Par Robert Delord et Marjorie Lévêque
Au sommaire : rencontre avec Michèle Blanc, webdomina du site de partage de ressources TIC & NUNC
Nous nous sommes intéressés au joli site de partage TIC et NUNC, qui propose des ressources très riches et variées pour l’enseignement des langues anciennes.
Sa webdomina, Michèle Blanc, a accepté de répondre à nos questions.
CP – Quelques mots de vous et de votre cursus.
JMB – e suis passionnée de voyages, curieuse des autres cultures, des autres tout court.
Les Lettres Classiques se sont imposées à moi.
CP – Votre situation actuelle : statut, nombre d’année d’enseignement, établissement, nombre d’élèves et niveaux de classe
MB – J’obtiens mon Capes en 1998. Depuis, hormis quelques pauses pour faire des enfants et vivre à l’étranger, j’enseigne en collège.
J’ai débarqué au collège Jean-François Oeben (XIIème arrondissement de Paris) en septembre dernier. J’y enseigne le français en classe de sixième (merveilleux niveau pour promouvoir les langues anciennes) et le latin sur les 3 niveaux de collège.
CP – Dans quel but avez-vous créé votre site de latin au départ ? A destination des élèves ou des collègues professeurs ?
MB – Mon envie de créer un site de latin est née de rencontres avec des collègues.
Invitée pour intervenir dans le cadre d’une animation sur la mise en œuvre des nouveaux programmes en 2010, j’entends le scepticisme, voire la suspicion de certains collègues au sujet de la place des Tice ou de l’« innovation » dans l’enseignement des langues anciennes ; ils disent leur désarroi et combien ils se sentent déstabilisés. Mais ils sont réceptifs aussi, curieux de découvrir des liens, des outils, des pratiques pédagogiques, d’expérimenter, à condition d’être guidés.
Par ailleurs, les ressources pédagogiques que je produisais pour le site de l’Académie de Paris en tant que contributeur du Giptic connaissaient un certain succès. J’ai eu envie de partager davantage.
En choisissant de mutualiser mon travail, je voulais montrer, sans arrière-pensée politique, que l’usage des TICE ou l’innovation ne sont pas nécessairement démagogiques, et qu’on peut en faire un bon usage, tant que c’est au service des langues anciennes.
CP – A votre avis, quel impact ce site a-t-il eu auprès de vos élèves ? A-t-il modifié leur perception des langues anciennes ?
MB – Mes élèves ignorent l’existence de ce site qui ne leur est pas destiné.
CP – Disposiez-vous dès le départ de solides connaissances en informatique ou vous êtes-vous formée au fil des difficultés ?
MB – Mes connaissances en informatique étaient très limitées quand j’ai créé mon site : j’utilisais le traitement de texte pour mettre mes cours en forme, et Powerpoint pour concevoir quelques documents pédagogiques. J’avais pensé depuis un moment à monter un site, mais je ne m’en sentais pas capable.
Ce sont des élèves, pour lesquels j’animais un atelier journal, qui m’y ont encouragée. Ils avaient créé une rubrique informatique dans le journal, et l’un d’entre eux avait rédigé un cours article intitulé « Monter un site internet avec Jimdo ». C’est après avoir lu cet article que je me suis lancée.
CP – Que conseilleriez-vous aux collègues de langues anciennes tentés par l’aventure d’un site, que ce soit au niveau technique ou pédagogique ?
MB – Techniquement, si vous utilisez un éditeur en ligne comme Jimdo, créer et gérer un site internet, c’est très simple. Vous disposez d’une coquille vide qu’il faut alimenter. Nul besoin de maîtriser quelque langage de programmation que ce soit ; il s’agit seulement d’ajouter ou déplacer les modules de votre choix (textes, images, films par exemple). Un peu de bonne volonté -et de temps- suffisent.
La difficulté réside essentiellement dans la réflexion à mener en amont de la mise en ligne du site : il faut prendre le temps de définir précisément à qui s’adresse le site, quels en sont les objectifs et les contenus, et il faut penser rigoureusement son architecture pour en permettre une utilisation la plus efficace possible.
Une fois l’architecture du site et sa charte graphique établis, et le nom du site arrêté, il peut être mis en ligne. Le travail consiste alors en l’ajout et/ou la gestion des contenus.
CP – Quand avez-vous créé votre site ? Comment gère-t-on un site dans la durée ? Est-ce une activité « chronophage » ou peut-on la mener à son rythme, en fonction du temps disponible, tout en obtenant un résultat satisfaisant… ?
MB – J’ai commencé à penser mon site en juin dernier; je l’ai mis en ligne en septembre dernier. Je le gère seule, tranquillement, à mon rythme.
Il s’agit de mettre en ligne les ressources pédagogiques que je conçois, une fois qu’elles ont été expérimentées, et si elles ont été concluantes…
CP – Sur votre site Web, vous diffusez certains travaux de vos élèves, dans quel but ?
MB – Toutes les pistes pédagogiques que je propose sur mon site ont été expérimentées en classe ; leur associer des travaux d’élèves, c’est attester de leur pratique sur le terrain : il ne s’agit pas de théorie pure.
L’idée, c’est aussi de montrer que des pratiques qui pourraient, de prime abord, être considérées comme futiles ou superficielles, peuvent en réalité conduire à des réalisations sérieuses et intelligentes.
CP – Le partage de documents personnels en ligne est parfois une chose difficile pour les professeurs de lettres dont le travail est plus « personnel » et « intime » que celui d’un professeur de sciences, par exemple. Comment vivez-vous cette mutualisation de vos travaux ?
MB – Je n’éprouve aucune pudeur à partager un travail qui a fonctionné avec mes élèves (une fois encore, je me garde bien de diffuser les cours qui n’ont pas fonctionné…).
Ce que j’aimerais, au contraire, c’est obtenir plus de retours des collègues qui utilisent les ressources que je mets en ligne ; ce sont des propositions, qui gagneraient toutes à être enrichies : pour les améliorer, j’apprécierais de lire leurs commentaires, le récit de leurs expériences.
CP – Avez-vous une idée de la diversité des internautes qui consultent votre site ? Ce site vous a-t-il permis de créer des liens que vous n’auriez pas pu établir sans internet ?
MB – Je n’ai que peu de visibilité sur les visiteurs de mon site. Quelques collègues parfois m’écrivent, mais bien peu encore, ce que je regrette.
CP – Que pensez-vous des exercices auto-corrigés de langues anciennes présents sur certains sites ? Les utilisez-vous vous-même en classe et quelles limites y voyez-vous ?
MB – Les exercices auto-corrigés sont des ressources dont je reconnais l’efficacité sur des exercices répétitifs d’entraînement à la déclinaison ou à la conjugaison par exemple. Sur ce type d’exercices, la bonne volonté des élèves semble décuplée devant le poste informatique : les voilà soudainement prêts à faire et refaire un exercice pour obtenir le meilleur score. Chaque élève, qui plus est, peut travailler à son rythme.
Quand je me sers de ces outils en classe, c’est toujours selon des modalités annoncées qui doivent garantir le sérieux de la séance : une « fiche-guide » définissant précisément les consignes et les objectifs est remise à l’élève en début de séance, et le travail est toujours évalué : le jour même, ou lors d’une autre séance, des exercices approchants sont donnés sur papier en guise d’évaluation.
Par ailleurs, je recommande systématiquement aux élèves de faire de ces exercices un usage personnel ; je les aiguille principalement vers deux sites : Xena et Gratum studium.
CP – Pouvez-vous nous donner un aperçu des différentes productions « informatiques » que vous demandez à vos élèves (exposés, enregistrements audio ou vidéos, autres…) ?
MB – Je n’impose jamais à mes élèves de recourir à l’informatique.
Le plus souvent possible, je leur conseille la visite de sites, j’émets des suggestions au gré des cours et de la réception qu’ils en font, je leur montre des productions d’élèves des années antérieures, mais c’est essentiellement à leur propre initiative qu’ils préparent des productions informatiques.
Ces productions sont réalisées par les élèves sur leur temps personnel : les compétences des élèves en informatique étant infiniment plus développées que les miennes, je ne peux généralement pas les aider techniquement. Mon apport consiste à les accompagner au mieux pour élaborer le contenu de leur production, et ce contenu est le plus souvent tiré des cours qui sont ainsi réinvestis.
Des élèves de cinquième ont ainsi, par exemple, conçu un magazine intitulé Pax deorum relatant avec humour les aventures des dieux et des héros, des élèves de quatrième un « roman-peinture » sur le modèle du roman-photo retraçant l’exploit du héros Scaevola (tout en latin), des élèves de troisième la Une d’un journal engagé politiquement annonçant la mort de César (tout en latin aussi), ou une visite touristique du Forum romain (sous forme de présentation Powerpoint commentée) au cours de laquelle une élève de troisième, ayant endossé le statut de guide, croise Cicéron et communique avec lui.
Par ailleurs, les enregistrements vidéo motivent souvent les initiatives. Je propose, par exemple, pour permettre une évaluation la plus juste possible, qu’une récitation de texte latin soit filmée; spontanément, les élèves veulent procéder à un montage; le visionnage du film donne envie de renouveler l’expérience ; les élèves souhaitent réciter à nouveau, donc apprendre du latin à nouveau. C’est un cercle vertueux.
L’idée, en fait, c’est de laisser s’exprimer au mieux l’appétit des élèves pour les TICE, au service du latin.
CP – Un certain nombre de pages de votre site se présentent sous forme de jeux ou d’activités ludiques, or les langues anciennes ont souvent rimé pour les générations précédentes avec sélection et austérité. Quelle est la place du jeu intellectuel dans notre discipline à votre avis ?
MB – Je présente sur ces pages les projets que nous avons montés avec ma collègue Marie-Françoise Ludvig du Collège Brassens (Paris XIXème).
Nos campagnes de recrutement nous avaient permis de constituer des groupes de latinistes nourris; la motivation de certains s’émoussant, il nous a fallu penser à d’autres approches pédagogiques propres à leur transmettre une culture antique ne négligeant ni la civilisation, ni l’histoire, ni les faits de langue. Nous avons alors proposé aux élèves de concevoir des jeux. Là encore, la conception des jeux a eu lieu sur le temps personnel de l’élève : l’objectif était de motiver l’implication des élèves dans leur apprentissage du latin.
Le jeu intellectuel, comme les Tice, ne sont pas suffisants en tant que tels et ne doivent pas devenir obsessionnels. Mais ce sont aussi des moyens, qui, s’ils sont utilisés modérément, sont utiles pour transmettre aux élèves notre passion des langues anciennes.
CP – Sur votre site, on peut également consulter votre programme de sorties avec vos élèves pour 2011-2012. Pour vous quelle est l’utilité des sorties, voyages d’étude et activités en dehors de la classe pour les élèves ?
MB – L’archéologie expérimentale, les sorties, ou les voyages d’étude permettent d’ancrer l’apprentissage théorique des cours dans la réalité et constituent des occasions privilégiées pour questionner les élèves sur leur ouverture à ce qui est lointain et différent.
J’aime l’idée qu’apprendre le latin, c’est partir à la découverte d’une civilisation différente, pour ce qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts, et apprendre à mieux accepter l’autre. Pour moi, l’enseignement du latin participe à l’école de la tolérance.
CP – Pensez-vous qu’il faille continuer à admirer la civilisation gréco-latine, mais en la replaçant dans un contexte plus large, tout aussi intéressant ?
MB – Bien entendu, j’admire la civilisation gréco-latine, mais il ne s’agit pas en effet de célébrer avec nostalgie un âge d’or regretté.
Découvrir ces civilisations, c’est percevoir l’héritage gréco-romain dans notre langue, notre culture, notre histoire, notre pensée, et apprendre à réfléchir de façon éclairée sur les réalités de notre propre époque.
J’ai notamment choisi le nom de mon site, tic et nunc, dans cet esprit. Je souhaite enseigner la langue et la culture latines, pour ce qu’elles ont de propre, mais aussi pour l’éclairage qu’elles apportent sur la construction du monde d’aujourd’hui.
CP – Comment tentez-vous de transmettre aux élèves votre passion pour la culture antique ?
MB – J’essaie d’être généreuse. Quand vous donnez, les élèves finissent toujours par vous rendre.
CP – Le statut d’option vous semble-t-il servir ou plutôt desservir les L.A. auprès des élèves?
MB – La notion d’option étant constamment opposée aux « fondamentaux », ce statut nuit considérablement à la discipline. L’enseignement du Latin est indispensable et devrait être obligatoire pour tous.
CP – Avez-vous entendu parler du Prix Jacqueline de Romilly créé cette année par le Ministère et destiné à récompenser les initiatives innovantes pour l’enseignement des LCA et si oui, de quel oeil voyez-vous une telle manifestation ?
MB – J’ai entendu et lu les réactions virulentes qu’ont provoquées chez de nombreux collègues l’organisation par le Ministère du Prix Jacqueline de Romilly.
J’ai choisi de participer au concours.
Confrontée à un formulaire de candidature manquant d’humanisme, j’ai inscrit mon projet dans les catégories « Maîtrise de la langue ancienne concernée », et « Culture humaniste » justement.
Et j’ai finalement eu le sentiment, en participant à ce concours, de trouver une occasion, et toutes les occasions sont bonnes, de faire valoir que l’enseignement des langues anciennes est fondamental, qu’il devrait être suivi par tous, et qu’enseigner constitue pour nous, professeurs de lettres classiques, un véritable engagement.
CP – Comment percevez-vous l’avenir des langues anciennes dans les prochaines années ?
MB – Je suis très inquiète.
Le ministre de l’éducation nationale a réaffirmé, début février, le rôle fondamental des langues anciennes dans l’enseignement. Dans les faits pourtant, les dotations horaires allouées aux établissements fondent, et le latin et le grec, dans les collèges, sont les premiers sacrifiés : des postes sautent, des horaires sont rognés et des groupes fermés…
Heureusement, notre passion est forte. A chacun de la transmettre au mieux pour redonner aux langues anciennes la place qu’elles méritent.
CP – Quels sont vos 5 sites web ou blog langues anciennes préférés ?
MB –
– Itinera electronica, une fabuleuse banque de textes latins et grecs constitués en environnement hypertextes (texte brut, texte et traduction, liste de vocabulaire classé par ordre alphabétique, fréquence d’attestations et formes, recherche de formes !)
– Méditerranées, un site magnifique d’une étonnante richesse.
– le site d’Alain Canu, Noctes Gallicanae où l’on trouve notamment un résumé de l’histoire de Rome illustré de citations d’auteurs antiques. Les dossiers sont particulièrement substantiels.
– plus moderne, Latine loquere, une mine de ressources toujours enrichie.
– un site de fous du latin fort créatifs, Circulus.
CP – Avant de nous quitter et pour mieux vous connaître pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd et un film que vous avez découvert, en rapport avec les langues anciennes ou non, et que vous appréciez particulièrement ?
MB – J’ai aimé lire Le fils du lieu de l’Orage, conte mythologique finnois drôle (et amer). J’ai aimé lire tous les autres Paasilinna aussi.
J’écoute régulièrement les reprises de This Mortal Coil, supergroupe anglais formé en hommage à Ian Curtis (Joy Division) après son suicide en 1980.
En ce moment, je découvre avec plaisir la série Treme, de David Simon, après dévoré the Wire. De Baltimore à la Nouvelle-Orléans.
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