« Il est important que l’éducation nationale soit présente dans cette ambition collective ». A l’issue de la « Journée de mobilisation », le 19 septembre, François Hollande a détaillé la feuille de route de l’Education nationale en faveur de l’apprentissage. Pour le chef de l’Etat la mobilisation de l’Education nationale est importante pour accroitre le nombre d’apprentis. Mais elle l’est aussi symboliquement pour marquer une évolution des relations école – entreprise. Or, si les grandes fédérations syndicales ont généralement bien accueilli le cap donné par le président, ce n’est pas le cas des principaux syndicats de l’enseignement professionnel. Le cap présidentiel pourrait bien rencontré la tempête.
En présence de N Vallaud-Belkacem, mais aussi des ministres du travail, du commerce et de la Fonction publique, la « Journée de mobilisation » a réuni, le 19 septembre, des syndicalistes, des patrons, des représentants des chambres de commerce et des régions pour travailler sur les freins au développement de l’apprentissage. Le président de la République a clos la journée en lançant un programme de travail. Il a annoncé de nouvelles aides pour les entreprises qui signeraient des contrats d’apprentissage et fixé l’objectif de 500 000 apprentis d’ici 2017, soit 100 000 de plus qu’aujourd’hui. Ce nombre avait déjà été avancé lors de la conférence sociale de juillet 2014. 150 millions seront attribués aux CFA pour les accueillir et 80 millions seront versés pour améliorer le logement des apprentis.
Le plan Hollande pour l’apprentissage
Concernant l’Education nationale, F Hollande a annoncé qu’elle scolariserait 60 000 apprentis d’ici 2017, soit 50% de plus qu’en 2014. « Le ministère de l’éducation nationale multipliera l’information dans tous les collèges pour tous les élèves et il sera vu comme une voie de réusite », a promis F Hollande. Enfin « le s partenaires sociaux auront un rôle dans la définition des contenus d’enseignement pour assurer que les formations débouchent bien vers l’emploi ». La ministre de l’éducation nationale a annoncé la création d’une « journée d’information sur les métiers » dans les établissements et précisé qu’elle réservera « une place particulière pour l’apprentissage ». L’apprentissage sera aussi intégré dans APB et Affelnet, les deux systèmes d’orientation post-bac et post-3ème, « afin que l’apprentissage soit visible par tous les jeunes ». Elle a aussi annoncé que les diplômes seront revus avec les branches professionnelles dans 8 filières. Durant la réunion, selon l’ARF, la ministre aurait aussi promis de labelliser 30 nouveaux campus des métiers, ces nouveaux super lycées des métiers lancés par V. Peillon.
Deux jours auparavant, devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, N Vallaud-Belkacem avait présenté l’amélioration des relations école – entreprises comme un des ses 3 grands chantiers. Elle avait annoncé le nombre de 60 000 apprentis. « Il faut faire en sorte que l’école puisse offrir une expérience professionnelle à tous les élèves », a-t-elle déclaré. La ministre voulait aussi que les enseignants soient « incités à valoriser l’apprentissage ».
Pour le gouvernement , le développement de l’apprentissage semble répondre à deux problématiques. La première c’est l’accès à l’emploi. L’apprentissage est présenté comme une voie privilégiée pour avoir un emploi. C’est aussi une voie pour diplômer des décrocheurs. Le développement de l’apprentissage devrait à la fois créer des emplois et développer le niveau de qualification des 150 000 jeunes qui quittent l’école sans diplôme valable.
L’apprentissage peut-il réduire le chômage ?
Mais l’apprentissage est-il capable d’atteindre ces objectifs ? Le Céreq ne le pense pas. Dans une première étude, parue en 2005, le Céreq écrivait : « derrière une idée simple, l’apprentissage se compose en fait d’espaces divers… dont le plus dynamique actuellement n’est peut-être pas le mieux à même de répondre au principal enjeu des politiques de l’emploi : réduire le chômage des jeunes ». Une nouvelle étude, publiée en 2012, montre que « le développement de l’apprentissage n’est pas le remède automatique au chômage des jeunes. Une approche internationale montre que l’ancrage de cette voie de formation dans un pays ne va pas nécessairement de pair avec un faible taux de chômage juvénile ».
En fait, l’évolution de l’apprentissage montre son éclatement. On assiste à un effondrement de l’apprentissage traditionnel, de bas niveau, et une explosion de l’apprentissage dans le supérieur, où il est souvent une façon de financer des études qui sont devenues hors de portée pour beaucoup de familles. Ainsi le nombre d’apprentis du niveau V (CAP, BEP) est passé de 245 000 en 2000 à 192 000 en 2010 et 186 000 en 2012-2013. Au niveau bac (niveau IV) après une hausse entre 2000 et 2010, c’est une chute , de 123 000 à 117 000 de 2010 à 2012. Par contre dans le supérieur, niveaux III, II et I, le nombre d’apprentis est passé de 51 000 en 2000 à 111 000 en 2010 puis 135 000 en 2012. L’augmentation la plus forte a lieu aux niveaux I et II (licence et au-delà) où le nombre d’apprentis a été multiplié par 4 depuis 2000.
Cette fracture se lit également dans les données sur l’accès à l’emploi. Selon une Note de la Depp de mars 2014, 7 mois après leur sortie d’apprentissage, 65% des jeunes apprentis ont un emploi. Ce taux monte à 77% pour les apprentis dotés d’un BTS ou plus. Mais il n’est que de 54% pour un CAP. L’accès à l’emploi varie de 50 à 70% selon les académies, la situation économique locale étant aussi un critère à retenir.
La ministre face à l’hostilité des syndicats concernés
Un rapport interministériel de mars 2014 a mis en évidence de sérieux freins dans l’éducation nationale face à l’apprentissage. » Malgré une évolution des mentalités au cours des 10 dernières années, liée principalement au besoin vital de certains L.P. de faire face à la baisse des effectifs, une partie des enseignants, fortement soutenue par une partie de la représentation syndicale, continue de manifester une réelle hostilité au développement de l’apprentissage », écrivent les rapporteurs. Le plan Hollande est jugé positivement par la CGT, la CFDT et FO, ce qui n’est pas rien. Mais il est vivement critiqué par les syndicats enseignants de la voie professionnelle, c’est à dire les premiers concernés. « Nous savons, avec le recul, que le développement de l’apprentissage est un échec pour ces jeunes qui sont en rupture », écrivait le Snetaa FO, principal syndicat de la voie professionnelle, en juillet dernier. « Il suffit de regarder les objectifs chiffrés et leurs résultats ; il suffit de regarder les taux de rupture des contrats, après 3 mois, entre l’apprenti et l’entreprise. Il suffit de constater le peu d’apprentis embauchés définitivement après leur formation ». Le Snetaa ajoute : » A ces jeunes souvent en grande difficulté, que leur propose l’apprentissage ? Deux tiers de moins de cours en enseignement général et même des disciplines auxquelles ils n’auront même plus accès ou si peu (histoire, éducation civique). Aux jeunes qui sortent de 3ème de collège à 14 ans (souvent 15/16 ans car ils ont déjà redoublé au moins une fois) qui subissent l’échec scolaire, qui ont des difficultés en français, en histoire-géographie, en mathématiques, en langues vivantes, etc., l’apprentissage ne leur dispensera au mieux qu’un tiers du temps par rapport aux jeunes qui se forment au même métier en Lycée Professionnel ».
L’apprentissage est aussi vu comme un concurrent de lycée professionnel par le Snuep Fsu, second syndicat du secteur. » Alors que le gouvernement refuse toute publication d’un bilan global de ce système de formation, il persiste par tous les moyens à promouvoir l’apprentissage au sein des établissements publics en prônant la mixité des parcours et des publics au mépris des conditions d’études des élèves et des conditions de travail des collègues », écrivait le syndicat lors de la conférence sociale de juillet 2014. Dans une lettre du 16 septembre, adressée à la ministre, le Snuep critiquait encore le discours sur l’apprentissage. Ces critiques sont relayées le 19 septembre par la Fsu qui « reste vigilante sur l’équilibre entre l’offre de formation sous statut scolaire et l’apprentissage » et « hostile au mixage des parcours et des publics dans les EPLE ».
Engagée personnellement dans la politique d’ouverture aux entreprises, N Vallaud Belkacem s’est fixée un objectif quantitatif (60 000 apprentis) et qualitatif : que les enseignants présentent favorablement l’apprentissage. On mesure que ces deux objectifs seront difficiles à appliquer.
François Jarraud