Par François Jarraud
Quel peut être, pour le public, l’intérêt de se familiariser avec les méthodes de l’édition critique ? Tout simplement, découvrir les textes tels qu’ils ont été écrits et voulus par leur auteur. Retrouver l’exactitude de la formulation, le sens précis des propos derrière les gloses qui ont pu recouvrir de banales erreurs de transcription, dégager l’expression exacte et le terme choisi, autant d’exigences dont on peut au moins apprendre à mesurer les enjeux par l’exploration de ce domaine de recherche érudit.
C’est ce qu’explique Catherine Volpilhac-Auger, dans le nouveau site pédagogique et multimédia qu’elle consacre à ce thème ; elle souligne à quel point le respect élémentaire de la formulation d’origine a été souvent négligé, en particulier dans les manuels scolaires du XXème siècle. Spécialiste de Montesquieu, elle relève par exemple dans les éditions du chapitre XV, 5 de l’Esprit des Lois (De l’esclavage des nègres) de multiples variantes, allant parfois jusqu’à la suppression pure et simple, sans aucune indication, de certains passages. Or l’explication des textes, discipline fondamentale en littérature comme en philosophie, peut pâtir lourdement de telles approximations. L’édition critique se révèle ainsi comme un rare exemple d’application directe de la recherche érudite à l’enseignement et à l’étude.
Comment atteindre le texte d’origine ? L’édition critique reprend beaucoup des méthodes classiques de la philologie, mais avec des développements récents considérables. En particulier, elle remet en cause le dogme de l’édition originale : on sait aujourd’hui qu’elle est souvent moins fiable que le seconde édition, correctement corrigée (ainsi Montesquieu, dans une lettre à Hume, signale les « 374 corrections nécessaires » pour l’Esprit des Lois – précision que les éditeurs de sa correspondance éluderont d’ailleurs prudemment). Apprendre à lire les manuscrits, à déchiffrer les réécritures, corrections, additions et autres notes, c’est ce que proposent les cours de Catherine Volpilhac-Auger, édités en vidéo sur le site de l’ENS. Des exercices de mise en pratique, des entretiens avec de jeunes chercheurs et des conservateurs de bibliothèques évoquant les richesses de leurs fonds, des lectures de textes par un comédien, complètent ce « webdoc multimédia » ludique et passionnant.
Lire Montesquieu : les enjeux d’une édition critique, ENS de Lyon et UOH 2010.
http://lire-montesquieu.ens-lyon.fr/
Sur le site du Café
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