Dans les établissements d’enseignement agricole, les contractuels font florès et la communauté éducative se mobilise pour eux. Contrats non signés, salaires non versés, pour beaucoup d’entre eux, la situation, à l’approche des fêtes est inconfortable, voire insupportable. « Variable d’ajustement » d’une gestion financière tendue des compétences humaines ? Derrière les mots bruts, crus, abstraits, il y a des situations individuelles. Dans le blog des précaires de l’enseignement agricole, on fait connaissance avec ces profs non titulaires, qui galèrent.
Des galériens, à Bac + 5, des soutiers dont le parcours ferait pâlir en période faste les recruteurs. Paul, Chantal, Muriel, Alexandre ou encore Fanny nous racontent la hantise de la fin du mois quand l’administration se fait sourde et insaisissable, les CDD, les déplacements, l’incertitude. Ils nous disent aussi leur attachement pour l’enseignement. La succession de ces histoires individuelles rend humaine, réelle, une situation incroyable : des enseignants assurent des cours sans paye et sans contrat.
Nous avons rencontré un des animateurs du blog, Jérôme Coge, enseignant contractuel en EPS et représentant syndical, pour mieux comprendre la situation des contractuels et le rôle du blog.
Est ce qu’on a une idée du nombre de contractuels dans l’enseignement agricole?
Au mois d’octobre 2008, nous avions un listing d’agents contractuels d’enseignement (ACEN) de 1288 agents renouvelés dans leur contrat et 439 nouvellement recrutés à la rentrée de septembre 2008 exerçant dans l’enseignement agricole public.
Ces chiffres ne prennent pas en compte les contractuels TOSS qui sont eux aussi très nombreux.
Pour quels types de postes?
Ces contractuels d’enseignement sont présents sur des postes d’enseignant pour la quasi-totalité des disciplines proposées dans l’enseignement agricole public. Plus de la moitié d’entre eux sont sur des postes de travail à temps partiel.
Quelles sont les données du problème depuis la rentrée?
La principale donnée du problème est plus ancienne et concerne le statut de contractuel d’enseignement qui est plus développé que jamais au MAP car il sert à celui ci de « variable d’ajustement » sur les établissements et les postes à pourvoir lors des réductions de dotation horaire. [Rappelons que cette DGH baisse de 1,5 à 5% par an dans l’enseignement agricole public depuis 5 ans, créant ainsi de nombreux postes à temps partiel. Les ACEN servent donc à remplir ces temps partiels vacants, des « bouche-trous »!]
Parallèlement à l’augmentation du recrutement d’ACEN, les plans de titularisation par concours interne n’ont jamais été aussi faibles. Ce qui ne laisse d’autre destinée dans l’enseignement agricole aux ACEN que de rester précaires d’année en année.
Depuis la rentrée, un problème plus grave s’est développé. Avec la remontée dans les services de gestion du personnel du ministère de tous les dossiers d’agents contractuels initialement gérés par les SRFD (échelon régional), ceci parallèlement à la réduction de personnel dans ces services ministériels voulue par le gouvernement, le nombre d’agents de l’état ne suffit plus à traiter convenablement l’ensemble des dossiers. Ainsi depuis la rentrée 2008, l’ensemble des ACEN nouvellement recrutés n’a signé aucun contrat de travail, aucune fiche de service et n’a touché aucune paye! De plus parmi les contractuels renouvelés, aucun d’entre eux n’a signé de contrat et leur salaire n’a donc pas été rééchelonné sur leur temps effectif de travail.
Ainsi nous trouvons des agents contractuels de l’état avec de graves problèmes financiers depuis 4 mois: carte bancaire bloquée, agios, frais d’impayés d’électricité, mise en saisie par le fisc,… mais aussi de graves problèmes familiaux car cette situation provoque des tensions au sein des couples et à l’approche des fêtes de fin d’année une incapacité pour les agents parents de faire des cadeaux à leurs enfants.
Pour les agents renouvelés, les erreurs liés aux contrats et aux versements de salaires erronés engendrent des problèmes financiers avec les services d’aide sociale et les services des impôts.
Un autre problème inhérent au non établissement de contrats de travail est la responsabilité des ACEN vis à vis des élèves. On peut se poser des questions en cas d’accident puisque rien ne vient légitimer leur intervention d’enseignement.
Autre problème lié aux contrats de travail, en fin d’année scolaire 2007-2008, lors d’une réunion de l’intersyndicale avec la DGER, celle ci s’est engagé auprès des syndicats à faire en sorte que le pourcentage de temps de travail inscrit sur le contrat corresponde au temps de travail effectif. En effet depuis des années, nombre de contractuels se voyaient proposer des contrats à mi temps et effectuaient en réalité un temps de travail supérieur payés en heures supplémentaires. Ce qui pénalise les ACEN dans le calcul de leur points retraite.
Or depuis le début de l’année, certaines administrations essayent de faire signer au peu de contractuels d’enseignement s’étant vu proposer un contrat de travail, des temps de travail ne correspondant au temps réellement travaillé. Et ceci en utilisant des moyens de pression morale sur des agents déjà accablés par leur précarité et leurs difficultés financières, sociales et familiales.
Face à ces situations honteuses produites par l’état lui même, force est de constater que les propos présidentiels affirmant que les services administratifs des différents ministères pouvaient subir une baisse d’effectifs tout en assumant correctement leur travail, est fausse. La preuve est faite tout au moins au MAP.
Les revendications portent elles leurs fruits?
Suite aux multiples pressions de l’intersyndicale auprès de la DGER, certains agents ont reçu des avances de 75%. Mais l’application sporadique de cette mesure fait que tous ne l’ont pas eu.
La DGER s’est récemment engagée à régulariser le problème de contrat de travail courant décembre et à verser avant les fêtes de Noël une prime de 500€ à tous les agents ayant subis des frais financiers importants ainsi qu’une aide des assistantes sociales du MAP. Agents auquels on demande parfois de justifier de leurs difficultés financières avant de leur permettre de bénéficier de cette mesure!
Mais la majorité des promesses de la DGER depuis septembre 2008 n’ont pas été tenues jusque là, nous sommes donc méfiants envers ces dernières!
Comment a germé l’idée du blog?
En janvier 2008, un groupe de contractuels d’enseignement décidés à ne plus subir sans réagir le statut précaire, constitue le collectif des précaires de l’enseignement agricole. Ce collectif se met en relation avec l’intersyndicale: SNETAP-FSU, SYGMA-FSU, SNEP-FSU, SYAC-CGT et SUD RURAL.
Lors d’une réunion entre cette intersyndicale et trois représentants de ce collectif, il est décidé d’un soutien syndical et l’idée est lancée d’un blog permettant aux contractuels de témoigner anonymement de leur situation et de leurs difficultés, de lire les témoignages des difficultés des autres, des actions menées et des résultats de celles ci ; et ainsi de sortir du premier piège de la précarité: le sentiment de solitude! le recroquevillement sur soi! l’enfermement dans une spirale destructrice moralement.
Tout ceci dans l’idée que la collecte de ces témoignages nous permette d’apporter des exemples de cas concrets à nos revendications syndicales ainsi qu’à éventuellement contacter les médias une fois le nombre de témoignages suffisamment conséquent, afin d’obtenir leur soutien.
Quel est son mode de fonctionnement ?
Le blog a un fonctionnement très simple. la personne le consultant a un accès direct aux messages les plus récents et un historique annuel et mensuel permet la lecture des récits plus anciens.
S’il veut ensuite participer, il utilise l’adresse mail indiquée: precaires.agriculture@gmail.com . Actuellement deux modérateurs s’occupent du blog: Thomas VAUCOULEUR, représentant SYAC-CGT ; et moi même Jérôme COGE, animateur du collectif des précaires du ministère de l’agriculture et de la pêche et représentant SYAC CGT.
Nous modérons et anonymons (selon le souhait de l’auteur) chaque témoignage, le mettons en forme puis le publions sur le blog. Les témoignages peuvent être déposés sous forme d’un texte libre, d’un enregistrement audio ou vidéo. L’archivage des messages est fait automatiquement par le blog ainsi que la mise à jour de l’historique. Les témoignages les plus récents s’affichent en première page.
Avez-vous une idée de son audience
Nous venons récemment d’installer un script de surveillance de la fréquentation du blog mais l’action est trop récente pour vous transmettre des données significatives. Toutefois des témoignages de contractuels d’autres ministères commencent à nous parvenir pour faire état des mêmes difficultés.
Et son rôle dans l’avancée des revendications?
Pour l’instant le nombre de messages reste faible bien que depuis septembre, les difficultés rencontrées par chacun font très nettement augmenter le nombre de participations.
Toutefois les cas de contractuels témoignant sur le blog sont soumis en direct représentants de la DGER par le bureau national du SYAC-CGT afin de résoudre, du moins d’accélérer le traitement des situations.
Sur un plan général, nous réfléchissons encore aux moyens qu’il nous permettrait de mettre en oeuvre pour faire avancer les revendications de l’ensemble des contractuels.
Propos recueillis par Monique Royer
Le blog :