Peut-on améliorer le niveau de maths des écoliers sans un effort sérieux de formation continue des enseignants ? A coup sur non. C’est pourtant ce que prévoit le rapport dirigé par Cédric Villani, député En Marche de l’Essonne et l’inspecteur général Charles Torossian, remis le 12 février à Jean-Michel Blanquer. Un ministère peut-il agir sans budgeter ? Non plus et là aussi… Curieusement focalisé sur la « méthode de Singapour » en ignorant les pays européens qui obtiennent de bons résultats, le rapport ne prévoir comme mesures concrètes que le controle des enseignants tout en parlant sans cesse de confiance. Il demande aussi aux écoliers de CP l’apprentissage des 4 opérations, une exigence impossible pour une année où ils ont déjà tant à apprendre. Ce que prépare le rapport ressemble davantage à une mise au pas des enseignants, du premier comme du second degré, qu’à un effort national en faveur de l’apprentissage des maths.
Un diagnostic
Le rapport rappelle le triste état du niveau en maths des écoliers français. L’enquête internationale TIMMS 2015 met la France en bas des pays européens et au 38ème rang sur les 49 pays participants à l’évaluation de CE1.
En haut du classement on trouve 5 pays asiatiques : Singapour, Hong Kong, la Corée du Sud, Taiwan et le Japon. Viennent ensuite l’Irlande du Nord, la Russie et l’Angleterre. Curieusement le rapport se focalise sur Singapour mais ignore totalement les pays européens qui ont de bons résultats. Il n’évoque que la Finlande et l’Allemagne, meilleurs que nous mais quand même mal classés. Cela aurait pourtant fait sens de savoir comment les Anglais font mieux que nous.
» Les évaluations nationales confirment encore ce constat inquiétant », ajoute le rapport. « Ainsi, l’enquête Cedre1 de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) révèle des acquis très fragiles à la fin du primaire. On y apprend que 42,4 % des élèves ont une maîtrise fragile des mathématiques, voire de grandes difficultés. Multiplier 35,2 par 100 représente ainsi un obstacle majeur pour la moitié des élèves en fin de primaire. Cette fragilité en mathématiques perdure par la suite ».
Une évaluation plus précise faite par la Depp, que le rapport ne cite pas, mais qui a été utilisée lors de la conférence de consensus du Cnesco, a fixé les difficultés de façon plus précise. Le niveau de maths varie selon la catégorie sociale : écart de 16 points selon les CSP en ce2 et d e19 points en 6ème. Les grands nombres sont acquis : 90% des élèves savent écrire un grand nombre jusqu’à 1000 en ce2. Les tables d’addition sont acquises à 90% en ce2 et 95% en 6ème même si bien des élèves n’ont pas de procédure reconstructive rapide. Pour les tables de multiplication la maitrise est fragile. Le passage des nombres décimaux aux fractions met en échec un élève sur deux en 6ème. Les élèves ont du mal à intercaler et comparer des nombres décimaux. Pour le calcul posé on observe une baisse des performances. Par exemple en 1987 84% des élèves savent faire 247 *36. En 2007 seulement 68% y arrivent. 4700 -2789.7 pose problème à la moitié des élèves (contre un tiers en 1987). En calcul mental les taux de réussite sont peu élevés. Par exemple seulement 17% des élèves de 6ème savent faire de tête 62*0.5. On assiste à une forte baisse de la maitrise de la multiplication et de la division. Elle s’explique par une conceptualisation insuffisante des nombres. Mais peut-être aussi par le fait que la calculette est passée par là…
Des choix très idéologiques
On aurait pu s’attendre à un ensemble de recommandations ciblant les difficultés réelles constatées sur le terrain. Mais le rapport préfère faire l’apologie de la « méthode de Singapour » telle qu’il l’entend , sans insister sur le fait que la « méthode de Singapour » n’est pas un manuel mais 100 heures de formation par an pour tous les professeurs des écoles…
De nombreuses recommandations ne font que reprendre des pratiques installées ou connues depuis longtemps. Avoir des rituels mathématiques, N Vallaud Belkacem avait déjà tenté de le faire passer pour une nouveauté en 2015 alors que c’est une recommandation officielle depuis 2002. Manipuler est aussi vieux que l’enseignement des maths. Verbaliser est aussi une recommandation ancienne. Finalement la méthode de Singapour, ainsi présentée, se limite à du bien connu.
A coté de cela le rapport, et C Villani lors de sa présentation, ne vante que « les méthodes explicites et progressives ». Un nom revient systématiquement : la méthode du Slecc, un groupuscule traditionaliste soutenu de son temps en 2008 et qui revient enfin au ministère avec JM Blanquer.
Tout en parlant de liberté pédagogique, le rapport explique aux enseignants comment il faut faire cours. « Il propose des pistes pour renouveler les pratiques observées, certaines ayant montré leurs limites ». Ainsi, « on a pu constater, depuis le début des années 1990, la substitution du cours par des activités diverses (activités de découverte, tâches complexes censées développer des compétences transversales, démarche d’investigation, démarche de projet, activités interdisciplinaires, etc.) qui n’avaient pourtant pas vocation à le faire disparaître », note le rapport. » La volonté de rendre les élèves chercheurs peut être pertinente, bien évidemment, mais l’on peut s’interroger, en termes d’efficacité ». Très calirement , et tout en parlant du plaisir de faire des maths, de jouer etc., le rapport fait l’apologie du cours magistral , présenté comme la seule méthode pédagogique valable.
Le rapport recommande aussi d’apprendre les 4 opérations dès le CP. Interrogé sur ce fait, alors que le CP est déjà une année très chargée, C Torossian nous explique qu’il s’agit d’apprendre le sens des opérations à partir de nombres simples. Mais la difficulté est bien dans le sens des opérations ! Dans un article donné au Café pédagogique, R Brissiaud a pu montrer que ce point présent dans les programmes de 1945 n’avait jamais été mis en oeuvre en réalité.
Ces conclusions ne sont pas étonnantes compte tenu de la composition très orientée de la commission nommée par JM Blanquer. En ont été écartés tous les spécialistes reconnus de la didactique des maths, par exemple ceux qui ont animé la conférence du Cnesco, au profit du groupuscule traditionaliste du Slecc, de l’éditrice de la méthode de Singapour et d’une poignée de spécialistes de l’informatique.
Un encadrement renforcé des enseignants
La plupart des recommandations concrètes concernent l’encadrement des enseignants. Le rapport propose d’envoyer a toutes les écoles « un équipement de base accompagné de tutoriels » pour leur souffler la bonne méthode. Apparemment beaucoup d’écoles ont déjà reçu un numéro du Point qui fat l’apologie de la « méthode de Singapour » dans sa version française editée par un membre de la commission… Il recommande de « redonner leur place au cours structuré et à sa trace écrite…, aux apprentissages explicites ». Surtout il demande de « mesurer trois fois par an les acquis des élèves sur un nombre limité d’items simples et standardisés ». Il est très clair qu’on a là, avec une évaluation nationale et remontante, un excellent outil pour imposer aux enseignants des pratiques pédagogique et aussi pour évaluer aux résultats, comme le ministre le souhaite, ces enseignants. Le rapport veut aussi évaluer publiquement les manuels et en finir avec toute pratique pédagogique qui dévierait de la ligne officielle.
Un seul point nous semble positif : proposer aux lycéens (mais pas au primaire) un module annuel de réconciliation avec les maths. Mais cette mesure comme les autres n’est pas concrétisée.
Que reste-il de ce rapport ?
Le rapport escamote la question de la formation continue des enseignants du premier degré alors que cette question est cruciale. Il recommande de former les futurs enseignants dès la première année de licence. En supposant que ce soit faisable (c’ets la question couteuse du pré-recrutement) cela ne changerait les choses, avec les recrutements en baisse, que sur un demi siècle… Seul point concret : il recommande des labos de maths pour les professeurs de lycée avec une formation de 36 heures annuelles payées 18. Et il précise tout de suite que les chefs d’établissement devront encadrer tout cela.
Que restera-t-il de ce texte ? Dans l’opinion qu’il y a de bonnes méthodes, le Slecc , Singapour que les enseignants sont incapables d’appliquer et que le ministre agit. Dans la réalité il ne pourrait rester que le pilotage par les évaluations. Interrogé sur le budget le ministre n’a annoncé aucun chiffre et a juste dit que « les enjeux sont immatériels plus que matériels »…
Sans budget , sans formation, ce rapport politicien ne fera en rien avancer la cause des maths particulièrement dans le premier degré. S’appuyant sur la popularité de la méthode de Singapour et des « bonnes vieilles méthodes », il ne fait que souligner à quel point les enseignants sont à la fois laissés à eux mêmes et menacés d’injonctions renforcées. Un paradoxe bien français.
François Jarraud
Les mauvais résultats des écoliers français
Le rapport Villani révélé aujourd’hui
Sur les 4 opérations dès le CP