Par Jean-Michel Le Baut
L’essayiste provocateur Pierre Bayard nous a habitué à des propositions critiques délirantes riches de propositions didactiques passionnantes : refaire l’enquête dans un roman policier, améliorer les œuvres ratées, savoir parler des livres sans les avoir lus, repenser ou réécrire l’œuvre d’un auteur à la lumière d’un autre … Il vient de publier aux Editions de Minuit un nouvel essai au titre paradoxal : Comment parler des lieux où on n’a pas été.
Il y fait l’éloge de Marco Polo, Chateaubriand, Jules Verne, Edouard Glissant … : des « voyageurs casaniers » qui « ont fait le choix de ne pas s’aventurer loin de chez eux, sans pour autant s’interdire de décrire avec précision, et souvent avec passion, des lieux où ils ne s’étaient pas rendus et qui avaient pourtant marqué leur existence ». Il analyse aussi les ressorts psychologiques et littéraires qui font de l’imaginaire et/ou de l’écriture un excellent moyen de transport tant ils permettent de voyager à l’intérieur de soi pour explorer un « pays intérieur ». Il appelle enfin à l’avènement d’une « critique atopique » qui aborderait la littérature comme un espace à part entière, un monde où le lecteur peut inventer ses propres parcours, circuler entre les lieux, les époques, les personnages, les auteurs …
Le professeur de lettres trouvera dans cet essai le plaisir de l’intelligence et le titillement culturel : on a sans cesse envie d’écrire à l’auteur pour lui proposer de nouveaux exemples illustrant sa thèse … Il y puisera surtout des réflexions susceptibles de l’aider à penser son travail et des exemples susceptibles de nourrir ses pratiques. Pendant des décennies, alors que la France se modernisait et s’urbanisait, les « chères têtes blondes », même citadines, ont été invitées à composer des rédactions sur les travaux des champs et les promenades en forêt, autrement dit à faire comme si de rien n’était, comme si elles fréquentaient un espace qui leur était devenu étranger : il y avait là sans doute un moyen un peu désuet d’entretenir une image mythique et figée de la France, il y avait là aussi une invitation à l’imaginaire, à découvrir par les mots des sensations inconnues. Et si l’écriture créative, avec ce qu’elle suppose de recherche documentaire et de travail de l’imaginaire, permettait encore aujourd’hui, au collège et au lycée, d’aller explorer par les mots des territoires inconnus ? Et si les élèves se faisaient Marco Polo à l’heure de Google Maps, rédigeaient des « Guides du Routard à travers un roman », composaient des « Invitations au voyage » poétiques, circulaient aussi littérairement dans les espaces virtuels …?
Le livre de Pierre Bayard est cette belle invitation lancée aux professeurs : faire concrètement de la littérature tout à la fois un lieu à habiter et un moyen privilégié d’habiter le monde.
Sur le site des Editions de Minuit :
http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&livre_id=2514
Sur le Café pédagogique :
En vidéo :
http://www.wat.tv/video/pierre-bayard-comment-parler-4ufgt_2iynl_.html