Moliets – 5 et 6 octobre 2006
Le département des Landes s’est préoccupé tôt de l’intégration des T.i.c. (technologies de l’information et de la communication) dans les classes. Lancée en 2001, l’opération « Un collégien, un portable » est en passe d’atteindre l’âge de raison. Elle poursuit deux objectifs : fournir des moyens pédagogiques et surmonter la fracture numérique. Destinée au départ aux élèves de troisième, ce sont aujourd’hui l’ensemble des collégiens landais de 4e et de 3e qui disposent d’un portable, soit plus de 8 500 ordinateurs distribués à la rentrée. Le colloque organisé à Moliets et Mâa les 5 et 6 octobre proposait de dresser un bilan en deux parties, sur les usages tout d’abord et ensuite sur le rôle attendu des différents partenaires : collectivités territoriales, Education Nationale, éditeurs. Une question « chaude » alors que l’Etat semble se désengager… Un portable, un collégien : un dispositif pour quels usages ? En début d’année scolaire, les portables sont prêtés aux collégiens avec des ressources installées : système d’exploitation, suite bureautique, manuels, dictionnaire, encyclopédie, logiciels éducatifs et pédagogiques. Le choix s’est porté sur des ressources en dur de façon à ne pas subordonner leur utilisation à une connexion Internet dont le coût serait trop important pour certaines familles et la vitesse aléatoire selon les zones.
Les proviseurs, les conseillers principaux d’éducation, les enseignants reçoivent également un portable. Cette mise à disposition ne constitue qu’un aspect de la politique landaise en faveur de l’utilisation des T.i.c en éducation. D’autres actions complètent le dispositif ; dans les 35 collèges publics du département, les classes sont entièrement équipées : câblage, vidéo projecteurs, tableaux interactifs ; autant de matériels qui favorisent l’intégration des T.i.c. en pédagogie.
Côté usages des enseignants, les possibilités offertes se révèlent peu à peu, d’abord par un enrichissement des supports (utilisation des animations, des schémas, des images, du son) puis par l’interactivité (et même la réactivité) générée par les outils qui impacte directement sur les méthodes pédagogiques. C’est le cas du tableau blanc interactif qui permet de jouer sur les différents supports et d’adapter le contenu du cours en fonction du niveau de compréhension, des questions et des apports des élèves. Certaines disciplines se prêtent plus facilement au multimédia : les matières scientifiques, les langues notamment, mais peu à peu les usages s’étendent aux autres domaines. Ainsi, l’enquête de Robert Louison (Rectorat de Bordeaux) réalisée auprès de 200 enseignants répartis dans les 34 collèges landais montre une utilisation qui va de 31,3 % pour les enseignants d’Eps. à 90,3 % pour ceux de Svt.. Cette utilisation par les enseignants s’étend hors des murs de la classe, pour la préparation des cours mais aussi pour la communication avec les collègues, les élèves, les parents. Elle dépend de la maîtrise de l’outil informatique et, dans son exploitation en classe, de l’existence de contenus adaptés. Une étude menée par Jean Luc Rinaudo, enseignant-chercheur à Rennes 2, en Ille et Vilaine, autre département concerné par ce type d’opération, montre qu’au lancement du dispositif, ce sont les enseignants déjà prêts qui se sont lancés dans l’aventure . Mais, aujourd’hui, de plus en plus d’enseignants utilisent les T.i.c. car ils ont réfléchi aux usages d’un outil fortement présent donc à terme incontournable. Dans les Landes, 25% des professeurs sont très impliqués, 50 % se positionnent comme des usagers du dispositif, et les 25 % restants sont encore réticents. Nous sommes donc maintenant dans la phase de généralisation, un véritable ancrage dans les usages des collèges. Des freins : la formation et les contenus La question de la formation des enseignants sur l’usage des T.i.c. est fondamentale. Un effort de formation a été réalisé par le rectorat de Bordeaux à destination des enseignants landais. D’une façon globale, le ministère de l’Education Nationale souhaite imprimer dans ses plans de formation l’importance de la maîtrise des T.i.c . Par exemple, l’obtention du C2i s’avère obligatoire pour être titularisé à la sortie de l’Iufm et le concours de professeur-documentaliste comporte désormais une épreuve avec utilisation de l’ordinateur. Parmi les actions de formation proposées aux enseignants en place, l’accompagnement technique remporte moins de succès que l’accompagnement disciplinaire visant à mieux exploiter les outils dans une matière et développer des usages pertinents. L’utilisation opportune du matériel et des ressources pédagogiques implique une pédagogie de projet, une approche pluridisciplinaire qui nécessiteraient dans leur première mise en œuvre un accompagnement des équipes. L’autre question, celle des contenus reste au cœur des débats. Le département des Landes a financé au départ la numérisation de manuels afin de palier au déficit de ressources. Progressivement, ministère de l’Education et éditeurs enrichissent le fonds d’outils pédagogiques multimédias. Les besoins sont multiples et polymorphes : du manuel incluant le programme complet au logiciel correspondant à un point précis d’un chapitre, de l’animation à l’explication de type encyclopédique, l’éventail est trop large pour trouver à chaque fois l’outil strictement adéquat. Le Conseil général des Landes réfléchit actuellement à l’organisation d’un concours sur Internet pour le développement de logiciels éducatifs. Côté Education Nationale, le Schene (Schéma de l’édition numérique pour l’enseignement) a répertorié les besoins des enseignants puis lancé un appel d’offres pour la conception des » objets numériques » correspondant à la demande. La créativité des enseignants, lorsqu’ils construisent eux-mêmes leurs outils se heurte parfois à la législation des droits d’auteurs. Pourtant, la toile fourmille de ressources libres de droit mises en ligne sur des sites personnels ou mises à disposition par des communautés d’enseignants comme Sesamaths pour les mathématiques ou les Clionautes pour l’histoire et la géographie. Paradoxalement, cette profusion rend difficile la connaissance de ces ressources et amoindrit leur accessibilité. Le portable : question d’éducation et question de territoire Mais, au delà de l’aspect pédagogique, l’opération landaise constitue une véritable offensive pour, selon Henri Emmanuelli, président du Conseil Général, favoriser » l’égalité de mérite » en faisant pénétrer l’informatique dans tous les foyers. Tout comme en Ille et Vilaine ou dans les Bouches du Rhône, autres départements initiateurs d’une opération de ce type, elle dépasse le cadre de l’école pour aborder un volet social voire économique. Ainsi, l’opération » un collégien, un ordinateur portable » a renforcé l’attractivité des Landes, pour les familles mais aussi pour les entreprises. Le conseil général joue également son rôle, attribué par les lois de décentralisation, en mettant à disposition des assistants d’éducation pour accompagner élèves et enseignants dans l’appropriation de l’ordinateur et de ses usages. Le partage des rôles avec l’Education Nationale, l’un fournit le cadre, le matériel, le personnel d’accompagnement, l’autre se centre sur l’aspect pédagogique est quelque peu brouillé par les objectifs et le rythme de chacun. Plusieurs intervenants ont souligné la lenteur du temps pédagogique. En filigrane se dessine l’incontournable résistance au changement et son corollaire, l’accompagnement. Face à cette lenteur, la tentation est forte pour les collectivités locales d’accélérer le mouvement. Et si le dialogue avec le rectorat et les familles est reconnu comme indispensables par tous, l’Ille et Vilaine et les Bouches du Rhône ont choisi de ne pas passer par la case expérimentation avant la généralisation. Pour les rectorats concernés, la simplicité apparente du message » un ordinateur pour chaque collégien » masque la complexité des opérations tant matérielles (le câblage en particulier) qu’organisationnelles. Dans tous les cas, un comité de pilotage ou un comité de suivi associant les différents partenaires, favorise un regard croisé sur l’expérience, en lien avec les orientations et les obligations de chacun. Pour les familles, si l’arrivée du portable à la maison a pu générer quelques inquiétudes liées aux usages extra-scolaires (jeux, messagerie instantanée, chat, etc.), elle apparaît également comme un moyen d’accéder aux technologies de l’information et de la communication. Une attention toute particulière a été apportée en Ille et Vilaine à une concertation préalable avec les associations de parents d’élèves puis la rencontre avec certaines familles qui rencontraient des difficultés. Ces difficultés étaient souvent révélatrices de problèmes d’autorité au sein de la famille et le relais a été pris par les services concernés. Dans les Bouches du Rhône, les associations de parents d’élèves ont été des interlocuteurs de premier plan. Dans les Landes, le réseau des médiathèques et l’Agence Landaise Pour l’Informatique peuvent accompagner les familles dans leur apprentissage du multimédia. Conçus sous l’égide d’un slogan similaire, les opérations » portables pour les collégiens » s’adaptent au contexte de chaque département : nombre de collégiens, dominante rurale ou forte urbanisation, profils socio-économiques, etc. Le portable est donné aux collégiens dans les Bouches du Rhône, il est identifié par une coque spécifique en Ille et Vilaine, par exemple. Le poids démographique du département rentre également en ligne de compte pour les négociations avec les fournisseurs d’accès et les constructeurs de matériel, autres partenaires non négligeables. Pour les trois départements présents, l’opération portable constitue une priorité pour faire face aux enjeux éducatifs, sociaux et économiques liés aux T.i.c. . Des aménagements sont effectués chaque année et s’avèreront sans doute nécessaires pour la suite mais l’action est désormais ancrée dans les usages pédagogiques des collèges. La question d’une généralisation aux autres départements a été posée. Pour les élus des trois départements ( Mireille Massot pour l’Ille et Vilaine, Jeanine Ecochard pour les Bouches du Rhône, Henri Emmanuelli et Gabriel Bellocq pour les Landes), la volonté politique est la clé du succès. Le retour sur investissement et la baisse du prix du matériel écartent quelque peu les arguments financiers face à l’importance des enjeux. Un véritable bilan ? Durant deux jours, les débats se sont succédés à Molliets et Mâa sans que pour autant un véritable bilan, une évaluation tangible puisse se dégager. Aujourd’hui, personne ne remet en cause le dispositif et il est rejoint par d’autres initiatives telles que les espaces numériques de travail. Mais comment évaluer ses effets directs, sur les compétences réelles développées, sur son efficacité pédagogique ou encore sur les effets induits, au niveau social ou économique ? Des faits marquants sont relevés ça et là : moins de violence dans la cour, reconnaissance de savoirs, de savoir-faire chez des élèves souvent éloignés des satisfecits, en valeur d’exemple mais non scientifique. Parallèlement, le rapport sur le développement des T.i.c. dans l’Education Nationale diagnostique trois retards de notre système par rapport aux critères européens : le financement des contenus numériques, l’accès au matériel et le mode d’évaluation des enseignants centré sur la discipline. Mais, comment mesurer l’acquisition de nouvelles compétences liées à la créativité, à la littératie (capacité à utiliser l’information écrite pour fonctionner en société) qui dépassent le cadre disciplinaire ? Et, quel regard objectif proposer lorsque, selon Jean-Luc Rinaudo on constate un décalage entre le dispositif idéal, celui auquel chacun des partenaires aspire et le dispositif réel vécu par ces mêmes partenaires ? Prenons alors le parti de qualifier de succès l’expérience landaise, par les pratiques qu’elle génère mais aussi par les questions qu’elle soulève. Celle du partenariat entre les collectivités territoriales, l’Education Nationale et les partenaires privés (éditeurs, fournisseurs d’accès, etc.) et celle des inégalités territoriales ne sont pas des moindres. L’expérience et de nouvelles rencontres de ce type nous aideront sans doute à creuser des réponses. Monique Royer
En savoir plus : Le site du colloque
Page publiée le 09-10-2006 |
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