Les reportages télévisés tournés sur l’école en Scandinavie, s’attardent souvent sur quelque chose qui frappe les visiteurs (et les spectateurs) mais qui paraît pourtant insignifiant aux autochtones : les élèves retirent leurs chaussures en arrivant en classe !
On retrouve en effet des tas, plus ou moins en ordre, de chaussures à l’entrée des écoles ou des classes. Si la chose peut surprendre le visiteur occasionnel, elle ne dépareille pas pour quelqu’un qui se plie déjà à la tradition depuis quelques jours dans la famille qui l’accueille.
Quelles peuvent-être les raisons d’un tel attachement médiatique ? Le fait est plutôt « cinégénique » car cela permet de réaliser quelques plans joyeux d’enfants envoyant balader d’un seul élan bottes, sandales, baskets ! Mais surtout, la dimension culturelle d’une telle action est importante : s’il n’y a rien de surprenant à voir ces enfants (et leurs enseignants) ôter leurs chaussures, c’est que cela est parfaitement monnaie courante en Suède ! D’où l’intérêt de résider en immersion dans une famille durant ce voyage…
L’école est le reflet de la culture d’un pays : on y élève les enfants afin qu’ils intègrent au mieux la société des adultes. Il en va ainsi du respect pour la propreté du lieu qu’exprime l’action d’enfiler des chaussons en intérieur. Mais mettons les choses au point : si n’importe quel invité se pliera à cette politesse en arrivant chez ses hôtes suédois, c’est d’abord parce que la neige recouvre tous les trottoirs de la ville durant de longs mois d’hiver et que les bottes fourrées y sont le seul remède !
Ce rude climat peut avoir également son implication dans une autre observation. Par rapport à ce que j’ai pu retenir de mes visites de classe en France, les écoliers suédois m’ont paru beaucoup plus détachés des considérations vestimentaires. Ils semblent également jouir d’une liberté très large à cet égard. Le vêtement qui fait fureur actuellement ressemble à un pyjama : sorte de combinaison-jogging appelée « One Piece » (du nom de la marque d’origine) qui s’enfile et se zippe de haut en bas. Quoi de plus pratique à enfiler quelques minutes avant de courir en classe (véridique !) ? La fonctionnalité des vêtements qui primerait sur la marque ? Mais pour combien de temps… ?
Lunettes de soleil, oreilles d’ours, bonnets… L’apparence des enfants, entre jeu et tâtonnement expérimental, est très respectée dans leur libre expression par les adultes. Une nécessité selon eux, pour la construction sans entrave de la personnalité des élèves.
De façon plus générale, il est frappant de constater la liberté d’action que possèdent les élèves suédois. Rarement (voire jamais) réprimandés sur leur tenue, je suis surprise de les voir s’asseoir sur leurs tables, lire sous les bureaux, sautiller devant le tableau… de même que griffonner leurs feuilles de travail ! Les enseignants que j’interroge sur cette question n’hésitent en aucune façon dans leur réponse : la nécessité d’expression des enfants. On retrouve ici l’influence du pédagogue français Célestin Freinet. Les éducateurs suédois, postulant sur ce besoin de s’exprimer, décident sciemment de le laisser s’épanouir, à la seule condition d’être en posture d’apprentissage. Une posture culturellement différente de la France…
Le confort physique et psychologique de ses élèves est un objectif constatant de l’enseignant. C’est entre autres pourquoi le rapport professeur-élève est si étroit : durant toute leur scolarité, les enfants et adolescents tutoient leurs enseignants. Un facteur d’apprentissage ? Si les adolescents que je rencontre sont ravis de ce fonctionnement et me parlent de leurs professeurs comme des « amis », les adultes sont plus mitigés sur la question. « Où s’arrête la liberté des enfants et où commence le respect de leurs aînés ? »
Traditions suédoises et évolution globale de la société semblent parfois entrer en contradiction, ce qui contribue à interroger les acteurs de l’école. Une difficulté importante pour ses penseurs, à la tête de l’État, qui tentent de multiplier les réformes d’un système encore trop calqué sur des mentalités aujourd’hui différentes.
Eva Ruaut
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