Par Jeanne-Claire Fumet
L’école maternelle Jacques Prévert, du Mée, en Seine et Marne, s’est lancé le difficile défi d’initier des élèves de maternelle à la réflexion philosophique, pendant deux années consécutives. Un film, à sortir en novembre 2010, retrace cette aventure et l’évolution de ces très jeunes enfants autour de leur institutrice, Pascaline Dogliani. Présenté en avant-première à la presse le 10 juin à Paris, ce documentaire plein de charme qui laisse pourtant transparaître les limites d’une telle démarche.
Talentueusement saisis par Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier, les élèves de l’école Jacques Prévert du Mée nous livrent leurs préoccupations et leur perplexité face à des questions pas toujours aisées à aborder à cet âge. Qu’est-ce qu’être un chef ? Seule une posture de commandement répondra d’abord à la question. La mort ? Visiblement pas un phénomène très réel, pour les petits, au contraire de l’amitié et de l’amour, qui tiennent une place prépondérante dans leur vie et leur imagination. Enjeux d’alliances et de rivalités, épreuve de la domination : « elle me regarde tout le temps, mais je veux plus être son amoureux » lance un garçon à sa petit admiratrice navrée. La sexualité aussi, implicitement présente derrière les silences et les chuchotements rieurs, compte parmi les sujets importants.
La caméra arpente en contrepoint les gris paysages industriels de la cité, les barres d’immeubles et l’absence d’espaces urbains vivants. Passant dans l’intimité des foyers, elle dévoile au spectateur l’arrière-plan des propos et des attitudes enfantines : la disparité des conditions sociales et des origines, des situations familiales et des cultures, semble sous ce regard, étrangement, moins déterminante que le mal-être des adultes dans leur propre existence personnelle ou sociale.
Mais de quoi s’agit-il dans cet atelier de philosophie ? C’est un précieux moment de concentration attentive offert aux enfants, solennisé par la bougie qu’allume la maîtresse au début de la séance, et qui les ramène à leur propre intériorité, souvent malmenée par les contraintes du quotidien. C’est aussi le moyen de susciter des échanges avec les parents, qui progressivement s’emparent des thèmes évoqués pour prolonger la discussion après l’école. C’est enfin l’occasion de permettre aux enfants d’évoquer des questions dont on ne parle pas, parce que ce n’est jamais le lieu ni le moment. Mais d’où vient alors cette impression que les propos des enfants glissent progressivement vers plus d’assurance et de banalité au fil du temps ?
Quand on rit de l’insistance récurrente d’une élève à définir « être intelligent » comme le fait de ne pas « ranger le pot de Nutella dans le frigo », se trouve-t-on devant un incident comique mis en valeur par le film, devant une limite concrète de la pensée enfantine au regard de ce qui est attendu, ou devant l’expression indirecte d’un souci personnel lourd de sens mais inaperçu? On rit de ce qui fait saillie parce que l’on s’éprouve en possession d’un repère adéquat pour dissocier l’incongru du pertinent. Or la démarche philosophique ne naît-elle pas du surgissement de l’intempestif, reconnu et interrogé comme faille du bon sens attendu ouvrant vers de nouveaux sens inédits ? Pour s’en saisir et relayer l’intempestif de manière féconde, plutôt que de le neutraliser (avec la meilleur volonté du monde) dans ce qu’on « croit » être juste, une connaissance informée de ce qu’est la philosophie classique n’est peut-être pas inutile, d’autant que l’on se situe là à la croisée périlleuse de la pédagogie, de la psychologie et de la philosophie – tout sauf un jeu d’enfant, par conséquent.
Ce n’est qu’un début – Une expérience de philosophie en classe maternelle.
Film de JP Pozzi et P. Barouglier
Production Ciel de Paris, avec le soutien du Conseil Régional d’Ile de France et du CNC.
Sortie en salle le 17 novembre 2010.
Première projection au Festival Paris Cinéma début juillet à Paris.