Par François Jarraud
De 1995 à 2007, la dépense intérieure d’éducation est passée de 111 000 à 125 000 euros, le budget de l’éducation nationale de 50 milliards à 67. Mais cette croissance cache une chute réelle. L’effort national pour l’éducation qui représentait 7,6% de la production nationale (PIB) ne pèse plus que 6,6. C’est une chute sans précédent, alors que le nombre d’élèves (primaire, secondaire et supérieur) accueillis par l’éducation nationale est resté stable depuis 2000, aux alentours de 12 millions. Mais pour Luc Chatel le pire est devant : en 2011 le budget de l’éducation nationale devra rester stable, c’est-à-dire qu’il diminuera en termes réels, compte tenu de l’inflation. Comment accueillir plus d’élèves pour élever les qualifications et payer leurs enseignants avec moins d’argent ?
François Baroin a présenté trois années d’austérité budgétaire
C’est trois années de rigueur budgétaire et de baisse réelle du budget de l’éducation nationale que François Baroin, ministre du budget, a présenté aux députés le 7 juillet 2010.
Un budget stabilisé en euros. « Le montant global du budget de l’Etat diminuera en volume de 0,2% en 2011″ a annoncé F. Baroin. Hors charge de la dette et des pensions, le budget s’établira à 274,84 milliards en 2011, 2012 et 2013. Pour la première fois depuis la déflation Laval en 1935, il ne suivra pas l’inflation. Pour cela l’Etat compte à la fois réduire le nombre de fonctionnaires, les dépenses de fonctionnement mais aussi les prestations servies par l’Etat. » Pour les dispositifs de guichet (bourses, minima sociaux, exonérations de charges etc.), la maîtrise de la dépense peut passer par une modification des paramètres législatifs ou réglementaires qui régissent le niveau et les conditions d’ouverture des droits aux prestations », écrit F Baroin.
Le budget de l’éducation en baisse réelle. Les crédits de la mission « enseignement scolaire » qui représentent 44 milliards en 2010, resteront à hauteur de 44 milliards de 2011 à 2013. Ils perdront même une quarantaine de millions. Cette stabilité correspond en fait à une baisse réelle, compte tenu de l’inflation.
16 000 postes d’enseignants supprimés en 2011. Ainsi c’est trois années de suppressions massives de postes qui sont programmées. Le ministre a confirmé la disparition de 33 493 emplois en 2010 et a annoncé 31 400 suppressions de poste en 2011, 32 800 en 2012, 33 000 en 2013. Cela correspond à un départ en retraite sur deux. C’est l’éducation nationale qui fera le gros de l’effort. F Baroin a confirmé la disparition de 16 000 postes dans l’éducation nationale en 2011. On passerait de 963 000 à 947 000 emplois.
Les enseignants paient la note. Pour réaliser cet objectif, le gouvernement réduira nombre de prestations sociales et peut-être par exemple les bourses. Mais 3 milliards d’économies seront faits sur les salariés de l’Etat. Comme les salaires tendent à augmenter automatiquement compte tenu de l’ancienneté acquise par les fonctionnaires, la stabilité ne peut être atteinte que par des pressions sans précédent sur eux. « La hausse du point fonction publique de 0,5% réalisée au 1er juillet 2010 et ses effets sur 2011 sont bien entendu intégrés à la programmation. En revanche, la contribution des fonctionnaires au nécessaire redressement de nos finances publiques passe par l’absence de revalorisation du point fonction publique en 2011. Pour 2012 et 2013, le rendez vous salarial annuel permettra de déterminer l’évolution du point d’indice, compte tenu de la situation économique ». En clair, le gel des salaires est annoncé de juillet 2010 à 2012.
Des députés UMP veulent aller plus loin. Mais le débat à l’Assemblée nationale le 6 juillet a révélé que certains députés UMP veulent aller plus loin encore. Ainsi Gilles Carrez, rapporteur du budget : « En ce qui concerne, d’abord, la masse salariale, nous avons tous pensé qu’avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite la masse salariale était stabilisée en valeur. Pas du tout ! Si l’on regarde l’exécution 2009, la masse salariale, malgré cette règle du « un sur deux », a progressé par rapport à 2008 de 800 millions d’euros. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous étudiiez un objectif de stabilisation en valeur de la masse salariale, si ce n’est en 2011, en tout cas en 2012 ».
Le document budgétaire
http://www.budget.gouv.fr/themes/finances_publiques/docume[…]
Les débats à l’Assemblée
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-2010-extra/2[…]
Les projets du gouvernement dévoilés par la RGPP
Etablissements du primaire, chasse aux postes et spécialement aux Rased… Pas besoin de fuites : les objectifs fixés au ministère de l’éducation nationale s’affichent dans le dernier rapport d’étape de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).
Le document publié le 30 juin 2010 par le Ministère des finances fixe les objectifs pour les ministères : globalement réduction de 100 000 postes de fonctionnaires d’ici 2013 et de 10% des dépenses de fonctionnement et d’intervention. Pour l’éducation nationale, la RGPP fixe 4 axes de transformation : réforme du primaire, réorganisation de l’offre du second degré, nouveaux services aux familles, rationalisation.
Au primaire, la RGPP entend « optimiser l’organisation scolaire et la mettre au service des objectifs de lutte contre l’échec scolaire et d’ancrage du socle commun de connaissances ». Pour cela c’est « l’organisation du réseau des écoles » qui est privilégié. « Le ministère travaille à la création de groupements d’établissements, nommés « Etablissements du socle commun », constitués autour d’un collège. Au-delà de la rationalisation de l’organisation et d’une plus grande souplesse de l’action pédagogique, cette mesure vise à renforcer la continuité des apprentissages du socle commun et la communication entre les enseignants des 1er et 2nd degrés, au bénéfice des élèves et de leurs familles. Cette mesure s’accompagnera d’une optimisation de la taille des classes, prenant en compte les spécificités de chaque établissement ». Ce dernier pont rejoint les instructions envoyées aux académies pour revoir à la hausse le nombre d’élèves par classe.
La réforme du lycée est aussi mobilisée pour ces économies. « Le ministère s’est donné comme objectif de rationaliser l’offre scolaire, dès la rentrée 2011. Plusieurs pistes sont explorées, à partir d’une analyse des marges de manoeuvre existantes : possibilités de mise en réseau des établissements pour assurer de manière optimale certains enseignements, mise en place de troncs communs réunissant des élèves de différentes séries, rationalisation de l’enseignement de certaines disciplines… »
Dans le secondaire, « l’optimisation de l’utilisation des moyens, de même que la nécessité de proposer une offre de formation diversifiée, conduit le ministère à une réflexion sur la taille optimum des établissements, leur maillage territorial, ainsi que sur l’optimisation de la taille des classes au collège ». Là encore les consignes ministérielles publiées par le Café envisageaient d’augmenter le nombre d’élèves par classe et de fermer les petits établissements.
Des suppressions de postes sont annoncées plus directement. « Il convient pour l’avenir d’améliorer la disponibilité de la ressource enseignante. L’analyse de la part du potentiel enseignant en responsabilité d’une classe permet de mettre en évidence la possibilité de recentrer certains personnels assurant des fonctions non directement liées à l’action éducative sur la prise en charge de la difficulté scolaire. De la même manière, il apparaît nécessaire que chaque académie, en fonction de ses spécificités, recense les activités que recouvrent certaines décharges horaires non statutaires et les limite à celles qui confortent l’acte éducatif. Il appartient également à chaque recteur de redéfinir, en concertation avec les inspecteurs d’académie, les modalités de la mobilisation des maîtres E et G dans le cadre de la réforme du temps scolaire à l’école primaire, afin de mieux prendre en compte la difficulté et de garantir une continuité pédagogique entre les maîtres spécialisés et leurs collègues ». Un décryptage du jargon administratif pourrait traduire ces mesures en la suppression des décharges et mises à disposition, l’envoi des enseignants des Rased (réseaux d’aide spécialisée) dans les classes. Enfin, « le ministère cherchera également à optimiser l’enseignement des langues dans le premier degré. Le développement du cursus des professeurs des écoles leur permet aujourd’hui d’être habilités à enseigner les langues vivantes ». C’est-à-dire que les intervenants qui enseignant les langues seront licenciés, même si la majorité des enseignants du primaire ont été recrutés bien avant la réforme des concours.
Feu vert. Sur ces différents objectifs , le ministère avance à un rythme jugé suffisant par la RGPP. Un seul « feu rouge » pour Luc Chatel : « améliorer la disponibilité de la ressource enseignante ». Nul doute que Luc Chatel s’emploie à passer au vert…
Le rapport
http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/fileadmin/imgs/dossie[…]
Premières réactions au budget
L’Unsa éducation et la Fcpe ont réagi aux documents budgétaires présentés le 7 juillet. La FCPE « s’indigne de cette décision, que le gouvernement justifie par la grave crise économique et sociale que nous traversons. Elle observe cependant que loin d’être une conséquence de la crise, cette mesure avait été décidée avant même le début de la crise puisqu’elle s’appuie sur une promesse faite lors de la campagne électorale de l’actuel président de la République… Ces choix sont avant tout idéologiques et le service public d’éducation n’est plus une priorité dans notre pays. S’il en fallait une preuve, il suffirait d’observer que d’autres pays, dans des contextes tout aussi difficiles sinon plus, ont pris des orientations radicalement différentes ». La Fcpe fait allusion par exemple, à l’Allemagne, au Québec et à l’Inde qui ont tous trois augmenté leur budget de l’éducation.
« Le ministère de l’Education nationale en adressant 13 fiches aux recteurs a donné le signal d’une véritable chasse aux postes », estime l’Unsa éducation. « La priorité à l’éducation et au service public est abandonnée par un gouvernement qui confond de plus en plus l’Etat avec une entreprise. Le ministre du Budget parle de restituer les « économies » réalisées sous forme de pouvoir d’achat à des fonctionnaires qui voient au contraire leur salaire gelé en 2011. Pour l’UNSA Education, le cynisme et le mépris gouvernemental atteignent leur comble ». L’Unsa appelle les personnels d’éducation à se mobiliser le 7 septembre, journée d’action nationale.
Communiqué
http://www.fcpe.asso.fr/ewb_pages/a/actualite-fcpe-2381.php
L’OCDE appelle à investir dans l’éducation
« La période qui va suivre la crise économique sera caractérisée par une demande sans précédent en enseignement supérieur » a annoncé Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, le 8 septembre à Paris. Il présentait à la presse l’édition 2009 des Regards sur l’éducation, un ouvrage qui synthétise les travaux et les données de l’OCDE sur l’éducation.
Les études sont rentables. L’OCDE s’est attaché à calculer ce que peuvent rapporter des études supérieures au diplômé et à la société. Selon l’OCDE, un homme diplômé de l’enseignement supérieur bénéficiera d’un avantage salarial cumulé tout au long de sa vie de 186 000 $ par rapport à celui d’un diplômé du secondaire. Pour les femmes, le salaire cumulé est de 134 000 $ seulement. Le salaire masculin varie de 74 000 en Turquie à 367 000 aux Etats-Unis. Dans certains pays l’écart entre hommes et femmes est minime , comme en Australie ou en Turquie, dans d’autres il va du simple au double, relevant l’absence de parité, comme en Italie. Compte tenu du coût des études, le bénéfice cumulé est de 82 000 $ pour les hommes et 52 000 $ pour les femmes. Mais les diplômés du supérieur apportent aussi plus de contributions à la société. Le gain est de 51 000 $ pour un homme (et 27 000$ pour une femme) c’est-à-dire le double des dépenses d’enseignement supérieur. C’est en effet un retour sur investissement intéressant !
Les études construisent une société meilleure. Les experts de l’OCDE mettent en évidence d’autres avantages pour la société. Les diplômés du secondaire sont en meilleure santé que les non-diplômés. Les diplômés du supérieur sont de meilleurs citoyens : ils s’intéressent plus à la politique et ont davantage confiance en leurs concitoyens.
Mais elles perturbent les sociétés. Selon l’OCDE, le nombre de diplômés du supérieur augmente dans les pays de l’OCDE d’environ 4,5% par an. En période de crise, alors que l’emploi rétrécit, l’oCDE a pu constater que les salaires des diplômés du supérieur se maintiennent, ce qui est rarement le cas des diplômés du secondaire. L’organisation ne partage pas l’idée de « l’inflation scolaire » chère à des sociologues français. La durée de chômage est nettement plus faible pour les diplômés du supérieur. Du coup l’accès au travail des sans diplôme et des salariés âgés moins diplômés devrait devenir plus difficile.
Le rapport s’est aussi penché sur les dépenses éducatives. Comme la moitié des pays de l’OCDE, la France a diminué sa dépense. Elle se situe maintenant légèrement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE avec 5,9% du PIB (moyenne OCDE 6,1%). En France ce qui fait baisser la dépense c’est à la fois le niveau de salaire des enseignants et le nombre d’élèves par classe. Puisqu’il faut y investir, comment faire face à la progression du supérieur ? L’OCDE appelle à trouver des financements dans le secteur privé.
Interrogé sur des caractéristiques du système éducatif français, Bernard Hugonnier rappelle les inégalités sociales à l’eouvre dans l’Ecole française. Par exemple les forts écarts de niveau entre autochtones et allochtones. « Pourtant Pisa bous apprend que l’Ecole n’a pas à choisir entre équité et qualité de l’éducation ». L’enquête PISA a montré que les systèmes éducatifs les plus performants sont aussi ceux où les inégalités sont les plus faibles. Un niveau lui semble faible dans l’Ecole française : l’école élémentaire. Alors que la maternelle est un des points forts du système, l’école élémentaire n’arrive pas à lutter contre l’échec scolaire. « A l’entrée en 6ème « , ajoute B Hugonnier, « 15% des élèves sont en difficultés. C’est beaucoup , ça fait à peu près 120 000 jeunes. Ils maitrisent mal la langue et accumulent les difficultés.
Regards sur l’éducation
http://www.oecd.org/document/62/0,3343,fr_2649_3926323[…]
Rapport France
http://www.oecd.org/dataoecd/41/13/43633742.pdf
Inflation scolaire : le débat
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/11032[…]
Allemagne : Une politique de rigueur qui croit en l’avenir et en l’Ecole
La rigueur budgétaire épargne l’Ecole qui reste un lieu d’investissements massifs. La rigueur, l’Allemagne connaît. Elle vient de se doter d’un frein constitutionnel à la dette. Il prescrit l’équilibre budgétaire en 2016, ce qui impose 80 milliards d’économies d’ici 2014. Le budget 2011 prévoit 11 milliards d’économies dont 6 par la réduction des dépenses publiques. Mais, « le budget n’en prépare pas moins l’avenir », note un communiqué fédéral. « Le montant global des investissements est réduit d’un milliard par rapport à 2010, année marquée par les plans de relance. Il devrait se stabiliser par la suite. Et surtout les dépenses dédiées à l’éducation et la recherche augmentent. Le gouvernement prévoit d’y consacrer 12 milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2013. « Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà »…
Communiqué
http://www.cidal.diplo.de/Vertretung/cidal/fr/__pr/actual[…]
Sur le site du Café
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