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Par Jeanne-Claire Fumet Les inédits d’Alain, proposés par E. Blondel dans ce récent recueil publié chez Aubier, ressuscitent l’auteur des Propos sous un jour familier autant qu’inattendu ; on retrouve le ton ironique et le goût des formules frappantes du maître pédagogue, mais parfois comme en négligé d’intérieur. Non que la fermeté de ton, voire le dogmatisme revendiqué fasse défaut (« je ne change jamais pour une objection, même d’apparence, ce qui a été jeté un peu d’inspiration. Il le faut bien. Car alors je tomberais dans un abîme d’objections que je me ferais »), mais parce que les soucis communs, les tracas administratifs, les rivalités intellectuelles s’y font jour comme les propos de table d’un grand homme en sa cuisine. Les « Souvenirs sans égards », qui forment la première partie du volume, évoquent d’abord les figures intellectuelles qui ont entouré le professeur Chartier et les relations tendues qu’il a entretenu avec ses pairs. Féru d’enseignement populaire, mais échaudé par la « difficulté d’instruire le peuple », défenseur de doctrines pédagogiques fondées sur la pratique, favorablement entendues par l’institution (en particulier par le ministre Anatole de Monzie, auteur d’instructions toujours en vigueur sur l’enseignement de la philosophie) mais étranger aux intrigues qui font réussir, Alain brosse de sa carrière institutionnelle un tableau amer ; mais les désaccords et les échecs sont chaque fois l’occasion d’un approfondissement philosophique impromptu. L’opuscule se poursuit par une réflexion sur les engagements politiques d’Alain, tout habités de l’exigeante idée de Liberté et d’un insolent irrespect du pouvoir : une République qui soit juste demande aux hommes de reconnaître leur semblable pour homme. Or, dans un mouvement de pensée élégamment platonicien, Alain soutient que la seule « fraternité qui compte » est celle qui interdit d’épargner à l’ignorant les démonstrations difficiles, comme celles de la géométrie qui font « voir » ce qui est vrai et juste – où l’on retrouve le primat de l’éducation comme un devoir ingrat mais nécessaire envers un public qui n’en veut pas. L’idéal politique d’Alain est voué au noble échec. Une réflexion critique sur le marxisme vient parachever l’opuscule de 1947. L’idée d’un déterminisme matérialiste apparaît à Alain comme une idée de spécialiste de l’industrie mécanique, pas de vrai politique. Question d’étroitesse de vue : bien sûr, les processus mécaniques de l’économie exercent une influence profonde sur les affaires humaines mais pourquoi en conclure que le « mécanisme est plus fort que l’homme » ? De cette erreur d’appréciation résulte une doctrine paralysante qui nous fait oublier l’axiome de Comte : « plus un système est complexe, plus il est modifiable. » Deux petits traités (de l’outil et de l’astronomie) conçus pour la formation des instituteurs, qu’Alain voulait simple et exacte dans le moindre détail (la connaissance du détail emporte tout, souligne-t-il) complètent l’ouvrage, ainsi qu’un vif chapitre sur l’esprit laïque comme refus par l’esprit d’abdiquer devant lui-même, et une série de portraits-souvenirs délicatement vitriolés de ses contemporains. A la lecture, cette somme inégale où surgissent des instants jubilatoires d’intelligence et de drôlerie, de profondeur et de clarté, ravive l’envie de retrouver l’auteur des Propos, comme un vieil ami qu’on se reproche d’avoir un temps négligé. Alain, Souvenirs sans égards, suivi de Traité des outils et 10 leçons d’astronomie. Présentation et notes d’Emmanuel Blondel . Aubier Philosophie, Août 2010 – 340p. 22€ |
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