm, l’Académie de médecine,…).
L’application de ce protocole ne sera toutefois pas évidente partout. De nombreuses communes seront en capacité de rouvrir leurs écoles dès le 11 mai. Tant mieux. D’autres devront différer la reprise de quelques jours, de l’échelonner, voire de l’adapter. D’autres encore seront dans l’incapacité de répondre à ces exigences en raison du bâti ancien des locaux scolaires. Il leur faudra probablement déterminer des priorités, en termes de niveaux et d’élèves accueillis.
Ailleurs, des élus nous expliquent à juste titre que la mise en œuvre du protocole n’est pas sans leur poser problème s’agissant par exemple de la désinfection des locaux plusieurs fois par jour, de l’organisation de la cantine, du passage aux toilettes ou des récréations, autant d’activités qui nécessitent la présence d’un personnel dont toutes les collectivités ne disposent pas.
Dans tous les cas, nombre de maires craignent de voir leur responsabilité pénale engagée en cas de problème. C’est pourquoi , à l’occasion du projet de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, il s’avère indispensable d’améliorer leur protection juridique.
Plus généralement, l’application de ces règles impose de mener un travail en étroite coordination avec les maires. Il ne doit toutefois pas s’agir pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités. Il convient en toute urgence d’installer un dialogue constant avec les élus et de faire confiance à leur expérience. Mais il revient également au gouvernement de ne pas organiser un système qui sous prétexte de « différenciations » reviendrait à creuser les inégalités territoriales.
Plus généralement, la réouverture des écoles après un confinement est trop inédite pour se décider uniquement depuis la rue de Grenelle. Comment peut-on se prévaloir, seul, « d’inventer un nouveau système » comme l’a tout récemment affirmé le ministre Blanquer dans une interview à un quotidien national ? Il est plus que jamais nécessaire de privilégier la concertation, en particulier avec les enseignants.
Car la reprise des cours ne se fera ni sans, ni contre les enseignants. A ce jour pourtant, nombre d’eux sont inquiets, et parfois même en colère, de ne pas obtenir de réponses à leurs questions concrètes : l’État est-il en mesure de fournir des masques à tous les personnels qu’il emploie ainsi qu’aux élèves ? Une quantité suffisante de gel hydroalcoolique sera-t-elle livrée dans les établissements ? Comment faire classe en respectant le protocole avec quinze élèves et enseignant dans 50m2 ? Comment seront choisis ces élèves ?… A force de questions laissées sans réponses, d’annonces d’un jour contredites le lendemain, de commandes contradictoires, le ministre sème la confusion et n’installe pas le climat de confiance nécessaire à une reprise réussie et sereine. C’est pourquoi il appartient au ministre de l’Education de trouver les voies d’un véritable dialogue durable avec l’ensemble des acteurs éducatifs – enseignants, agents des collectivités locales, intervenants associatifs et animateurs des temps périscolaires, AESH, parents…
Le ministre a dû se résoudre à organiser la reprise des cours sur la base du volontariat des parents. Une solution en forme de pis-aller qui vise uniquement à palier la précipitation et l’impréparation du plan de déconfinement scolaire. Quand le ministre défend le choix d’un « enseignement uniquement à domicile », il introduit de fait une profonde injustice parmi les parents, entre ceux qui pourront faire ce choix, et ceux qui ne le pourront pas. S’il s’agissait d’une orientation de fond de la politique éducative ministérielle, nous serions alors face à une forme de tri social des élèves contraire aux principes de l’école républicaine.
Nous avons très tôt alerté le président de la République sur les inégalités scolaires qui se creusaient avec le confinement ; nous insistons aujourd’hui pour qu’elles ne perdurent pas à la reprise des cours. C’est pourquoi une attention toute particulière doit être portée aux élèves les plus fragiles scolairement ainsi qu’aux familles les plus éloignées de l’école . Un dispositif d’accompagnement personnalisé pour consolider, revoir et étayer les acquis de ces élèves pourrait être mis en place durant l’été afin d’atténuer les effets d’une rupture de plusieurs mois.
La situation des AESH, et plus généralement la scolarité des enfants en situation de handicap doit être prise en considération. A ce titre, s’agissant de la situation des parents dont les enfants souffrent de maladies chroniques – et qui malheureusement ne pourront pas retourner à l’école – il apparaît indispensable qu’ils bénéficient du chômage partiel au-delà du 1er juin.
Les heures d’enseignements perdues ne pourront pas être rattrapées en quelques semaines. Aussi conviendrait-il que le ministre mette en place un groupe de travail chargé de réfléchir à la manière de construire l’année scolaire 2020-2021 – et notamment le premier trimestre – en tenant compte des lacunes dans les apprentissages des élèves depuis mars 2020 : Quelle adaptation des programmes ? Quelles évaluations ? Quelles modalités de remédiations ?
Dans ce contexte particulier, nous ne pouvons passer sous silence la question du maintien des épreuves orales anticipées du baccalauréat de français en classe de première. En l’état, cela ne paraît pas possible. Elles posent dès à présent des questions de préparation et donc d’égalité entre les lycéens mais aussi d’ordre sanitaire. C’est pourquoi la demande de l’intersyndicale d’annuler cette épreuve est placée sous le signe du bon sens et de la cohérence avec la situation actuelle.
Reste qu’au fond, au-delà des considérations pratiques qui , comme on le voit, sont loin d’être mineures, des questions demeurent en suspens qui alimentent le trouble des enseignants comme des parents : pourquoi reprend-t-on l’école le 11 mai ? Personne, même pas le ministre, ne devrait être tenu par le pari lancé par le Président de la République. Pourquoi les écoles, qui ont été les premières à fermer, avant même le confinement général, devraient-être les premières à rouvrir ? Pourquoi resteront-elles fermées en Italie et pas en France ? Pourquoi les élèves de primaire rentrent-ils d’abord, les collégiens et surtout les lycéens plus tard ? Ce malaise est accentué par l’impression que les précautions qui prévalent dans la société ne s’appliquent pas à l’école où l’on autorise jusqu’à quinze élèves et un enseignant par classe alors que les rassemblements ne devront pas compter plus de dix personnes.
En réalité, le ministre Blanquer n’a jamais levé la suspicion que cette réouverture est d’abord commandée par des impératifs de reprise économique. Si tel est le cas, il conviendrait politiquement de l’assumer pleinement plutôt que de s’abriter derrière de pseudo considérations sociales.
Nous avons toutes et tous à cœur de revoir les enfants de France reprendre le chemin de l’école. Mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelles conditions. Nous souhaitons une reprise qui garantisse la sécurité sanitaire de tous, adaptée, sereine et juste.
A ce jour, trop d’inconnues demeurent que seul le dialogue permettra de lever pour réussir ensemble la reprise des cours. Encore faudrait-il que le ministre y consente.
Il y a urgence.
Yannick Trigance, Conseiller régional Ile de France
Olivier Faure