Entretien avec Nathalie Mons
Maître de conférences à Grenoble-II, chercheur associé à l’OSC-Sciences Po, spécialiste des comparaisons internationales des politiques éducatives, Nathalie Mons est bien placée pour évaluer ce que doit être le bon degré de décentralisation dans un système éducatif.
On parle en ce moment de revoir les compétences des collectivités locales. En France elles semblent assez confuses entre Etat et collectivités locales en matière d’éducation. La France est-elle le seul pays à associer ainsi 4 niveaux administratifs pour gérer l’Ecole ?
Non, en éducation, le cas d’un croisement des attributions de différents acteurs sur une même compétence est au contraire la configuration la plus fréquente dans les pays de l’OCDE. Cette situation s’explique historiquement par la dévolution souvent progressive d’attributions vers les acteurs locaux, que ce soient les collectivités locales ou les établissements. Il n’est donc pas rare de voir sur un même champ de compétence cohabiter une régulation nationale qui définit les grandes lignes à suivre, la réglementation d’une collectivité locale et un champ de liberté attribué aux établissements. C’est particulièrement le cas par exemple en matière d’autonomie pédagogique. Ainsi, dans plusieurs pays scandinaves, le centre définit des guidelines très généraux sur les contenus à enseigner par cycle scolaire, la collectivité en charge de l’établissement peut ajouter des heures ou des matières à enseigner, l’établissement définit dans le détail ce que l’on appelle des syllabi locaux (quels contenus sont enseignés telle année).
A priori ces organisations ne sont pas dysfonctionnantes si les attributions de chacun sont bien définies, ce qui n’est pas toujours le cas en France. Il suffit par exemple d’observer les difficultés sur l’intervention dans les TICE.
Certains pays ont fait le choix de décentraliser l’éducation. Est-ce une solution efficace ?
Il existe aujourd’hui une rhétorique dominante qui consiste à faire du transfert au local la solution magique à tous les maux. Faute de légitimité politique forte et face aux résistances des acteurs nationaux que l’on ne parvient plus à enrôler dans les réformes, la tentation est grande sur les sujets épineux de transférer le problème au local, en France l’administration déconcentrée mais aussi depuis peu les établissements comme nous le voyons dans la réforme du lycée et aussi certainement demain les collectivités locales. Notre modèle néo-corporatiste de co-gestion Etat-syndicats montrant ses limites, il peut y avoir une volonté d’affaiblir le centre (les directions du ministère, les représentations nationales des syndicats) et de confier davantage la direction du paquebot à des capitaines locaux censés mieux navigués à vue car plus proches du terrain.
Les études empiriques malheureusement ne font pas consensus sur les bénéfices attendus de la gestion par les acteurs locaux. En particulier, les grandes expériences de décentralisation politique, c’est-à-dire de transfert de compétences vers les collectivités locales, avec un centre fortement affaibli – montre que malheureusement cette croyance dans une efficacité supérieure de la gestion locale sur celle du centre n’est pas avérée. Les grandes réformes de ce type, surtout pratiquées dans les pays émergents pour des raisons très souvent de contraintes budgétaires ont été des échecs. Les analyses empiriques montrent également que les grands modèles éducatifs fédéraux, qui permettent une quasi-autonomie des collectivités locales sont associés à des niveaux d’efficacité des élèves faibles et à des inégalités scolaires importantes.
Cela ne signifie pas qu’il faille demeurer dans le statu quo. En fait, il faut savoir trouver un équilibre subtil entre des compétences qui restent au centre et certaines dévolutions des pouvoirs aux acteurs locaux. Bref, de façon générale, on ne peut affirmer que l’autonomie scolaire ou la décentralisation politique sont des réponses efficaces aux difficultés rencontrées aujourd’hui, l’analyse doit être plus fine : vers quels acteurs locaux les compétences doivent-elles transférer et quelles compétences ?
Alors vers quels acteurs doit on transférer de nouveaux pouvoirs pour améliorer l’efficacité de l’Ecole ?
L’autonomie scolaire, c’est-à-dire le transfert vers les établissements scolaires apparait associée à des indicateurs d’efficacité plus élevés que la décentralisation politique (vers les collectivités locales). Ces dernières affrontent en effet dans de nombreux contextes nationaux des problèmes de compétences sur le champ de l’éducation. Pour autant, leur participation au processus de décision n’est pas à négliger s’il est encadré fermement par des guides nationaux. On voit d’ailleurs dans tous les pays historiquement fédéraux se développer des nouveaux mécanismes de régulation nationale qui encadrent l’action des collectivités locales; C’est le cas notamment en Suisse, en Allemagne, aux Etats-Unis, à travers le développement de nouveaux standards et la mise en place d’évaluations standardisées. L’autonomie scolaire apparait moins controversée même s’il y a actuellement des interrogations sur l’autonomie pédagogique.
Alors quelles compétences faut-il transférer aux établissements scolaires ?
Il n’y a pas de convergence des études empiriques montrant que l’autonomie dans les domaines budgétaires, administratifs ou en termes de gestion des ressources humaines serait associée à des indicateurs d’efficacité élevés. Des pays comme l’Angleterre qui étaient allés loin dans cette direction, sont aujourd’hui en train d’embaucher des assistants pour aider les chefs d’établissement et les enseignants à faire face à la surcharge de travail causée par les nouvelles tâches administratives ou budgétaires.
Quel doit être le rôle de l’Etat ?
Le rôle de l’État reste primordial quand une réforme décentralisatrice est mise en œuvre. Le gouvernement central doit principalement conserver ses fonctions en matière de conception et de contrôle du système éducatif. En particulier, ses interventions sont importantes dans la définition des objectifs pédagogiques, la conduite de l’évaluation des élèves, des enseignants et des écoles et le financement du système. De façon générale, ce sont les systèmes les plus centralisés, en termes de conception pédagogique, gestion du personnel et évaluations, qui sont associées aux inégalités scolaires les plus faibles.
Ceci explique d’ailleurs que certains pays qui étaient allés loin dans l’autonomie pédagogique sans revenir au schéma antérieur bien sûr sont aujourd’hui en train d’encadrer de nouveau plus fortement la liberté des établissements. En Suède par exemple l’autonomie très forte des établissements a été pointée du doigt comme remettant en cause le principe du collège unique du fait de la forte différentiation de l’offre pédagogique d’un établissement à l’autre. La Finlande a également récemment renforcé le cadre national de ces programmes scolaires, suite en autres aux statistiques de PISA montrant l’existence d’inégalités inter-établissements. Même si elles sont très faibles dans ce pays, leur simple existence a entrainé une réflexion profonde.
Nathalie Mons
N Mons dans le Café :
Sur les évaluations standardisées
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/09/RapportEuropeenNMons.aspx
PISA : des indicateurs pour lutter contre les inégalités scolaires
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2007/12/PISA_N_Mons.aspx
Un système éducatif qui doit s’améliorer
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/NathalieMons041206.aspx
Sur la formation des enseignants
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/FormationNathalieMons.aspx