Par Jeanne-Claire Fumet
Le colloque national du CIDJ, accueilli par la Poste dans ses locaux du Bd Vaugirard, rassemblait mercredi 16 novembre des interlocuteurs venus de deux mondes séparés, qu’il s’agissait de faire dialoguer : l’entreprise, représentée par Sophie de Menthon, présidente de la SDME, Yvon Gattaz, Président de l’Association Jeunesse et Entreprise, Joël Moreau, Directeur de l’Emploi et de la communication RH de La Poste, d’une part, et l’Orientation institutionnelle d’autre part, avec les responsables du CIDJ, de l’ONISEP, de Centre Inffo, et de la Délégation interministérielle à l’Information et à l’Orientation. Dialogue difficile, malgré la volonté affichée des acteurs de progresser dans le sens des directives de la loi de 2009 sur l’Orientation. Mais les entreprises veulent un changement profond de mentalité dans le domaine éducatif.
« Les jeunes pourraient mieux faire »
La première table ronde (rôle des acteurs de l’entreprise pour une meilleure connaissance des métiers) a surpris le public : Sophie de Menthon (Société de Management des Entreprises) annonce vouloir en finir avec certains lieux communs : la stigmatisation des « patrons salauds », la culture de la société du « care » qui privilégie le bien-être, la solidarité, voire le bon plaisir de chacun, par rapport à la réussite économique, la discussion sur le temps de travail qui pollue le débat. Résolument favorable à l’entreprise gagnante, Sophie de Menthon reconnaît des responsabilités collectives dans le chômage des jeunes (stages abusifs, parents démissionnaires, élites refermées sur leurs réseaux, démagogie des politiques), mais elle estime aussi que les jeunes « pourraient faire mieux ! » La plupart ignorent tout des entreprises dans lesquelles ils postulent, ils négligent les règles élémentaires du « savoir-être » – qualités d’implication et de créativité que les entreprises n’ont pas vocation à leur donner.
Savoir-être ? Notion indécidable mais décisive : liée à l’éducation, mais pas aux codes sociaux, acquise mais qui « reflète la personnalité », elle joue un rôle important dans l’impression du recruteur, précise S. de Menthon, avouant ainsi des attendus sociaux inconscients mais bien ancrés – au grand dam d’une étudiante issue des banlieues, qui se dit abasourdie par tant de préjugés implicites. « Enfin, je ne connais pas les jeunes des milieux défavorisés : ils ne fréquentent pas ma boîte ! » conclut S. de Menthon, qui s’étonne qu’on n’aime pas davantage le monde de l’entreprise…
Sauf ceux dont le regard brille…
Autre conception du recrutement, chez Yvon Gattaz, ex-président du CNPF (MEDEF) : « il faut que leur regard brille, ceux-là feront toujours quelque chose », décrète-t-il. Convaincu que la réalité de taux du chômage des jeunes est très inférieure à ce qu’en disent les statistiques, Y. Gattaz souligne que l’enseignement va devoir changer : on n’enseigne à l’école que l’intelligence théorique, alors que les entreprises s’intéressent aussi à l’imagination créatrice, la combativité, le charisme, l’ascendant sur les autres, « et surtout le bon sens ! » – qualités dont le recruteur juge par une intuition sympathique. Comment mieux décrire le mécanisme des cooptations par milieux sociaux, et le blocage des grandes entreprises à l’égard des types de profil qui ne leur est pas familier ? Choisir les candidats prometteurs, se débarrasser librement de ceux, usés par le travail, qui ne donnent plus satisfaction, sont les autres points saillants du savoir-être managériale de S. de Menthon.
Valoriser les secteurs ignorés des jeunes gens
La seconde table ronde (information et communication sur les secteurs qui embauchent) achoppe sur un constat sans mystère : l’information sur les métiers ne manque pas, elle est même en excès parfois, mais les métiers qui recrutent souffrent d’une image négative (voire d’une absence d’image, comme la chaudronnerie) tandis que ceux qui attirent ne recrutent pas (comme le journalisme). Comment changer la situation ? En travaillant sur l’attractivité des secteurs qui recrutent : les métiers de mauvaise réputation peuvent constituer des milieux de vie épanouissants, parfois même bien rémunérés. Mais pour axer l’information valorisante sur les filières qui « marchent », il faudrait renforcer la prospective, particulièrement hasardeuse en période de crise, remarque Georges Asseraf (les ouvriers spécialisés, par exemple, ont moins diminué que prévu).
Éloge de la lenteur ?
Pour Olivier Jospin, responsable de l’Ecole de la seconde chance de Paris, il faut faire l’éloge de la lenteur, se donner le temps de laisser mûrir les projets, et aussi « réhabiliter les stages ». Stages « vertueux », contrôlés, encadrés pour le respect de l’intérêt des stagiaires, mais qui restent le meilleur mode de découverte des métiers et de l’entreprise. D’ailleurs, beaucoup de moyennes entreprises acceptent volontiers d’accueillir les stagiaires qu’il leur adresse. La « moralisation » des stages est un chantier en cours pour Georges Asseraf, Président de la Commission nationale de Certification professionnelle, qui se félicite d’être déjà loin des 10% de situations abusives diagnostiquées au départ. Quant à la lenteur, c’est une valeur à inscrire dans l’approche du monde professionnel pour les jeunes en recherche d’insertion. Les entrées en stage, la sortie de système de formation initiale, les échéances d’âge, tout va vite et contribue à la précipitation, dans ce domaine. Stress des familles, échéances scolaires, incertitude de la jeunesse : il faut laisser aux jeunes un droit à l’erreur qui se corrigera au cours de leur vie, remarque Katherine Khodorowsky, directrice de communication du CIDJ.
« Quand les enseignants considéreront que les élèves sont les clients… »
La question du décloisonnement entre le monde enseignant et celui de l’entreprise repose sur une mutation du premier, pour Robert Papin, ancien directeur d’HEC Management. Les obstacles : la « hiérarchie des métiers dans la tête des parents » et le « refus de la sélection dans le domaine éducatif », association paradoxale qu’il ne commente pas. Les jeunes arrivent en entreprise sans la connaître, il faut les préparer. Comment ? En renonçant à l’ « académisme » inutile au profit des qualités de stratège, meneur d’hommes, gestionnaire… Le recrutement privilégie le désir de dépassement, la créativité, ce que l’école étouffe. Il faut donc développer considérablement l’alternance et changer les métiers des enseignants. Il doivent s’ efforcer de faire acquérir les qualités « utiles » à l’insertion. « Quand les enseignants considéreront que les élèves sont des clients, tout ira mieux ! » Mais, pour lui, les choses s’améliorent grâce à l’autonomie des universités et la publication des résultats. La concurrence devrait stimuler les enseignants.
Valoriser la filière professionnelle
Micheline Hotyat, Recteur, chargée de mission auprès du DIO souligne l’importance du livret de compétences et du dispositif d’orientation (PDMF) tout au long de la scolarité. Découvrant des entreprises, des filières et des métiers par des visites guidées, les élèves voient qu’il existe « une autre vie hors de l’école ». Les mini-entreprises aident aussi les élèves dans cette découverte et permettent parfois aux plus timides de se révéler. La problématique de l’ouverture à l’entreprise se pose aux pays de l’OCDE, souligne Laure Endrizzi, chargée de recherches à l’ENSL. Partout, on essaie de revaloriser la filière professionnelle, parfois avec succès (Allemagne, Danemark, Angleterre) et on développe l’éducation à l’orientation. « L’école ne forme plus des savants mais des individus compétents », conclut-elle. Mais le poids des traditions nationales pèse encore lourd dans les choix de mise en pratique, variés et peu lisibles.
Internet ne remplace pas un interlocuteur.
Les intervenants de la dernière table ronde (Parler des métiers aux jeunes) insistent sur la complémentarité de l’outil informatique et du conseil personnel. A peu de temps de l’ouverture du site d’Orientation pour Tous, l’information numérique n’est valable qu’en situation de médiation, rappelle Pascal Charvet, directeur de l’ONISEP. « La virtuosité des jeunes sur les outils informatiques ne doit pas dissimuler leur inégalité grandissante devant le contenu de l’information ». Il évoque un devoir de vérité qui oblige à reconnaître que nul ne connait tous les métiers; mais entendre la demande et orienter le demandeur vers l’information pertinente reste une compétence indispensable.
Les jeunes sans qualification se comportent bien
Revenant sur l’intervention de S. de Menthon, Catherine de Labarre, directrice du CIDJ tient à préciser que les jeunes non qualifiés qui participent aux forums du CIDJ se « comportent très bien et ne manquent pas de savoir-être ». Elle relativise aussi la valorisation des filières peu attractives : inutile de leur donner un attrait qu’elles n’ont pas. Il faut être précis et exact, facile à comprendre et soucieux de vérité ou bien l’information ne porte pas. Quant à Julien Veyrier, directeur du Centre Inffo, il souligne que le métier est « un mystère autant qu’un ministère » : pas d’encyclopédisme ni de solutions définitives, dans le domaine de l’orientation et de l’information sur les métiers, qui demande de l’attention et de l’écoute, alors même que la notion de métier semble tendre à s’estomper devant les mutations des secteurs.
Site et lieu unique
En conclusion, Jean-Robert Pitte, Délégué Interministériel à l’Orientation, annonce l’ouverture du site unique d’ « Orientation pour Tous » (site rénové de Centre Inffo) le 10 décembre à 10h. Autre perspective, l’ouverture de sites uniques d’information et d’orientation, regroupant sur chaque « bassin de vie » quelques- uns des 8500 sites actuellement épars sur le territoire. « Personne ne sera martyrisé », plaisante-t-il devant les inquiétudes des acteurs de l’orientation – l’expérience du guichet unique de Pôle emploi ne semblant pas un précédent très encourageant en la matière. Mais JR Pitte est confiant : « c’est la meilleure solution pour progresser dans le sens de la loi de 2009 » : un site d’information avec plate-forme téléphonique, un lieu pour recevoir une première information. Les compétences existantes en seront largement optimisées.
Au terme du colloque, s’imposent des impressions de contrainte économique, d’obsolescence des valeurs intellectuelles de la culture générale, de valorisation de qualités liées à l’imprégnation sociale, de ségrégation implicite sous couvert de dépassement des préjugés, de réduction des services de conseil et d’accompagnement par des spécialistes formés à l’orientation. Si le monde enseignant est sommé d’évoluer vers les exigences de l’insertion professionnelle, il ne semble pas que le monde de l’entreprise soit prêt à sacrifier aux exigences déontologiques d’accueil et d’intégration des personnes non calibrées pour elle. Le business a ses propres lois et n’en admet pas d’autres.
Jeanne-Claire Fumet
Liens :
Le site de l’orientation en ligne
http://www.monorientationenligne.fr
Le CIDJ
Centre Inffo
Les métiers de la marine marchande : méconnus mais pas sans attraits.
« Je représente une secteur dont on ne parlera jamais ! regrette Bruno Dulac, ancien adjoint à la direction de l’enseignement maritime. On a des CAP, des Bac Pro, des BTS et des Grandes écoles dans un secteur qui manque de candidats : il manque 40000 officiers dans le monde entier. C’est un métier qu’on ne fait pas par défaut : il comporte des avantages importants, un mois de mer, un mois de congé, des salaires attractifs et des conditions de travail intéressantes. On peut entrer dès 14 ans dans un lycée maritime, sans aucune condition – à part la condition physique. Nous avons Internats, lycées maritimes, grandes écoles jusqu’à bac + 5 ; nous recrutons garçons et filles, les carrières sont variées et permettent souvent de travailler à terre après 6 ans de mer. Il faudrait en parler ! »
Sur internet : UCEM Nantes.
Olivier Jospin et l’Ecole de la Deuxième chance.
«C’est un dispositif pour des jeunes de 25 ans, qui ont raté l’école ou que l’école a raté, et qui veulent se donner un moyen d’accéder au métier de leur choix. Nous sommes constitués en réseau associatif et accueillons environ 12000 jeunes, souvent adressés par les Missions locales, ou qui viennent par eux-mêmes. Ce sont des gens qui ont quitté l’école à 16 ans, avec des parcours difficiles, qui ont commencé des formations et ont échoué ; ce sont aussi de très jeunes mères de famille qui essaient de reprendre pied. En termes d’insertion, on essaie d’atteindre entre 60 et 70% de sorties positives, emploi ou formation qualifiante. Ce que nous proposons, ce sont des parcours de constitution de projets professionnels en alternance. Avec une lenteur qui permet de prendre son temps. »
L’Ecole de la deuxième chance
http://www.fondatione2c.org/srt/e2c/home
L’alternance à La Poste : pour devenir facteur ou directeur RH.
« La Poste a choisi de contribuer à l’organisation de ce colloque pour donner un regard d’entreprise, mais ayant aussi des missions de service public, explique Joël Moreau, directeur de l’emploi et de la communication RH – La Poste. Nous recrutons en CDI : nous avons des contrats d’alternance, et 25% de nos recrutements sont issus de l’alternance. Nous formons surtout aux métiers de qualification de CAP à Bac. Les métiers de La Poste, c’est d’abord celui de facteur : nous recrutons sans exigence de niveau d’études, en passant par les test d’habileté de Pôle Emploi (tests de simulation) que nous allégeons pour les alternants. Sur l’Ile de France, nous embauchons environ la moitié de nos alternants ; davantage pour les facteurs, pour qui nous sommes le seul employeur, que pour les Masters RH, pour lesquels nous ne pouvons pas toujours prendre tout le monde. Mais en cas de besoin, nous privilégions ceux qui ont été formés chez nous. »
La Poste recrute