Du 27 au 29 avril 2016, le lycée François Mansart de Thizy (Thizy-les-Bourgs) a organisé un colloque autour de l’enseignement de la Première Guerre mondiale (http://calenda.org/363867) et soutenu par la Mission centenaire.
Situé dans le Haut-Beaujolais, région autrefois haut lieu de l’industrie textile, Thizy-les-Bourgs a 70 km de Lyon est aujourd’hui dans une situation économique difficile. À l’initiative de Jöel Mack dit Mack, professeur d’histoire au lycée professionnelle, l’établissement cherche à se dynamiser et à impliquer les élèves autour de projets fédérateurs. Ce colloque en était à sa deuxième édition.
Au niveau de l’originalité de sa démarche, deux éléments sont plus particulièrement à signaler concernant l’implication des élèves :
· premièrement, des classes du lycée professionnel, du lycée et du collège assistent aux différentes interventions du colloque;
· deuxièmement, les élèves tant du lycée que du collège ont été impliqués directement au travers de la présentation de travaux de classe et surtout l’évaluation de jeux vidéos ayant pour thème le premier conflit mondial.
Dans cette chronique, je me propose de développer plus particulièrement les interventions donnant la parole aux élèves ou impliquant des travaux d’élèves.
Mercredi, la première journée du colloque était une demi-journée consacrée à la présentation du colloque et d’expositions. Réalisée par l’Inrap, la première exposition avait pour thème le travail et les découvertes de l’archéologie concernant 14-18. Réalisée par l’écomusée du Beaujolais, la seconde se consacrait à l’édification des monuments aux morts dans la région (http://www.haut-beaujolais.org/expositions/). En fin de matinée, je consacrais une première intervention à la Première guerre mondiale en Suisse (La Première Guerre mondiale et la Suisse : une leçon d’histoire pour aujourd’hui :
https://drive.google.com/file/d/0B5jU-i[…]). [1]
Le jeudi, deuxième jour de ce colloque, les différentes interventions portaient sur l’exploitation des sources documentaires et l’exploration de nouvelles pistes relatives à la Première Guerre mondiale. Chantal Antier nous a entretenus du rôle de la femme dans la Grande Guerre ; Gilles Prillaux, ingénieur de recherche à l’Inrap, est intervenu relativement à l’Archéologie de la Grande Guerre (http://700000.fr); Thomas Breban, assistant de conservation, nous a présenté le très intéressant fond de guerre de la bibliothèque municipale de Lyon (Lyon sur tous les fronts. Une ville dans la Grande Guerre).
Anne Barre et Béatrice Clément, de l’Ecomusée du Haut Beaujolais, nous ont intéressés au pouvoir des objets pour une histoire plus concrète et ont rendu compte de leur démarche auprès d’élèves. Si le musée dispose de peu d’objets se rapportant à 14-18, ceux-ci n’en sont pas moins emblématiques (casque, masque à gaz, douille d’obus, artisanat de tranchée, baïonnette). À partir de ceux-ci, la démarche d’enquête consiste à ce que ces objets racontent. Il s’agit de partir de la matérialité de l’objet, de le manipuler pour s’engager dans une démarche de compréhension. Leur démarche suit les étapes suivantes : identification sommaire du contenu, analyse critique, recherches complémentaires, exploitation, restitution (exposition, publication). Indépendamment de l’intérêt des élèves à la démarche, Anne Barre et Béatrice Clément ont dressé le constat que les élèves sont formatés à répondre à des questions, mais sont fort démunis pour s’en poser ce qui rend complexe de les engager dans une démarche d’enquête. Au centre de documentation du collège, le résultat du travail des élèves portait sur le parcours d’Emile Moncorger, soldat et prisonnier de guerre.
Pour ma part, mon intervention portait sur les défis et opportunités d’enseigner la Première guerre mondiale à l’ère du numérique (De la couleur des larmes (1998) à Apocalypse Verdun (2016) : défis et opportunités d’enseigner la Première Guerre mondiale à l’ère du numérique – https://spark.adobe.com/page/pEMz1/).
L’après-midi, les interventions de Violette Bordon, Michel Mauny, Christophe Dargère, Jean-Paul Nomade et Sophie Lastours concernaient à divers titres des correspondances de poilus. L’intervention de Violette Bordon présentait son blog un blog personnel consacré à Trois frères dans la Grande Guerre (http://romieu.canalblog.com) et le travail réalisé en classe avec des élèves du primaire à l’aide d’un ebook réalisé avec Didapage et la participation en 2013-2014 au concours des « Petits artistes de la mémoire » (http://www.onac-vg.fr/fr/missions/concours-scolaires-memoire-combattante/) consistant à confectionner le carnet d’un poilu (http://www.dsden93.ac-creteil.fr/spip/IMG/pdf/proj[…]). Interview via internet, travail de recherche sur le terrain, travail d’écriture, enregistrements audios, réalisation d’illustrations ont rythmé le travail des élèves, les ont initiés à la recherche, leur ont permis de faire de belles rencontres et ont été sources de motivation. Par contre, peu de témoignages ont été reçus en retour.
Vendredi matin, après une présentation par Alexandre Dufaux de son spectacle théâtral « Paroles de poilu », Romain Vincent nous a offert un tour d’horizon de neuf jeux vidéos ayant pour sujet la Première Guerre mondiale, reprenant le travail réalisé sur sa chaine youtube (https://www.youtube.com/watch?v=AxEBDG3HkKk) et précédant une table ronde avec les élèves ayant évalué cette même série de jeux vidéo. Deux attitudes de ces élèves se sont dégagées lors de cette table ronde. Pour une majorité d’élèves, le choix d’un jeu vidéo est déterminé par la campagne de publicité accompagnant leur sortie, le gameplay, le graphisme et le succès de la série. Pour ces élèves, Call of Duty ou Assassin’s Creed forment la référence absolue de ce type de produits. Un élève indique d’ailleurs qu’« une fois que tu a joué à Call of Duty, c’est difficile de jouer à autre chose ». En outre, il y a tout le phénomène consistant aujourd’hui à jouer en ligne. Pour une minorité d’élèves, leur culture vidéo porte sur les jeux vidéos indépendants et, à l’inverse de leurs camarades, leur volonté est de s’éloigner des grosses licences du moment. Il s’agit ici de trouver de nouveaux concepts, de développer sa culture du jeu vers de nouveaux territoires. Dans tous les cas, pour ces élèves, le jeu vidéo permet de développer leur imagination. Certains des jeux évalués ont, une fois que les élèves ont compris le jeu, donné envie aux élèves d’aller jusqu’au bout.
La matinée s’est poursuivie avec le travail de réalisateur documentaire de Vincent Marie, également professeur d’histoire-géo, sur les fragments d’une bande dessinée et le travail autour de la BD réalisé avec des élèves par Alain Buisson, auteur de bande dessinée. Face à des élèves qui ne savent pas dessiner, il s’agissait, pour ceux-ci, de réaliser deux planches de bande dessinée à partir de lettres de poilus, servant de base documentaire et de scénario. Il s’agit donc ici autant de développer ses capacités d’expression en dessin que d’intégrer les éléments d’un travail de recherche historique. Dans certains cas, la réussite tient dans l’implication d’élèves habituellement peu concernés par l’histoire à l’école.
La dernière demi-journée du colloque était entièrement consacrée à des travaux réalisés par des élèves des établissements de Thizy. Tout d’abord au travers du projet interdisciplinaire en allemand-histoire réalisé avec l’aide de la documentaliste du CDI et une documentaliste de l’Écomusée par les élèves de Flora Delfosse (lycée professionnel) au travers de la production d’affiches de propagande autour du thème de la famille, l’une du point de vue et en allemand, l’autre du point de vue français. Outre l’acquisition d’une méthode de recherche, ce projet a permis de développer nombre de savoirs, savoirs-faire et compétence de différentes natures : acquisition de la notion de propagande, réinvestissement d’un vocabulaire spécifique en allemand, travail en binôme, exploitation d’un corpus documentaire varié (lettres du front, films documentaires, analyses d’images), réalisation de slogan, conception d’une affiche et présentation orale en allemand.
Ensuite les élèves du programme de l’Enseignement littérature et société de Véronique Rossat (histoire-géo) et Delphine Coulon (littérature moderne) ont présenté leur travail réalisé autour des objets de l’Écomusée du Haut-Beaujolais. Pour ces élèves, la présence d’objets a rendu le sujet plus significatif. Lors de ce travail, ils ont été marqués par la masse des lettres, les objets réalisés dans les tranchées et toute l’attente à laquelle les poilus devaient faire face.
Nous avons poursuivi avec l’interview de Chantal Antier réalisé par des élèves de collègue autour de la question des femmes pendant la guerre, puis par le travail de la collecte de documents familiaux entreprises en 2014 par Joël Mak dit Mack avec ses élèves (http://www.europeana1914-1918.eu/fr). Entrepris dix jours avant la fin de la collecte, il a été possible de recueillir 6 témoignages familiaux à mettre en relation avec les 10’000 restitutions familiales obtenues pour toute la France. Pour pouvoir réutiliser ces matériaux, les documents ont été scannés et des nouveaux documents ont été récoltés cette année. 5 témoignages supplémentaires ont ainsi été récoltés dont un comportant 90 cartes postales inédites. En partant d’archives propres et nouvelles, les élèves sont ainsi initiés à la méthode historique et à une forme de didactique de l’enquête. Ainsi, concernant les cartes postales, il s’agit pour les élèves de les observer, de les interroger, de croiser les sources notamment en effectuant des recherches sur internet et de les contextualiser.
L’intervention conclusive est revenue à Julien Ruget, enseignant de physique, et portait sur le projet d’évaluation des jeux vidéo par les élèves. Pour un budget de 300€, il a été possible d’acheter les jeux vidéo qui ont été testés à l’aide d’une grille d’analyse par les élèves au CDI d’abord au lycée, puis au collège. Près de 100 questionnaires ont été remplis et le travail va se poursuivre. Globalement, il s’agit d’un projet culturel portant sur « enseigner autrement », mais également sur un questionnement portant l’avenir du lycée professionnel et d’éventuels prolongements sur les différents métiers autour des jeux vidéo (informaticiens, scénaristes, dessinateurs, graphistes, musiciens, infographistes, etc.).
Au final, il ressort de ce colloque la richesse des démarches entreprises par les enseignants autour de la thématique de l’enseignement de la Première Guerre mondiale. Pédagogiquement, la pédagogie de projet, l’interdisciplinarité et le travail en équipe sont au coeur de ces démarches. Didactiquement, la méthodologie historique s’appuie sur une didactique de l’enquête. Tous les intervenants ont, d’une manière ou d’une autre, mis en évidence une difficulté majeure : celle consistant pour les élèves à sortir de la pédagogie de la réponse à laquelle le système scolaire français (mais pas seulement) les cantonne pour entrer dans une pédagogie du questionnement, de la recherche et de l’enquête. Il faut souligner également l’engagement de ces enseignants, plus particulièrement de Joël Mak dit Mack et de Julien Ruget, ainsi que celui du proviseur et du proviseur adjoint pour donner de nouvelles perspectives et un avenir tant à leurs élèves qu’à Thizy et ses environs.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Je renvoie mes lecteurs à ma chronique 151 du Café pédagogique : Pourquoi enseigner la Première Guerre Mondiale en Suisse ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2[…]?