A intervalles réguliers, les Environnements Numériques de Travail reviennent sur le devant de la scène et font débat. Depuis cette initiative de 2003, les initiales ENT ont envahi le monde scolaire français. Alors que le monde anglo-saxon parle plutôt de Virtual Learning Environments (VLE), ce qui semble bien différent : l’institution scolaire s’est semble-t-il davantage centrée sur la dimension organisationnelle et structurante apportée par les ENT. En d’autres termes certains s’intéressent à l’institution en elle-même en premier, tandis que d’autres s’intéressent d’abord à l’apprentissage. Cette différence de perspective n’est pas si anodine que cela si l’on analyse de plus près cette notion d’environnement.
Chacun de nous tente d’organiser son environnement personnel de travail, ou d’apprentissage, non seulement en y installant des logiciels et des matériels, mais surtout en y mettant en place des méthodes de travail et d’organisation personnelles voire en y développant des stratégies mentales permettant de faire de cet environnement un instrument complémentaire du cerveau, sorte de prolongation artificielle de notre fonctionnement mental et cognitif. Cet environnement personnel techno-cognitif (EPTC) se trouve ainsi mis en concurrence avec des environnements qui sont imposés par les structures dans lesquelles on exerce une activité, le lieu de travail, l’établissement scolaire. Un élève qui change d’établissement peut très bien ne pas trouver le même environnement numérique de travail et ainsi devoir s’adapter. Il en est de même pour les enseignants ainsi que pour tous les salariés qui passent d’une structure à une autre.
Dans le monde scolaire, la première manière d’utiliser l’informatique a été la gestion comptable et administrative. Petit à petit, dans les établissements d’autres utilisations se sont installées en lien avec les offres des éditeurs de logiciels, liés ou non avec la puissance publique. On peut nommer parmi ceux-ci les logiciels de gestion des notes, ceux d’emploi du temps (conception et gestion), de gestion des moyens matériels (salles, etc…), de retards et d’absence. En parallèle des sites web, des logiciels documentaires se sont déployés en parallèle de divers logiciels liés à des disciplines. Cette dispersion de produits, bien connue dans les entreprises, a amené à penser une mise en cohérence de tous ces produits au sein d’un espace commun. On a ainsi vu apparaître des produits nouveaux qui rassemblent les fonctions dans un même logiciel. A côté, on a vu aussi apparaître des solutions intégratrices ou plutôt des sortes de surcouches pour rassembler des logiciels différents derrière une porte d’entrée commune et surtout d’une indentification unique. Ce rêve, qui a plutôt pour origine les spécialistes de l’optimisation des organisations les informaticiens, s’accompagnait d’une idée de rationalisation et de productivité. En 2004, nous critiquions ici cette approche « industrielle » tant elle nous semblait loin des réalités du monde enseignant, mais aussi des pratiques sociales et des besoins des jeunes.
Entre l’environnement personnel de travail que je me constitue, celui qui m’est imposé par les structures dans lesquelles je travaille et l’environnement d’apprentissage (virtual learning) appelé parfois, aussi EPA (personnel d’apprentissage), nous avons affaire à des mondes qui coexistent et auxquels chaque utilisateur doit s’adapter. Si chacun de nous se construit un environnement adapté à ses besoins, il se trouve donc confronté à des univers qui lui sont imposés. Un enseignant témoignait récemment être le seul utilisateur de l’ENT de son établissement. Il déclarait que ce logiciel lui apportait tout ce dont il avait besoin et qu’il l’utilisait au quotidien. A la question de savoir pourquoi les autres enseignants ne l’utilisent pas, la réponse a été que l’ergonomie du produit était tellement éloignée des habitudes des collègues et que plus généralement l’usage leur semblait nécessiter tellement de temps d’apprentissage qu’ils avaient renoncé. Dans le même temps, nombre d’équipes ont délaissé les ENT qui leur sont proposés pour passer par des services grands publics type espace de fichiers partagés, logiciels collaboratifs (libre ou non). Ainsi le rêve de 2003 reste-t-il largement à confirmer, même si une impulsion très forte a été donnée en 2010 autour de circulaires de rentrées qui prônaient les ENT et les cahiers de texte électronique/numérique.
Récemment s’est posée la question de la pédagogie dans les ENT installés dans les établissements. Car à observer ce qui se fait dans de nombreux établissement, au-delà du partage de fichiers déposés sur l’espace commun et quelques essais de forums ou autre, la partie pédagogique semble peu importante. Mais on n’avait pas défini ce que l’on mettait sous le terme de « pédagogie ». Si nous revenons au cadre initial proposé dans le monde anglo-saxon, Virtual Learning Environnement, et que l’on analyse l’évolution des pratiques en établissement, on s’aperçoit que les enseignants organisent leur pratique aussi bien autour du cahier de texte que d’autres applications internes et externes. Il est difficile d’imaginer un ENT qui permettrait de « tout savoir » de la pédagogie des enseignants, malgré certaines publicités. Si du côté des enseignants les pratiques articulent plusieurs types de logiciels et services internes et externes à l’établissement, cela est encore plus évident pour les élèves, en particulier en lycée.
Si l’on met tout cela dans la perspective du BYOD (AVAN) alors on peut aussi envisager que l’ENT ne soit plus prescriptif de service, mais plutôt intégrateur, au moins partiel de services, mais surtout une plaque tournante d’interopérabilité des environnements personnels et des environnements collectifs. De nombreuses entreprises ont compris que la continuité de travail passait aussi par une souplesse vis à vis des pratiques personnelles (allant même jusqu’à la pratique du perruquage autorisé). L’exemple des disques partagés (drive, dropbox et autres) est bien illustratif de cette tendance qui associe local et distant et qui offre des services pour la continuité, mais qui ne préjuge pas, en les dirigeant, toutes les activités des usages. L’avenir des ENT est encore loin d’être écrit, le SDET 5 en cours et le SDET 6 qui devrait arriver en janvier prochain en débat montrent que d’importantes évolutions sont à prévoir. L’une des premières qui est attendue est suffisamment simple pour être partagée : que l’ergonomie et les interfaces soient conçues selon les approches UX Design (cf. Sylvie Daumal et J.J Garett).
Bruno Devauchelle