Par Nathalie Mons
Nathalie Mons, maître de conférences en sciences de l’Education à l’Université de Grenoble II, est membre du consortium de PISA 2009. Elle conduit actuellement, dans le cadre d’une recherche européenne Knowpol, associée au laboratoire OSC de Sciences-Po, une étude sur les usages politiques de PISA. Son récent ouvrage « Les Nouvelles politiques éducatives, la France fait-elle les bons choix ? » évalue les politiques éducatives françaises et permet de mieux comprendre certains facteurs explicatifs des résultats des enquêtes PISA. Elle répond à nos questions sur PISA dont les résultats sont rendus publics demain par l’OCDE.
Qu’est-ce que PISA ?
Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), développé par l’OCDE depuis 2000, est une enquête internationale sur les acquis des élèves à la fin de la scolarité obligatoire. Elle s’intéresse à trois familles de disciplines : la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et la culture scientifique, qui sont à tour de rôle testées tous les trois ans. L’étude de PISA 2006 porte principalement sur la culture scientifique, même si certains items qui sont en nombre limités sont consacrés à l’évaluation de la compréhension de l’écrit et des mathématiques. PISA présente trois caractéristiques principales. Premièrement, elle vise à mesurer des compétences, sans lien direct avec les programmes scolaires nationaux, et s’oppose ainsi aux enquêtes de l’IEA , centrées sur l’évaluation des connaissances scolaires. Aussi – seconde caractéristique -, son échantillon n’est-il pas fondé sur un niveau scolaire (comme dans le cas des enquêtes de l’IEA) mais sur un âge – 15 ans -, avec un bémol d’importance qui lui a valu des critiques quant à sa validité pour les pays émergents : seuls les élèves scolarisés sont inclus dans l’enquête. Enfin, troisième caractéristique : elle couvre un nombre important de pays, c’est-à-dire tout l’OCDE et certains pays émergents (Brésil, Argentine, Thaïlande…).
L’étude PISA se limite-t-elle à des palmarès ?
Non, c’est une étude beaucoup riche qui est souvent sous-exploitée par les médias. PISA nous renseigne bien évidemment sur les scores nationaux qui sont des indicateurs globaux d’efficacité, encore faut-il être très prudent quant au classement des pays puisque les différences entre des pays dont les scores sont proches peuvent être plus ou moins significatives. Mais les données que l’on peut tirer de PISA vont au-delà de ce premier palmarès. En effet, les élèves selon leurs réponses sont répartis entre 5 niveaux de compétences, depuis le niveau 1 qui est un indicateur d’échec scolaire jusqu’au niveau 5 qui révèle au contraire une très bonne maîtrise du champ testé. Les scores individuels sont ensuite agrégés au niveau national et vont nous renseigner sur le taux d’échec scolaire du pays (pourcentage d’élèves de niveau 1) ou au contraire sur l’importance numérique des élites scolaires à la fin de la scolarité obligatoire (pourcentage d’élèves de niveau 5). Les données PISA permettent également de calculer pour chaque pays l’ampleur des inégalités scolaires globales mais aussi les disparités scolaires d’origine sociale c’est-à-dire l’intensité du lien entre les performances des élèves et les caractéristiques socio-économiques des parents.
Alors quel indicateur faut-il considérer ?
Tous ! Il faut imaginer que chacun de ces indicateurs représente une pièce d’un puzzle, c’est donc seulement en les associant, en les combinant dans l’analyse que l’on a une vision claire de la situation globale du pays. Ne prendre en considération que l’un de ces indicateurs conduit à une vision faussée des performances réelles du système éducatif. Quand on souhaite faire un bilan de l’état de santé du système éducatif, il faut donc analyser l’ensemble de ces dimensions conjointement. En effet, le score national ne nous donne qu’une idée très limitée des performances d’un système éducatif, car on peut atteindre une même moyenne à travers des configurations très différentes. Prenons le cas de deux classes qui présentent une moyenne de 10, cela peut résulter de deux situations. Première configuration possible : la très grande majorité des notes des élèves est concentrée entre 8 et 12 et – seconde configuration -, la même moyenne de 10 est atteinte avec deux groupes d’élèves aux résultats très inégaux, l’un situé autour de 5 et l’autre groupe autour de 15. Bien évidemment, les problèmes posés par ces deux classes sont tout à fait différents, de même que les remèdes qui y seront apportés. Se focaliser sur la moyenne fausse le diagnostic, il faut systématiquement aussi y associer une observation des disparités entre élèves.
Vous nous dites que PISA nous permet également de mesurer les inégalités scolaires d’origine sociale. Quels enseignements peut-on en tirer ?
C’est un indicateur qui permet d’établir la corrélation, c’est-à-dire l’association statistique, entre les performances des élèves et les caractéristiques socio-économiques des parents. Cela nous renseigne donc sur le caractère plus ou moins reproducteur des écoles selon les pays. Or, sur ce point les résultats de PISA sont intéressants. Les cycles précédents ont montré qu’il existait de fortes variations en fonction des pays. Certes, il n’existe pas de pays dans lequel il y aurait à chaque génération une redistribution totale des cartes de la destinée sociale, mais les pays peuvent avoir une école plus ou moins inégalitaire. Ainsi si dans les pays asiatiques et certains pays scandinaves, le lien est faible entre les caractéristiques du milieu familial et les résultats des élèves, au contraire, dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Belgique francophone, l’école est très reproductrice.
Quels ont été les résultats de la France jusqu’à présent à PISA ?
Les résultats de la France à l’enquête de PISA sur la compréhension de l’écrit ont été passables, c’est-à-dire qu’ils ne sont ni exceptionnels, ni terriblement bas. En culture mathématique les performances moyennes ont été meilleures. De même la proportion d’élites scolaires est moyenne, les élèves en difficulté représentent une partie non négligeable de nos effectifs, les inégalités à la fois scolaires globales et sociales doivent également retenir notre attention. Il y a donc une réelle marge d’amélioration possible dans le système éducatif français, surtout en direction des élèves les plus faibles. Pour remonter le niveau général il faut s’intéresser à ces élèves. C’est d’ailleurs un des enseignements des deux enquêtes précédentes de PISA : les pays qui sont en tête du classement sont ceux qui parviennent à avoir une proportion d’élèves faibles peu élevée. Autrement dit, ce n’est pas en s’intéressant strictement aux élites que l’on remontre le niveau global mais en faisant en sorte qu’il n’y ait pas d’élèves qui décrochent. J’ai d’ailleurs montré dans une de mes recherches précédentes qu’il existe une forte corrélation entre le pourcentage des élèves en difficultés et la proportion des élèves de niveau 5, autrement dit, moins le système éducatif produit d’élèves en échec scolaire, plus il génère d’élite.
Que pensez des résultats de PISA 2006 dont une partie a été rendu publique avant la date officielle ?
D’après ces premiers résultats qui sont tout à fait partiels, les performances françaises sont décevantes puisque le pays n’atteint pas la moyenne contrairement aux deux enquêtes précédentes sur la compréhension de l’écrit et la culture mathématique. Mais comme je l’expliquais ce résultat n’est que partiel, il faut attendre la publication de l’ensemble de l’enquête. Il faut de plus être très prudent avec ces chiffres, on ne peut pas comparer les résultats des enquêtes PISA entre elles et par exemple on ne peut affirmer que la France voit ses résultats régresser en mathématiques. Comme je le disais précédemment, les mathématiques ne sont traitées dans PISA 2006 qu’à travers un nombre limité d’items qui ne permettent pas des comparaisons robustes.
Comment peut-on expliquer les résultats français à PISA ? Vous en donnez quelques pistes dans votre dernier ouvrage « Les nouvelles politiques éducatives, la France fait-elles les bons choix » (ou mettre en bas de page).
Il existe une multiplicité de facteurs qui agissent conjointement pour fabriquer ces résultats globaux. Pour chacun des cycles, selon les disciplines étudiées, une partie de la réponse se trouve certainement dans les contenus des programmes ainsi que les méthodes pédagogiques utilisées. Mais il ne faut pas s’arrêter là dans l’étude. Il existe aussi des facteurs structurels globaux qui jouent au-delà des disciplines. Ma dernière recherche a ainsi mis en évidence que les choix politiques d’organisation scolaire ne sont pas neutres. La décentralisation, l’autonomie scolaire, les modalités pratiques de notre collège unique, le système de la carte scolaire avec dérogations sont à mettre en relation avec les résultats.
Où avons-nous fait des choix qui peuvent être améliorés ?
En termes de décentralisation et d’autonomie tout d’abord. Pour l’instant, le transfert de pouvoirs aux collectivités locales et aux établissements reste encore trop timide, même si les conclusions de mon étude ne plaident aucunement pour une décentralisation ou une autonomie scolaire tous azimuts. Il faut arriver à trouver un équilibre entre des compétences qui demeurent au centre, qui se transforme alors en concepteur et régulateur du système éducatif et des attributions qui peuvent être déléguées aux acteurs locaux. Autre enseignement de cette recherche : l’autonomie scolaire (qui bénéficie aux établissements) est préférable à la décentralisation politique (vers les collectivités locales). De même l’autonomie pédagogique semble plus efficace que l’autonomie budgétaire.
Et notre collège unique que peut-on lui reprocher ?
Il doit évoluer pour se rapprocher d’un modèle d’école unique plus performant, que j’ai appelé « l’intégration individualisée qui gère les disparités entre élèves non plus à coup de redoublement ou avec des classes de niveau mais en s’appuyant sur de l’enseignement individualisé, enseignement individualisé qui ne se limite à pas à la remédiation comme chez nous. Il faut aller vers cette école unique plus moderne qui correspond au modèle scandinave. De même en matière de carte scolaire, notre système actuel est associé à des inégalités élevées, il doit certainement évoluer vers un libre choix régulé, c’est un système qui permet à la fois une expression des vœux des parents et la prise en compte de considérations d’intérêt général par les autorités locales qui décident au final des inscriptions. A l’opposé, aller vers un système de libre choix total, c’est-à-dire la rencontre directe entre les parents et les chefs d’établissement sans médiateur serait dommageable car ce modèle est associé comme notre carte scolaire a de fortes inégalités sans efficacité supplémentaire. Il ne faut donc pas se prononcer pour ou contre des concepts de politiques éducatives (la décentralisation, le libre choix de l’établissement, le collège unique…) mais regarder de plus près les modalités concrètes de mise en œuvre de ces concepts.
Nathalie Mons
Entretien F. Jarraud
Le dernier ouvrage de N. Mons :
Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elles les bons choix ?, Paris, PUF, 2007, 202 pages.
Sur le Café : entretien avec N.Mons