Au moment où l’appel à projets « Collèges numériques et innovation pédagogique » est de nouveau confirmé et modifié par un arrêté du 15 février 2016 qui lance la deuxième vague d’appel à candidatures, se pose la question du choix des « équipements individuels mobiles ». Parti sur l’idée de doter tous les élèves de 5è de tablettes, le projet laisse désormais la place à un équipement individuel mobile (EIM) dont le montant de 380 euros par appareils semble être le point de départ. Au-delà de cette campagne d’équipement, il faut se questionner sur le choix à faire : quel équipement pertinent compte tenu de l’offre matérielle actuelle d’une part, mais aussi compte tenu des infrastructures, des contraintes diverses, des usages installés, des contenus d’enseignement, des modalités pédagogiques retenues et enfin des compétences des acteurs concernés ?
Tablette ou smartphone ?
Ce que l’on observe, pour ce qui concerne les équipements individuels des élèves et en particulier ceux qui sont en collège et en lycée, c’est que la tendance EIM se confirme. Le passage de l’ordinateur fixe à l’ordinateur portable est plébiscité dans les familles. La tablette qui rencontre un grand succès pour l’équipement des plus jeunes, perd de son attrait pour les jeunes qui sont en deuxième partie de collège et au lycée. Elle est rapidement remplacée par les smartphones qui sont, pour eux, un hybride du téléphone et de la tablette. Est-ce pour autant la fin de la tablette en particulier comme équipement scolaire ? Pas forcément, mais c’est en tout cas une remise en cause certaine, qui se traduit aussi par une stagnation des achats de ce type d’équipement. La multiplication des appareils atteint ses limites, l’effet nouveauté est passé, il convient dans chaque foyer de mesurer le pour et le contre, il ne peut qu’en être de même pour le monde scolaire.
Qu’est ce qu’un équipement adapté ?
Reprenons d’abord l’analyse des apports essentiels des tablettes par rapport aux ordinateurs portables en contexte scolaire. Le premier élément essentiel est l’instantanéité de la mise en route, la disponibilité quasi immédiate. Perdre dix minutes au lancement d’une séance de 55 minutes est difficilement supportable dans un contexte ou la pression des programmes ne diminue pas. Le deuxième élément est la souplesse d’utilisation liée à l’autonomie d’une part, à la facilité d’usage dans un environnement table/chaise/cahiers/crayons. Le troisième élément est l’étendue des possibles lié à la variété des applications disponibles. Même si le foisonnement des applications est parfois à rapprocher d’un grand bazar… c’est aussi une chance. D’autres éléments peuvent aussi apporter des arguments comme la souplesse de manipulation (légèreté, positionnement par rapport à la lumière, transport, configuration)..
Si ces éléments de comparaison peuvent être pris en considération, c’est bien entendu à condition que l’intention pédagogique et les choix de scénario d’enseignement soient pertinents. On le dit et l’écrit depuis longtemps, la qualité d’usage est d’abord pédagogique. Mais on ne le dit jamais assez, les appareils que nous utilisons comportent tous des possibles et des impossibles qui sont aussi des contraintes. Ainsi le passage de l’ordinateur portable à la tablette révèle-t-il aussi, compte tenu du contexte plus large des développements logiciels entre autres, des limitations de celles-ci en particulier pour effectuer un certain nombre de tâches. L’hybridation des machines (tablettes et clavier/dock) semble être une alternative qui intéresse désormais de plus en plus d’utilisateurs, mais compte tenu des équipements en place et des prix proposés, cela pourrait prendre quelques années. La question de fond est : dans quelle mesure un équipement numérique est adapté aux besoins des acteurs des situations et activités d’apprentissage mises en place ? La question complémentaire est alors : dans quelle mesure les enseignants conçoivent-ils des situations et activités d’apprentissage qui donnent une place pertinente aux moyens numériques ?
L’usager invente l’usage
Les élèves sont de plus en plus tôt équipés de smartphones (une récente enquête que j’ai menée dans un établissement de Clermont Ferrand confirme cela). Ces smartphones sont de plus en plus utilisés, avec l’assentiment des enseignants, dans les classes et pour les activités d’apprentissage, comme moyen complémentaire et de renforcement de l’efficacité des apprentissages. L’usage des tablettes est en quelque sorte limité parce qu’elles ne disposent pas de la téléphonie et de la 4G. Ce qui pour les élèves, les enseignants et plus largement les utilisateurs réguliers est en train de devenir un frein à l’usage. Est-ce pour autant qu’elles ne sont plus pertinentes ? Pas forcément, là encore tout est question de contexte. Pour la plupart des technologies, il faut que les usagers inventent la vie qui va avec, autrement dit, la valeur des technologies est intimement lié non seulement à l’usage prescrit, mais bien plus surement à l’usage réel. Les contextes de mise en œuvre sont un élément non négligeable de ces usages, c’est d’ailleurs pour cela que nombre de pratiques ne sont pas transférables.
Quant à la tablette, un autre écueil qui hypothèque son avenir c’est l’obsolescence rapide des équipements. La folie du renouvellement régulier des matériels liée au renouvellement logiciel (un système chasse l’autre) est aussi un obstacle ou au moins une difficulté à prendre en compte. La logique de renouvellement basée sur la volonté de maintenir les achats à un niveau satisfaisant a semble-t-il été accepté par le marché, mais il n’est pas certain que pour un produit « intermédiaire » comme la tablette cela soit le cas, concurrencée qu’elle est par les autres machines… On peut par certains côtés avoir l’impression de revivre les premiers temps de la querelle MAC PC, au moment de la normalisation des systèmes d’exploitation : d’un côté un dominant (MS DOS à l’époque, Androïd aujourd’hui) d’un autre un minoritaire (Mac OS, puis IOS, devenu minoritaire…). Cette lutte d’influence ne se fait pas toujours au profit des utilisateurs, sauf lorsque ceux-ci décident d’imposer leurs choix contre le marché. Est-ce que, dans ces conditions, l’engouement pour les tablettes ne va pas retomber ?
Quant au monde scolaire, il serait bien que les décideurs qui ont lancé ces politiques d’achat aillent voir un peu plus loin que le discours des marchands et leurs premières impressions pour prendre des décisions : les achats massifs de TBI, tablettes, ordinateurs portables etc. ne seront jamais des succès tant qu’on n’attendra pas la maturité des usages pour expliquer leur pertinence. Mais le temps des marchands est beaucoup plus court que celui des usages…
Bruno Devauchelle