Peut-on résoudre une difficulté majeure du système éducatif à l’aide des maths ? C’est ce que tentent Olivier Tercieux, Camille Terrier et Julien Combe. Ces trois chercheurs de l’Institut des politiques publiques (IPP) proposent un nouveau mode de calcul du mouvement des enseignants du second degré capable préserver les intérêts de l’institution, notamment dans les académies difficiles, et d’augmenter de 30% le nombre des enseignants obtenant leur mouvement. Une bonne nouvelle pour les enseignants ?
Un mouvement décevant …
Le mouvement enseignant est un phénomène massif. En 2014, 17 100 professeurs des écoles ont souhaité changer de département. Dans le second degré c’est 28 000 professeurs qui ont demandé une autre académie. Enfin il est très centralisé. La moitié des demandes proviennent d’Ile de France et 5 départements constituent la moitié des destinations demandées.
Il est surtout très difficile à vivre. Ce système génère une géographie particulière à l’éducation nationale où se cotoient des zones très recherchées mais quasi inaccessibles et des « pièges » d’où l’enseignant mettra longtemps à sortir. Ainsi pour le second degré, seulement 9% des demandes de sorties ont été reconnues en 2014 en Seine Saint-Denis, 6% dans la Nièvre et au niveau national 23%. Pour autant il n’arrive pas à empêcher de fortes inégalités entre académies. Certaines académies peu recherchées ont un pourcentage important de non titulaires (Créteil 12%) alors que d’autres en ont peu (Besançon 4, Toulouse 5%).
Qui peut aggraver les inégalités pédagogiques
Le système génère des inégalités pédagogiques au détriment des académies les moins recherchées et les plus populaires. » Les territoires les plus attractifs vont mécaniquement concentrer les enseignants les plus chevronnés. Inversement, les académies les moins attractives connaîtront la plus forte proportion de jeunes enseignants et la plus forte rotation des équipes », dit un rapport de décembre 2015. « Or les territoires présentant les résultats scolaires les moins élevés sont aussi ceux où les difficultés de stabilisation des équipes pédagogiques sont les plus fortes ». Ajoutons que ces difficultés de mutation jouent un rôle dans les difficultés de recrutement de l’Education nationale.
« La question de l’affectation des enseignants se situe au croisement de ces deux problématiques », écrivent les auteurs. Ils soulignent la contradiction du système : fait pour faciliter le mouvement il doit aussi sauvegarder les intérêts des académies répulsives. Il faut concilier le désir de quitter des enseignants avec la nécessité de garder des enseignants chevronnés dans les zones difficiles.
Dans le système actuel
Or ces deux objectifs peuvent être mieux concilier. C’est ce que démontrent les auteurs en recalculant la totalité des mouvements des enseignants de 2014 avec un algorithme différent de celui qui est utilisé actuellement.
Dans le système actuel, les enseignants sont dotés d’un barème fixé par l’administration sur des critères publics. Ils entrent dans un mouvement en 3 étapes, selon un » algorithme d’acceptation différée ».
« • Étape 1 : tous les enseignants candidatent dans l’académie qu’ils classent en premier voeu. Les académies acceptent temporairement les candidats par ordre décroissant de barème dans la limite des places disponibles, et rejettent les autres candidats. Un point important est que l’acceptation est temporaire.
• Étape 2 : tous les candidats rejetés à l’issue de la première étape candidatent dans l’académie la mieux classée parmi celles auxquelles ils n’ont pas encore candidaté. Les académies considèrent conjointement les nouvelles candidatures et les candidats temporairement retenus à l’étape 1. Parmi cet ensemble d’enseignants, les académies acceptent temporairement les candidats par ordre décroissant de barème dans la limite de leurs places disponibles, et rejettent les autres. Un candidat peut donc avoir été temporairement accepté à l’étape 1, mais rejeté à l’étape 2 du fait de la candidature de nouveaux enseignants disposant d’un barème plus élevé.
• Le processus se termine après un nombre fini d’étapes, lorsqu’aucun enseignant n’est plus rejeté par une académie. L’acceptation des académies est alors définitive et détermine l’affectation finale des enseignants. »
Dans ce système, selon les auteurs, le mouvement est freiné par le droit à rester dans son académie d’origine qui se traduit dans l’algorithme par un maximum de points pour le choix de rester dans son académie placé en dernier choix. Ils montrent comment un enseignant ayant beaucoup de points dans une académie non demandée peut bloquer le mouvement d’autres enseignants qui pourraient s’échanger leurs poste. Au final, personne ne bouge !
Le nouvel algorithme de l’ échange mutuellement améliorant
Olivier Tercieux, Camille Terrier et Julien Combe proposent un autre algorithme qu’ils appellent « échange mutuellement améliorant ». Pour respecter la nécessité de ne pas affaiblir les académies répulsives (appelées prioritaires dans l’étude) , un biais de calcul est ajouté pour ces seules académies : seuls des enseignants ayant un barème supérieur aux sortants peuvent y entrer. Sion le taux de néotitulaires y augmenterait rapidement.
L’algorithme fonctionne ainsi. « A chaque étape de l’algorithme, nous définissons pour chaque enseignant l’ensemble des académies pour lesquels il est dit « éligible ». Pour déterminer si un enseignant est éligible à une académie, deux cas doivent être distingués :
1. L’académie n’est pas prioritaire : l’enseignant y est automatiquement éligible si certains enseignants en poste dans cette académie ne sont pas encore affectés.
2. L’académie est prioritaire : pour que l’enseignant y soit éligible, il doit disposer d’un barème plus élevé que certains des enseignants en poste dans cette académie, faisant une demande de mutation et n’ayant pas été encore affectés par l’algorithme.
A chaque étape de l’algorithme, un échange mutuellement améliorant (EMA) existe si un ensemble d’enseignants peuvent tous échanger leurs académies et : l’académie obtenue par chaque enseignant dans cet échange est son académie préférée parmi les académies auxquelles il est éligible, et si dans cet échange, un enseignant prend le poste d’un autre enseignant dans une académie prioritaire, alors il doit avoir un barème supérieur à ce dernier dans cette académie ».
32% de mouvement en plus
Mais ce qui comte c’est le résultat final. Selon les calculs des auteurs avec le nouvel algorithme on aurait eu une hausse de 32% du nombre d’enseignants ayant obtenu leur mutation, 25% en français et en maths et 40% en anglais. Les consignes particulières imposées aux académies prioritaires auraient permis le maintien du statu quo dans les académies « prioritaires ».
Cette option permet donc d’améliorer significativement le mouvement global tout en garantissant que dans les académies d’Amiens, Créteil et Versailles, identifiées comme prioritaires, la situation ne se dégrade pas sur le plan pédagogique. On a même une légère amélioration dans celles ci.
« Même si le choix final dépend d’une concertation entre les différents acteurs sur les objectifs à atteindre, notre travail souligne l’impact positif important que pourrait avoir une modification du système actuel d’affectation des enseignants », écrivent les auteurs. » L’objectif de cette note est de mettre en évidence l’importance de la procédure informatisée d’affectation des enseignants pour améliorer le système éducatif dans deux dimensions essentielles. D’abord, en permettant d’augmenter les perspectives de mobilité géographique des enseignants et donc, dans une certaine mesure, d’améliorer l’attractivité de la profession. Mais aussi en permettant de relever le niveau moyen d’expérience des enseignants affectés dans les académies les plus défavorisées, de manière à contribuer à la réduction des inégalités de réussite entre élèves ».
« On espère être entendu », nous a confié Olivier Tercieux. « On peut dire aux acteurs du système que quelque soient leurs a priori on peut améliorer l’algorithme. Il n’y a pas trop d’options plus satisfaisantes ». Le message est lancé…
François Jarraud