Fabien Gaveau, le développement de l’école rurale au XIXe
Les enjeux de l’Ecole au début du XIXe
Le mouvement du XVIIIe pour l’instruction, déjà tendu entre expérimentation et instruction, pense » individu » avant de penser » école « . Les pouvoirs publics n’entendent pas encore heurter l’autorité éducative paternelle, mais cherchent à façonner le citoyen. Au fil du XIXe, on va assister à une standardisation de plus en plus grande des normes scolaires, s’attaquant d’abord à la formation des enseignants (créations des Ecoles Normales). L’administration s’affirme, en même temps que l’Etat Républicain, contrôle, norme.
1. L’héritage révolutionnaire (avant 1830)
La campagne, à cette époque, ce sont des villages entre 100 et 600 habitants. Le tissu social n’est pas qu’agricole, et la diversité sociale est réelle. L’administration est réduite à sa plus simple expression, la démographie est galopante (les campagnes n’ont jamais été aussi peuplées). L’essentiel de l’éducation se fait auprès des familles., mais un lieu collectif d’accueil et d’instruction existe généralement (même s’il n’existe pas toujours de bâtiment spécifique), avec une personne qui en a la charge, par « enseignement mutuel ». Certains départements organisent déjà des concours de recrutement d’enseignants, dans le but de former » de bons chrétiens capables de tenir leurs affaires et de les défendre « . La rémunération des enseignants est tantôt communale, parfois tantôt, avec une prise en compte spécifique par la communauté des élèves » indigents » qui est aussi un instrument de contrôle social.
Sous la Restauration, les fonctions d’un » ministère de l’instruction » sont peu lisibles. Son budget est quasi-inexistant. Mais ses structures de contrôle politique sont déjà présentes : soumission à la monarchie, docilité. En Côte d’Or, en 1816, le Préfet mène l’enquête sur les enseignants et fait le ménage : « ivrogne », « pas bon », « révolutionnaire et immoral », « jacobin, à mettre quelques jours en prison »…
Progressivement, l’idée d’une maison d’école voit le jour. Il s’agit de montrer que le roi est un bon père de famille, capable de fournir à chaque village un lieu symbolique : sur 38000 communes, 15000 n’ont pas encore de bâtiment scolaire.
2. Guizot : une profusion de normes scolaires progressivement normalisées
Sous la monarchie de Juillet, une nouvelle politique se met en place, visant à renforcer l’encadrement par une Instruction Publique digne de ce nom. En 1830, on prépare une nouvelle loi scolaire, en allant regarder ce qui se fait dans les pays protestants (Allemagne, Pays du Nord) qui veulent émanciper l’individu dans un rapport personnel aux textes sacrés. La scolarisation de développe, surtout en hiver, pour apprendre à lire, écrire, compter, accroître le sentiment national et respecter l’ordre social. C’est surtout dans les campagnes que la scolarisation est réelle, quand les enfants des villes sont encore tous au travail.
La loi prévoit la construction d’une école et la rétribution d’un instituteur, toujours pas reconnu comme un véritable métier. Mais les communes peinent à faire le choix de l’Ecole, continuant parfois à prioriser l’entretien des chemins… Les volontés politiques des pouvoirs locaux et des préfets sont souvent des plus ténues.
Un phénomène économique tend à retarder la scolarisation des élèves : la lutte libérale et victorieuse des propriétaires contre les usages » communaux » (liberté de grapillage, libre circulation des animaux sur les » pâtis » communaux…) entraîne le développement du travail des enfants pour garder les minuscules troupeaux familiaux, ce qui peut expliquer le reflux constaté dans la scolarisation.
Les filles, si elle ne sont pas forcément exclues des écoles de villages (jardins d’enfants de Frobel), sont surtout prises en charge par les congrégations religieuses.
Cependant, le contexte libéral et la responsabilité communale a multiplié les formes d’enseignement : ouverture des portes aux adultes, cours du soir (qui sont fermés par le pouvoir politique lorsqu’ils sont jugés subversifs) ; instituteurs itinérants ; » école rurale des pauvres » pour redresser les gens et leur apprendre à travailler ; mais aussi écoles » nouvelles » dans la lignée des idées de Pestalozzi ou Fourier, demandant de former les jeunes sur des mécaniques ou avec des ateliers : toute une pluralité d’usages éducatifs et de modèles scolaires que Duruy et Lavisse vont chercher à mettre progressivement sous contrôle en 1867.
3. Jules Ferry, le triomphe d’une manière de voir.
Les lois de 1881, si elle ne révolutionnent rien, prennent leur distance avec la puissance paternelle tout en la respectant (distinction entre action publique et morale privée). Mais les mêmes objectifs de pacification, de moralisation, de mérite individuel pour une minorité subsistent. L’ascension sociale qu’elle va produire ne sera pas si différente de la situation d’avant 1789. Ce n’est pas d’émancipation collective qu’il s’agit : jamais il ne sera question d’imaginer autre chose que le » primaire » pour la plupart des élèves.
Sur l’histoire des relations entre le local et le centre pour l’Education : voir aussi la contribution de Claude Lelièvre au colloque « Education et territoires » de Poitiers
Patrick Picard – publication le 01-12-2006
Sommaire :
- • Accueil
- • Combien de divisions ?
- • Une histoire loin d’être linéaire
- • Une « Ecole de la périphérie » ?
- • Des formations spécifiques à imaginer
- • Quelle efficacité pour l’Ecole rurale ?
- • Les syndicats font le point dans la Nièvre
- • Faire la campagne à la ville ?
- • L’enseignement agricole, fils aîné du monde rural ?
- • Liens