Aux élections professionnelles de l’éducation nationale, le taux d’abstention va-t-il atteindre de nouveaux sommets ? A 15 jours du vote, seulement 200 000 « espaces électeur » ont été ouverts par les 1,2 million d’électeurs du ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Le taux de participation était d’environ 40% en 2011. Il pourrait être encore plus faible en 2014. Le vote électronique est-il en train de tuer la participation électorale dans l’Education nationale et la représentativité des syndicats ?
Réunies le 10 novembre par Philippe Santana, adjoint à la directrice générale des ressources humaines du ministère de l’éducation, les organisations syndicales ont fait le point avec le ministère sur le déroulement des élections professionnelles qui auront lieu du 27 novembre au 4 décembre. Elles ont appris que seulement 200 000 « espaces électeurs » sont ouverts au 10 novembre. Seulement un électeur sur six est en situation de pouvoir voter le 27 novembre. La question d’un taux de participation particulièrement faible est posée.
La procédure électorale imaginée pour ces élections professionnelles est particulièrement complexe. Le corps électoral a été étendu pour ces élections aux personnels du privé sous contrat (environ 140 000 électeurs). Il comprend également de nombreux non titulaires (148 000), certains étant suivis d’assez loin par l’administration (les AVS par exemple). A ces motifs de fragilité s’ajoute la procédure elle-même. Pour les élections professionnelles, chaque électeur doit se déclarer sur Internet. C’est ce qu’on appelle « l’ouverture de l’espace électeur ». Pour cela, il faut avoir une messagerie professionnelle valide, se connecter et créer un mot de passe qui sera utilisé pour l’élection. Les enseignants qui n’ont pas un minimum de culture numérique ne passeront sans doute pas cette première étape. Ceux qui n’utilisent pas régulièrement leur messagerie électronique professionnelle (au moins 60% des personnels selon le ministère) n’auront probablement même pas reçu les messages annonçant l’élection. C’est sur l’espace électeur que chaque agent peut voir pour quels scrutins il est inscrit et peut découvrir les professions de foi des organisations. Il devra ensuite utiliser son identifiant électeur, un assemblage de 16 lettres et chiffres, qui devrait être remis par l’établissement de l’électeur, et le mot de passe qu’il a créé pour pouvoir voter sur le site Internet ouvert par les élections. Toute cette procédure requiert des habiletés numériques que possèdent une grande majorité des personnels mais pas tous.
Pour importantes qu’elles soient, ces particularités du scrutin ne sont peut-être pas seules en jeu. C’est aussi la question de la syndicalisation qui est posée à travers ces élections. La France se caractérise par un taux de syndicalisation particulièrement faible avec environ 1, 8 million de syndiqués soit 8% des actifs contre 25% en moyenne en Europe. Certes la situation est meilleure dans la Fonction publique (15%) et particulièrement à l’éducation nationale (24%). Mais ces taux sont en baisse régulière depuis les années 1980. Les syndicats français ont du mal à passer à un « syndicalisme de service » qui fait la force des organisations étrangères. L’émiettement syndical aggrave les choses même si les dernières lois ont tenté de le diminuer en accordant des avantages aux organisations représentatives. Enfin l’action syndicale se déroule dans un contexte peu favorable. Depuis des années les syndicats se heurtent au gel des salaires dans la fonction publique et à des conditions de travail qui se dégradent. Le mécontentement envers la hiérarchie et l’employeur augmente, comme en attestent plusieurs sondages, sans que cela profite automatiquement aux organisations syndicales.
« Situation désastreuse », « bilan épouvantable », l’élection de 2011 a laissé un gout amer aux organisations syndicales. En effet, le premier vote sur Internet a montré une forte chute de la participation électorale. En 2011, le taux de participation aux élections professionnelles s’était établi à 38,54% pour le Comité technique ministériel et à 42,98 pour les CAP. L’Education nationale avait la particularité d’avoir un fort taux de participation aux élections professionnelles : il était de 61% en 2008. Au soir du 20 octobre 2011 il était revenu à la moyenne nationale. Et ce n’était peut-être pas par hasard… On comprend que la perspective d’un nouveau recul de la participation inquiète les syndicats. Outre l’enjeu de représentativité dans l’éducation nationale, il y a aussi la question du poids des enseignants dans les négociations ouverte dans la Fonction publique qui est en jeu.
Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, a été le seul à commenter les chiffres rendus par l’administration. Pour lui , « il est certain que l’enjeu de la participation électorale est posé ». Le Snuipp a demandé au ministère de redoubler d’efforts pour la communication sur les élections. Il demande aussi que tous les établissements et écoles puissent proposer un « bureau de vote », comprenez un ordinateur relié à Internet, pour la période électorale. Le syndicat s’inquiète aussi de la capacité informatique du ministère à réaliser les élections correctement. Les serveurs de l’administration seront ils capables de faire face au flux de votes sans imposer aux électeurs de longs délais d’attente ? En 2011, la soirée des résultats avait été très tendue entre la déception des organisations électorales et l’esprit de revanche très palpable du coté des cadres de Luc Chatel. Celle de 2014 s’annonce déjà intéressante.
François Jarraud