La question juridique à propos du numérique dans les contextes d’enseignement reste une question vive. Le récent épisode de cette question à l’occasion du message du directeur de la Direction du Nunmérique éducatif (DNE) du ministère sur les données personnelles et les GAFAM, centrale en matière de numérique, a mis en évidence plusieurs des points cruciaux qui doivent toujours être questionnés quand on veut utiliser les moyens numériques dans son enseignement : protection des personnes, des données personnelles, droit à l’image, droit d’auteur, etc. A ces questions juridiques s’ajoutent, bien évidemment les questions économiques, marchandes mais aussi éthique et politique.
Malgré les efforts des uns et des autres pour clarifier les règles, droits, chartes et autres cadres de référence, il y a souvent beaucoup de flou, d’imprécision, de fausses croyances, de vraies certitudes qui ne se vérifient pas toujours etc. A cela plusieurs causes : la première est que le droit est en perpétuelle évolution, la deuxième est que les textes du droit font l’objet d’interprétations multiples qu’elles viennent des juges et autres professionnels du droit ou encore du simple citoyen, la troisième est que nous ne respectons pas toujours ce que le droit nous dit (impose) de faire. Un exemple simple : je n’ai pas le droit de copier certains documents pour les distribuer à mes élèves sans les déclarer, ou même parfois en avoir l’autorisation explicite, ou encore sans citer la source. Il suffit de se promener dans certaines salles de classe ou salles des professeurs pour se rendre compte que le droit n’est pas toujours respecté… Alors devant l’objet numérique aux contours complexes, sans frontières et en perpétuelle évolution, on imagine bien que l’application du droit est une question dont certains peuvent avoir envie de se passer pour faire « comme ils ont envie ». Or justement une bonne partie du droit est établi par ce que l’envie de certains peut nuire à d’autres et que la protection des personnes et de la société en générale est une des raisons d’être essentielle du droit.
En travaillant cette question assez longtemps, on s’aperçoit que le droit ne se résume pas à la loi écrite, votée, attestée. En effet lorsqu’il arrive enfin dans son officialisation, il est souvent déjà questionné, presque obsolète. Car le droit est aussi la résultante de notre vie en société et des choix que nous faisons, individuellement et collectivement. Les changements apparus au cours des cinquante dernières années sont importants et ne concernent pas loin de là uniquement le domaine de l’informatique et du numérique. Ils concernent aussi la santé, le travail, la famille, etc. Dans le monde scolaire, ils sont nombreux, même si cela reste encadré par un ensemble de repères qui sont stables. Aussi l’impression des réformes qui passent et des évolutions constantes (parfois au gré des ministères successifs) dans plusieurs domaines ne doivent pas faire oublier les éléments de stabilité comme la salle de classe, le baccalauréat (deux siècles quand même), les découpages disciplinaires, etc. Le déploiement de l’informatique a dans un premier temps questionné à l’intérieur de la salle de classe, de l’établissement, sans vraiment transformer le système scolaire. C’est l’arrivée, il y a maintenant plus de vingt années d’Internet dans sa version publique et en particulier du web qui est à la source de transformations qui donc vont imposer une révision des questions juridiques. Cela concerne bien sûr en premier lieu le code de l’éducation, mais ce code s’insère lui dans le cadre global du droit français. Cela d’autant plus qu’une des particularités des moyens numériques est d’avoir permis des « franchissements de limites » nouveau, à commencer par celui de l’espace scolaire.
Dans plusieurs cas de comportements délictueux autour des usages du numérique, il a fallu rappeler aux membres de l’institution scolaire que l’espace de l’école n’est ni un espace de non droit et surtout pas un espace dans lequel le droit serait en opposition avec le droit en dehors de l’établissement. Si la première assertion est évidente, les règlements intérieurs en témoignent, la deuxième est plus étonnante : soit on trouve dans des règlements intérieurs des clauses illégales en regard du droit général, soit dans les pratiques effectives, on observe des infractions réelles à la loi. Nous avons antérieurement déjà signalé la faiblesse des sites institutionnels sur ce point, cela semble s’améliorer. Ce qui pose question c’est aussi l’idée de Charte de confiance ou encore celle de cadre de référence. Ces deux termes jouent avec une ambiguïté par rapport à la Loi : est-ce juridiquement opposable oui ou non et dans quelle mesure cela peut-il être force dans un jugement ? Dans les établissements scolaires dans plusieurs cas des chartes informatiques et autres ont été mis en place. Mais quelle est réellement leur force règlementaire et juridique… ?
Si nous prenons soin d’aller au coeur de la pratique enseignante on peut se questionner, chacun de nous, sur notre propre rapport à la loi aux textes officiels, au chartes et cadres. Quand je prépare mes séquences d’enseignement, quand je suis dans la salle de classe etc.… mon interrogation sur la question de mes droits et devoirs n’est pas immédiatement présente, à l’esprit tant que la situation est « normale ». Cependant lorsque des incidents se produisent, c’est là qu’il est nécessaire que se réveille cette « conscience juridique » et donc, au minimum, l’émergence de la question : j’ai le droit ou pas de faire ce que je fais ?
Si nous prenons soin d’aller au coeur de la salle de classe, du côté des élèves, on est encore plus interrogé par cette question de la relation au droit : quand, où et comment sont transmis les codes juridiques dans l’institution scolaire. Quand des élèves filment et diffusent en direct ce qui se passe dans la classe, ont-ils conscience des questions de droit que cela pose ? La contradiction du système scolaire est intrinsèque à sa mission, elle doit permettre aux jeunes d’accéder aux codes de vie en société dans un espace protégé et contrôlé. Si la classe est une sorte de société en miniature, faut-il y faire rentrer ce qui se passe dans la rue ou à la maison pour que l’on prenne conscience des infractions ou non à la loi ?
La récente prise de position du responsable de la Direction du Numérique pour l’Education du Ministère renvoie à tous les étages de l’institution scolaire la nécessaire prise en compte du juridique. Or, au vu des réactions de la CNIL mais aussi de plusieurs acteurs de l’éducation on peut constater, et ce n’est pas la première fois, que nous avons globalement tendance à traiter ces questions avec légèreté, à moins que ce ne soit un parti pris ou, bien pire, une ignorance. Si nul n’est censé ignoré la loi, nul n’est censé ignorer qu’elle est vivante, qu’elle fait débat et qu’elle est un des composants indispensables à l’analyse et l’évolution de toute activité humaine. Si on peut avoir le droit de prendre des risques, on n’a pas celui de mettre les autres en danger.
Bruno Devauchelle
Le ministère ouvre l’Ecole à Google ?