Par François Jarraud
L’Etat doit-il corriger les inégalités d’accès à l’éducation ou doit-il les entretenir ? Si l’on penche pour la première proposition, alors la publication par Le Monde d’un rapport provisoire de la Cour des Comptes porte une accusation grave sur l’action du gouvernement Sarkozy. Le rapport montre que les élèves bénéficient de moyens très inégaux selon les académies, les zones populaires étant désavantagées par rapport aux départements sociologiquement plus favorisés. Pire il donne à penser que les inégalités sont entretenues par le gouvernement.
Selon le rapport provisoire de la Cour des Comptes dévoilé par Le Monde, l’éducation nationale accorde plus de moyens aux académies favorisées qu’aux défavorisées. Ainsi l’Etat dépense 47% de plus pour former un élève à Paris qu’il ne le fait à Créteil ou Versailles. Cela commence dès le primaire où l’Etat dépense 3134 € par élève parisien contre 2861 € pour l’académie la moins bien dotée. De plus les inégalités ont croissant, affirme encore la Cour. Ainsi dans la répartition des postes, Créteil avec 4000 élèves supplémentaires a perdu à la rentrée 2011 426 postes quand Paris, avec 1000 élèves de plus gagnait 20 emplois. Au primaire, la possibilité de scolariser un enfant de moins de 3 ans à Créteil est 14 fois inférieure en Seine Saint-Denis qu’en France en général.
Délibérément, selon la Cour, l’Education nationale laisse les inégalités se creuser. » Au vu de ces chiffres et de leur évolution récente, aucun élément attestant d’une politique particulière en matière de réduction des inégalités n’apparaît donc de manière flagrante », écrit la Cour. « Alors même que les outils sont disponibles, le ministère ne se met pas en position d’analyser précisément les inégalités territoriales, leurs causes et leurs moyens de les limiter. »
Comment se creusent ces inégalités
Cette analyse officialise des signaux déjà envoyés par la Cour des Comptes en 2010 ou visibles dans les données officielles. L’analyse des suppressions de postes à la rentrée 2012 montre des inégalités dont le Café s’est fait l’écho. On peut, est-ce un hasard, opposer le traitement d’une académie populaire comme le Nord-Pas-de-Calais et celui des Hauts-de-Seine par exemple. En 2010, la Cour des Comptes avait publié un rapport demandant « un nouveau management » pour l’éducation nationale. Déjà la question du financement de l’éducation prioritaire était posée. A propos du milliard dépensé pour l’éducation prioritaire, le conseiller Jean Picq précisait que « ce chiffre n’est pas confirmé par la Cour ». Il expliquait déjà que l’essentiel du déséquilibre entre académies tient au fait que les enseignants des grades les plus élevés avec l’ancienneté la plus forte se trouvent dans les départements privilégiés et inversement les établissements zep accueillent des enseignants plus jeunes et moins gradés. Ces effets sont aggravés par les suppressions de postes où l’on part toujours de l’existant sans jamais remettre en questions les déséquilibres antérieurs.
Les explications de Luc Chatel
Accusant Le Monde d’être le « petit soldat de F Hollande », Luc Chatel a réagi vivement contre la publication du rapport. Pour lui l’écart entre Paris et les autres académies s’explique par la présence de nombreuses classes préparatoires à Paris. Et son ministère aurait déjà doté largement les zones prioritaires (selon lui 4 élèves de moins en collège ZEP que dans les autres établissements). Ces explications ne sont pas suffisantes pour justifier les écarts au primaire ou dans les suppressions de postes.
H. Zoughebi : « Un effet de la RGPP »
Interrogée par le Café, Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région en charge des lycées, juge la situation décrite par le rapport « grave et violente ». Pour elle, elle corrobore ce qu’elle observe sur le terrain et le sentiment d’injustice exprimé par les lycéens lors de la consultation menée en 2011, y compris dans les beaux quartiers. « Il n’y a pas de vraie volonté de lutte contre les inégalités dans ce gouvernement et les inégalités se renforcent avec la RGPP au moment où la crise fragilise certaines familles. C’est la notion même de service public d’éducation qui est mise en cause ». Pour H Zoughebi c’est d’autant plus grave que la montée des inégalités tire le niveau vers le bas alors que les politiques de réduction des inégalités, comme le montre Pisa, tire tout le monde vers le haut. La région Ile-de-France est consciente de ces évolutions et vient de se doter d’un Observatoire des inégalités et de la réussite scolaires. Elle a augmenté la dotation de solidarité versée aux lycées des quartiers défavorisés. Mais « c’est une goutte d’eau si la politique nationale va en sens inverse ». « J’accepterais volontiers des classes préparatoires dans les lycées de banlieue », propose H Zoughebi. « Mais ce n’est pas uniquement avec cela qu’on va lutter contre les inégalités. Il faut aussi ouvrir des classes de BTS dans les lycées périphériques. D’une façon générale il faut changer le regard sur les élèves de banlieue. Avoir conscience que ces élèves peuvent réussir et le méritent ».
Vincent Peillon, en charge de l’éducation dans l’équipe de F Hollande, s’engage sur un objectif d’égalité du droit à l’éducation. Pour cela il propose de bonifier les postes en éducation prioritaire en accordant des décharges horaires aux enseignants ou des avantages de carrière. « Il faut donner envie d’aller en zep ». Pour la sénatrice F Cartron, chargé de mission sur la carte scolaire, « la politique telle qu’elle est menée actuellement entérine des situations profondément injustes. Il est grand temps de remettre de la justice sociale au cœur de l’Ecole de la République !.. « Donner plus à ceux qui ont moins » doit redevenir le principe directeur d’une nouvelle politique éducative ». Au lendemain de la publication de ce rapport, au fronton des écoles et des établissements, la vieille devise républicaine fait grise mine.
François Jarraud
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