« On ne peut ignorer les données des différentes recherches dès lors qu’on se propose d’aménager le temps scolaire dans la journée, la semaine et l’année ». Nous avons demandé à Hubert Montagner, ancien directeur du laboratoire de psycho-physiologie de la Faculté des Sciences de Besançon, et spécialiste reconnu des rythmes biopsychologiques des enfants, de présenter rapidement les acquis de la recherche scientifiques sur les rythmes. Libre à chacun ensuite de comparer avec l’organisation de l’année scolaire, marquée en France par un nombre d’heures important sur un nombre de jours faibles.
L’aménagement du temps scolaire que l’on qualifie communément de rythmes scolaires ne peut être conçu dans l’ignorance des rythmes biopsychologiques des enfants de tous âges, c’est-à-dire des phénomènes combinant des variables biologiques et psychologiques qui se reproduisent à l’identique au bout d’un temps donné. Ils peuvent donc être définis par la quantité de temps qui sépare d’un jour à l’autre les “temps forts” d’une fonction donnée (c’est-à-dire la période), par exemple la sécrétion de la cortisone qui passe tous les jours par des valeurs maximales entre 06h.00 et 08h.00. On qualifie de rythmes circadiens ceux dont la période est d’environ vingt-quatre heures. Les rythmes ultradiens ont une période de quelques secondes, minutes ou heures (par exemple, le rythme cardiaque). Enfin, les rythmes infradiens sont lents : leur période peut être d’une ou plusieurs semaines, ou encore d’une ou plusieurs années. Synchronisé par l’alternance du jour et de la nuit, le rythme veille-sommeil est le principal donneur de temps (ou synchroniseur) des rythmes biologiques et biopsychologiques des êtres humains dans la journée et d’une journée à l’autre. En effet, les moments de la journée où on observe les valeurs maximales du métabolisme, du fonctionnement cardiaque, des sécrétions hormonales … sont influencés par l’heure d’endormissement, la durée du sommeil et/ou l’heure d’éveil. Surtout “indexé” sur les rythmes familiaux et les rythmes sociaux, le rythme veille-sommeil est lui-même synchronisé par l’alternance du jour et de la nuit.
C’est le pédiatre allemand Th. Hellbrügge qui a été dans les années 1950-1960 le pionnier de la recherche fondamentale sur les rythmes biologiques d’enfants de tous âges. A la fin des années 1970, H. Montagner et ses collaborateurs ont réalisé différentes études sur les rythmes biopsychologiques des enfants en fonction de leur développement, de leurs comportements et des influences de l’environnement, y compris leurs différents partenaires. Puis, également à cette époque, mais surtout dans les années 1980, F. Testu a développé à la suite de P. Fraisse des recherches sur les fluctuations périodiques de certaines variables psychologiques chez les enfants scolarisés.
On ne peut ignorer les données des différentes recherches dès lors qu’on se propose d’aménager le temps scolaire dans la journée, la semaine et l’année.
Sans entrer ici dans les détails, les données et conclusions des recherches conduisent aux propositions suivantes :
1. la diminution de la durée de la journée scolaire.
En France, la durée de la journée scolaire est de six heures de temps contraint (cinq heures trente minutes de temps pédagogique et trente minutes de récréation). Elle est ainsi la plus longue du monde (il faut ajouter la durée des devoirs effectués à la maison et les autres temps contraints : voir les publications et livres de H. Montagner).
Si on se fonde sur les observations filmées tout au long du temps scolaire, aucun enfant de l’école primaire ne peut être vigilant, attentif, réceptif et disponible pendant cinq heures trente de temps pédagogique, même quand elles sont interrompues par des moments de détente.
Par exemple, si on considère l’ensemble des enfants de cours préparatoire pendant la matinée, les apprentissages ne peuvent être vraiment efficients que de 09h.15-09h.30 à 11h.00 environ. En effet, le pourcentage des enfants qui bâillent est de 68% entre 09h.00 et 09h.30, et de 59% entre 11h.00 et 11h.30 (il est de deux à trois plus faible entre 09h.30 et 11h.00) . L’après-midi, c’est de 15h.00 à 16h.00-16h.30 (le pourcentage des enfants qui bâillent entre 14h.30 et 15h.00 est de 68% ; il est de deux à trois fois plus faible entre 15h.00 et 16h.00). Il en est de même pour les autres indicateurs de non vigilance (affalements sur la table, étirements, tête posée sur la main avec le coude en appui sur la table, fermetures des yeux, somnolence, non réponse aux sollicitations du maître …).
Autrement dit, au cours préparatoire et par jour de classe, on peut estimer à trois heures trente minutes la durée vraiment utile des activités pédagogiques. C’est-à-dire, la quantité de temps pendant lequel la vigilance et l’attention sélective des enfants sont suffisamment élevées pour que les savoirs et connaissances soient efficacement transmis, et donc pour que chaque élève ait une probabilité élevée de bien comprendre et apprendre. Dans les cours moyens, on peut l’estimer à quatre heures trente minutes.
2. La réorganisation des temps pédagogiques
Chez les enfants du cours préparatoire, les plages de temps qui ont une forte probabilité de se caractériser par une vigilance élevée et donc une attention sélective, une réceptivité et une disponibilité optimales, se situent entre 09h.00 et 11h.00 et entre 14h.30 et 16h.00, ou un peu plus, selon les individus et selon les jours. Dans les cours moyens, c’est entre 09h.00 et 11h.30, et entre 14h.00 et 16h.00.
Deux moments de la journée scolaire se caractérisent par une vigilance nettement plus faible à tous les âges de l’école primaire:
* à partir de 08h.30, heure d’entrée en classe, il faut entre trente et soixante minutes pour que les enfants retrouvent un niveau de vigilance suffisamment élevé pour qu’ils puissent développer une attention, une réceptivité et une disponibilité optimales ;
* la mi-journée (12h30-14h.00) se caractérise à tous les âges par une dépression de la vigilance corticale, sans relation avec les entrés alimentaires. Chez les enfants d’école maternelle, c’est le temps de la sieste.
La probabilité est donc élevée que la première heure, la mi-journée et le temps postscolaire (après 16h.30, tous les enfants sont fatigués) ne se prêtent pas à des activités qui nécessitent une forte mobilisation de l’attention et des ressources intellectuelles.
3. La plage de temps fort des activités physiques et sportives
La plage de temps à partir de 16h.00-17h.00 se caractérise par une augmentation du métabolisme, de la température corporelle et de la force musculaire, et une optimisation des coordinations motrices. Elle se prête donc bien aux activités physiques et sportives.
4. La prise en compte particulière des enfants qui cumulent les déficits de sommeil et l’insécurité affective
Les phénomènes précédemment décrits sont accentués chez les enfants qui ont des déficits cumulés de sommeil et des troubles du rythme veille-sommeil (ils se réveillent au cours de la nuit) et chez ceux qui vivent au quotidien dans l’insécurité affective, c’est-à-dire le sentiment d’être abandonnés, délaissés, ignorés, maltraités, en danger (ce sont souvent les mêmes). Mais, ils présentent une particularité : leur vigilance et leurs capacités d’attention restent faibles entre 14h.00 et 16h.30, parfois dès la fin de la matinée. La majorité de ces enfants a des difficultés scolaires. La plupart sont dits en échec scolaire.
5. La diminution et la réorganisation des journées scolaires, et non pas prioritairement celle de la semaine scolaire
Chez les enfants, on ne connaît aucun rythme biologique ou biopsychologique dont la période soit d’une semaine. On ne comprend donc pas que les adultes imposent une nouvelle semaine scolaire, par exemple celle de quatre jours, avant de repenser la durée et l’organisation des journées successives tout au long de la semaine.
6. La réorganisation de l’année scolaire
Différentes données conduisent à proposer une année scolaire plus régulière, c’est-à-dire une alternance de sept semaines scolaires et de deux semaines de vacances (durée minimale pour que les enfants et les enseignants apparaissent et se disent reposés des fatigues accumulées pendant les semaines scolaires).
Hubert Montagner
docteur ès-Sciences, Professeur des Université en retraite, ancien Directeur de Recherce à l’INSERM
Eléments de bibliographie
H. MONTAGNER 2002 L’enfant, la vraie question de l’école, Paris, Odile Jacob
H. MONTAGNER 2006 L’arbre enfant. Une nouvelle approche de l’enfant, Paris, Odile Jacob
Derniers articles d’H. Montagner sur le Café :
Sur les rythmes scolaires
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/09/040908_rythm[…]
Sur le rapport Bentolila
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/program[…]