Evaluation
des enseignants : et si on sortait de la langue de bois ?
On pourrait trouver étonnante la réaction
des syndicats enseignants, presque unanime, d’appeler à la grève
contre la modification des modalités d’évaluation et d’avancement de
leurs mandants.
Ce serait oublier combien le sentiment
des profs sur ces questions est à vif, surtout dans le second
degré. Depuis plusieurs années, la double tutelle des chefs
d’établissement et des IPR ou IEN disciplinaires sent la poudre. Entre
les sujétions du « projet d’établissement » et la défense de la «
discipline », on connait les difficultés à inventer ce nouvel espace
professionnel hybride. Pourtant, on sait désormais que l’efficacité de
l’éducation tient à la fois à ce qui se passe dans la classe,
dans les modalités de transmission des savoirs, et dans
l’établissement, dans la capacité des divers métiers à collaborer pour
avancer ensemble sur les difficiles questions de l’accompagnement des
élèves, des devoirs, des sanctions, du lien avec les familles,
l’environnement…
C’est le moment que choisit
l’inénarrable M. Chatel pour annoncer que la publication des
résultats des élèves, établissements par établissement, est à terme «
nécessaire », notamment pour informer les parents et continuer à
réduire les postes. Il a le mérite de la cohérence politique.
Voilà qui devrait déminer le conflit…
Evidemment, M. Chatel ignore tout du
travail des enseignants. Il ne sait pas que les enseignants ont
d’abord besoin du soutien de l’institution, justement parce que c’est
elle qui institue. Il ignore sans doute que la force des hussards noirs
tenait à la légitimité que leur donnait la République, pas de leur
charisme personnel…
Evidemment, M. Chatel n’a pas lu
Christophe Dejours, qui différencie le « jugement de conformité
» nécessairement posé par le supérieur hiérarchique et le « jugement de
beauté » porté par les collègues, qui exprime à la fois le fait
de faire le métier « dans les règles de l’art », mais aussi en y
ajoutant sa petite graine d’inventivité. Pour essayer de mieux faire «
ce qu’on n’arrive pas encore à faire, comme dit F. Lantheaume.
Que l’évaluateur soit l’IPR ou le chef
d’établissement ne peut poser problème que si l’enseignant ne reconnaît
pas la légitimité de celui qui pose ce jugement de conformité.
Lorsqu’un prof dit « que connaît le principal à la discipline ?
», laisse-t-il entendre qu’il accueille en confiance l’IPR dans
sa classe ? En tout cas, on peut multiplier les exemples, dans le
premier et le second degré, d’inspecteurs ou de chefs d’établissements
qui sont tiraillés entre le marteau et l’enclume, entre les réformes à
faire pleuvoir sur les fantassins et leur faculté de comprendre les
problèmes réels que rencontrent les enseignants.
Evidemment, le modèle de M. Chatel est
celui du prestataire de service d’éducation, qui entretient des
rapports marchands et contractuels avec ses clients. A chacun de
fidéliser les siens. Evidemment, M. Chatel ne sait rien de ce qu’est la
transmission de la culture, ni pourquoi les élèves des milieux
populaires ont besoin d’école.
Parce que notre école est en crise,
les réponses idiotes de la GRH renforcent l’inquiétude et la colère, là
où ceux qui travaillent ont besoin de cadres collectifs pour
inventer autre chose que l’inspection infantilisante, le clientélisme
ou la crainte du petit chef. Cela passe, pour les profs, les chefs
d’établissement et les inspecteurs, par la capacité à travailler
ensemble, localement, avec exigence et sans craindre ni la controverse
ni l’incertitude. Chacun y est-il prêt ?