Par Françoise Solliec
« Une grande école, pourquoi pas moi ? », c’est l’ambition que veut susciter Emmanuel Farges, professeur de sciences économiques et sociales, chez davantage d’élèves du lycée René Cassin d’Arpajon. Ceux qui acceptent de se lancer dans cette aventure consacreront pendant trois ans leur mercredi après-midi à des activités menées en partenariat avec l’école supérieure d’électricité de Gif-sur-Yvette.
Un projet pour faire tomber les barrières culturelles
Globalement, l’accès des bacheliers aux classes préparatoires aux grandes écoles ne reflète pas leur composition sociale. Dans un rapport du Sénat de 2005, il est noté que si les bacheliers titulaires de mention sont à 54% issus de milieux intermédiaires ou défavorisés, ils ne constituent que 40% des entrants de CPGE. A l’inverse, s’ils sont 32% des bacheliers à mention, les élèves issus des milieux les plus favorisés constituent 42% de ces entrants.
Au lycée René Cassin, Emmanuel Farges, professeur de SES, constate que « le lycée obtient des résultats au bac légèrement supérieurs ou dans la moyenne des résultats attendus aux niveaux national et académique. Toutefois, une faible proportion de bacheliers (moins de 10 % en 2005 soit 16 élèves seulement) s’oriente vers les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). En particulier, certains, parmi les meilleurs élèves du lycée, s’interdisent ce genre d’orientation par manque d’information ou d’ambition ».
Pour assurer une véritable égalité des chances entre les lycéens, Emmanuel Farges a donc monté en 2006-2007 le projet « Une grande école, pourquoi pas moi ? ». Cette action, bien intégrée dans le projet d’établissement, s’adresse à des élèves (6 en seconde, 4 en première) qui ont de bonnes capacités à suivre des études supérieures mais qui, en raison de leurs origines modestes, ne bénéficient pas de l’environnement culturel et de la confiance en soi qui leur feraient envisager l’accès à des filières sélectives. Les lycéens, repérés par leurs professeurs pour leurs résultats, sont sélectionnés sur leur motivation et leur origine sociale.
Les élèves s’engagent, ainsi que leurs familles, dans le programme pour une durée de 3 ans.
Le programme repose sur un bénévolat des enseignants du lycée, un financement du conseil régional pour des sorties et des interventions extérieures et surtout un tutorat assuré par des élèves de Supélec. Il offre aux élèves un entraînement de fond, qui démarre en janvier de l’année de seconde et s’achève en terminale à l’approche du bac et vise à développer des compétences et des comportements nouveaux : curiosité intellectuelle, aisance verbale, sens de l’argumentation, etc.
Les lycéens sont pris en charge par petits groupes, chaque mercredi après-midi.
Le tutorat est incontestablement la clef de voûte de l’action. Lors d’une réunion générale de présentation, les élèves de Supélec s’attachent à démolir les représentations négatives de la vie en CPGE et dans un grande école et à en donner une vision réaliste. Par la suite, chaque tuteur fait régulièrement le point sur la progression de ses tutorés, leurs points forts et leurs points faibles ainsi que leurs projets d’orientation. Il s’agit là d’accroître l’ambition des élèves en relation avec leurs potentialités.
Cinq autres modules sont organisés, dont le contenu est décliné suivant les niveaux.
Outils et méthodologie : donner aux élèves des méthodes de travail efficaces pour leur permettre de mieux s’organiser et de faire face à un rythme de travail intensif.
Acquisition de capital culturel : donner aux élèves des éléments de culture que leurs familles ne leur ont pas donnés et qui avantagent fortement les jeunes de milieux favorisés. Cette culture s’acquiert par la lecture d’œuvres de nature diverse, par la lecture régulière de la presse et par des sorties culturelles (théâtre, cinéma, musée).
Techniques d’expression, avec l’aide d’une comédienne. L’objectif est d’améliorer l’expression des lycéens en leur permettant d’enrichir leur vocabulaire et d’acquérir une aisance plus grande dans leur maîtrise de la langue.
Comportements en société : ce module rejoint le précédent. Il est un des grands facteurs de différenciation entre les milieux sociaux. Par comportements en société, on entend l’ensemble des attitudes et savoir-être implicites qui sont, en grande partie, intériorisés de façon inconsciente par les jeunes au cours de leur éducation familiale. Le but du module est de rendre explicites les manières d’être, de se présenter, de parler, … qui sont valorisées lors des concours et examens, à l’oral en particulier. Un autre objectif est de renforcer la confiance en soi en mettant en évidence les capacités et réussites des lycéens.
Découverte des métiers et des filières : l’accès à l’information se révèle un des enjeux cruciaux d’une véritable démocratisation de l’accès aux CPGE. L’objectif est ici de poursuivre les actions d’éducation à l’orientation initiées en seconde pour tous les élèves du lycée, en nouant des contacts avec des élèves ou des professeurs de CPGE ou de grandes écoles de l’Essonne pouvant témoigner de leurs expériences.
Il est sans doute trop tôt pour parler d’une véritable évaluation du projet, qui n’en est qu’à sa deuxième année. Selon Emmanuel Farges, trop d’élèves se sont désisté l’an dernier, même s’ils avouent avoir tiré bénéfice de cette expérience. C’est la raison pour laquelle un entretien de motivation a été mis en place cette année. Souhaitons que les élèves entrant dans l’opération (5 filles sur 7 !) aillent jusqu’au bout et convainquent leurs futurs camarades de s’y engager.