Comment faire cours au quotidien ? Comment obtenir la discipline en classe ? Evaluer efficacement ? Organiser son travail ? L’ouvrage « Réussir ses premiers cours » n’est pas un « kit de survie » qui vous dit ce qu’il faut faire à tout moment. C’est un compagnon qui vous offre 240 pages de conseils pratiques et les moyens de les dépasser. Pour son auteur, Jean-Michel Zakhartchouk, un enseignant très expérimenté et inventif, cet ouvrage est un appui pour penser et construire sa pratique. Parce que les professeurs en apprennent tous les jours, ce véritable guide du professeur débutant aidera également les enseignants chevronnés. Edité par ESF avec le Café pédagogique, il s’adresse prioritairement aux enseignants du secondaire. Mais nous le recommandons chaudement à tous nos lecteurs.
Le livre est très riche en exemples, en cas concrets. Il est sans doute le fruit de toute une carrière d’enseignant. S’adresse t il aux seuls nouveaux enseignants ? Est-il lié au fait que la formation professionnelle des enseignants a été largement amputée ?
On aurait pu compléter le titre : « Réussir ses premiers cours …et les suivants ». Il ne s’agit nullement du soi-disant kit de survie qui permettrait de « s’en sortir » pour qu’ensuite s’installent les routines. J’avais écrit précédemment un ouvrage « enseigner, un métier à réinventer » et d’une certaine façon, notre métier est à réinventer tous les jours. Donc, le livre s’adresse à tous ceux qui pensent qu’on ne fera pas que « reproduire » un modèle …jusqu’à la retraite. Précisons aussi que ce que je propose n’est pas seulement le fruit de mon expérience d’enseignant, mais aussi de celle de formateur et de militant des Cahiers pédagogiques, qui à ce double titre a pu recueillir des idées, des suggestions issues de multiples pratiques un peu partout depuis de longues années. J’écris ceci au moment où, hélas, la formation continue est détruite et où d’ailleurs à titre personnel, dans mon académie d’Amiens, on m’enlève les quelques heures de décharge de service qui m’étaient accordées pour cette formation depuis plus de 25 ans…
Vous dites que « dans le domaine de l’éducation les solutions simples fonctionnent rarement ». Peut-on dans un ouvrage de 230 pages apporter une véritable formation professionnelle ?
Bien sûr que non, la formation ne peut se contenter d’écrits, qu’ils soient sous forme papier ou sous forme numérique. Ce qui est passionnant en formation, c’est de reprendre collectivement des outils, voir ensemble ce qui est faisable, ce qui n’est faisable que sous certaines conditions, les risques de dérive, etc. Un livre peut donner des idées, formaliser, mettre de la distance, contextualiser, mais il ne remplacera jamais ce qu’on appelle d’un mot curieux le « présentiel ». Qui permet notamment de faire émerger la complexité et d’éloigner le prêt-à-penser des solutions « simples et pratiques ».
Le ministère a ouvert récemment un site officiel sur « la tenue de classe ». Et il est vrai que la discipline dans la classe est une chose importante pour les progrès des élèves. Où est le « plus » du livre sur ce sujet ?
Je déteste l’expression « tenue de classe » qui laisse entendre qu’il y a un préalable : d’abord tenir, ensuite faire travailler et apprendre. Or, je pense que bien souvent, c’est une impasse. J’ai essayé de montrer que la meilleure façon de gérer une classe est d’organiser le travail, de manière rigoureuse, sans s’épuiser dans la création d’un rapport de forces où on risque d’être perdant. Le désordre dans la classe, le manque de concentration, le bruit, ce sont bien entendu des obstacles majeurs aux apprentissages, et en particulier à l’innovation, puisqu’on est alors tenté de faire encore plus de magistral et d’exercices mécaniques pour avoir la paix en classe. Mais le problème n’est pas que les élèves restent debout au début du cours, ça ne pose aucun problème et me parait un rituel plutôt utile. La question est : « que se passe-t-il quand ils sont assis ? » Ce que j’essaie de faire dans ce livre, c’est de lier les questions de discipline à l’apprentissage, à l’acquisition de compétences, alors que trop souvent, en particulier avec la notion de « tenue de classe », on les sépare…
Tout un chapitre est consacré au travail à la maison. Vous dites que « les devoirs peuvent être des outils pour la réussite de tous » à condition de « les bien penser ». Le devoir à la maison est pourtant une pratique reine dans l’éducation. Pourquoi ces réticences ?
Je crois qu’il ne faut pas s’enfermer dans un débat théologique pour ou contre les devoirs à la maison. Une vraie réflexion doit être menée sur le sujet qui amène à distinguer différentes fonctions du travail hors la classe (expression plus appropriée d’ailleurs) : s’agit-il de recherches préalables à un apprentissage, de recherches complémentaires, d’application, de prolongements, de création personnelle ? Tout cela doit être relié à l’acquisition de compétences de façon organisée. Trop souvent, les élèves ne perçoivent pas le sens de ce travail, de ce qu’ils ont à mémoriser, des exercices à faire. Etant un des responsables d’une association d’aide aux devoirs locale, à Creil, je me rends compte de l’importance de susciter une réflexion parmi mes collègues sur le sens de ce travail qui est demandé aux élèves. Un aspect important me parait être de laisser la possibilité aux élèves de reprendre un devoir plus ou moins raté. Dans ma matière, le français, on ne leur permet pas assez de reprendre un écrit, plusieurs fois ou de recommencer un questionnaire de lecture après la séance collective en classe.
Enfin, je dirais que les jeunes enseignants qui sont en zone difficile ne doivent pas « renoncer » trop vite. Un bon moyen d’avoir la paix sociale est de ne pas donner de travail hors la classe ; or, je pense que cela renforce l’idée que l’école serait le seul lieu où on apprend. Il est important de réactiver les savoirs hors de la classe, mais cela veut dire aussi beaucoup d’énergie à dépenser et une organisation rigoureuse de l’aide
Vous abordez la question du travail en équipe dont vous dites qu’il y a « un écart entre le discours officiel et la réalité du métier ». Comment un enseignant débutant peut il être épaulé par les anciens ?
En réalité, depuis une dizaine d’années, le discours vantant le travail en équipe s’est fait plus rare. Et aujourd’hui, il semble se réduire à ce tutorat anciens-nouveaux qui me parait très réducteur. L’expérience ne doit pas être confondue avec l’expertise ; bien des enseignants dits « chevronnés » en ont beaucoup moins que certains jeunes qui, très vite, acquièrent de la maîtrise et surtout deviennent ces praticiens réflexifs dont parle Perrenoud, et peuvent alors aider efficacement d’autres collègues. Je vois très bien cela dans mon collège, en zone très défavorisée, où il y a beaucoup de jeunes ; certains m’épatent par leurs compétences organisationnelles par exemple. Les conseils d’anciens, et je le montre tout le long du livre, peuvent avoir en revanche des aspects négatifs et conservateurs lorsqu’ils découragent d’innover ou développent un scepticisme caricatural de fonctionnaires fatigués. Le travail d’équipe, on le sait, est indispensable, mais doit reposer sur des valeurs communes et sur l’idée de départ que personne n’a « la » solution, qu’il n’y a pas d’un côté les vieux sages et de l’autre des jeunes naïfs qui devraient abandonner leurs illusions…
Vous dites que mener de projets est une des façons les plus gratifiantes de faire son métier. Est-ce possible pour un débutant ? Et dans le contexte des programmes actuels ?
Oui, bien sûr, c’est possible. Je regrette très profondément la disparition de dispositifs comme les Itinéraires de découverte, j’enrage que l’ interdisciplinarité ne soit pas encouragée vraiment (par exemple pour prendre au sérieux l’éducation au développement durable), mais je m’appuie sur le socle commun et tout ce qui est énoncé dans le pilier 7 pour opposer à une logique très réductrice, où les programmes seraient des catalogues de notions une autre logique où il s’agit aussi de valider des attitudes intellectuelles telles que : mener un projet jusqu’au bout, savoir faire preuve de persévérance, savoir coopérer, écouter les autres, etc.
Mener un projet, même modeste, c’est bien ce qui donne du piment au cours, ce qui peut créer d’autres relations avec les élèves, c’est aussi réveiller chez eux des compétences « dormantes ».C’est une occasion de plaisir partagé, et ce mot « plaisir », il faut le réhabiliter et le revendiquer, contre l’image d’un savoir austère qui multiplie les préalables à toute création. Le projet, c’est une des réponses à l’appel à la créativité qu’on a récemment entendu dans les journées de l’innovation du Ministère. Mais il faudrait davantage d’appui à ces projets, y compris dans l’organisation des services et des emplois du temps, y compris dans l’évaluation finale du collège.
L’ouvrage ne s’arrête pas à des conseils sur les rapports entre enseignants et élèves mais il aborde aussi les relatons avec les parents et l’environnement professionnel. Pourquoi cela aussi est important pour l’enseignant ?
Je m’élève totalement contre l’idée d’une école « sanctuaire », qui est suicidaire pour les établissements en zone difficile. Dès les débuts dans le métier, il faut chercher à travailler avec d’autres.
Les parents sont plus que des partenaires, un rôle bien plus important doit leur être donné, et par exemple un livret de compétences s’il est autre chose qu’un pensum bureaucratique peut contribuer à plus d’information sur ce qui est appris à l’école. Je propose des pistes très concrètes pour améliorer les relations familles-école. Les enseignants doivent être capable, en professionnels qu’ils sont, de donner de véritables conseils méthodologiques aux parents, autre chose que de vagues « il faut qu’il travaille plus, qu’il apprenne mieux ses leçons »…
Concernant le monde professionnel, je crois qu’il faut se garder des dérives opposées : coupure et méfiance d’un côté, instrumentalisation de l’école de l’autre. Beaucoup de choses intéressantes ont été faites en troisième de découverte professionnelle, qui pourrait être étendues à d’autres classes, et ce qui a trait au « parcours des métiers » doit être développé. Un point m’intéresse particulièrement, c’est la mise en relation des compétences travaillées à l’école et celles qui seront à mobiliser dans la vie, dont le métier est une des composantes. Et on s’apercevra alors de l’importance de savoir s’exprimer à l’oral en tenant compte du destinataire, de savoir travailler avec d’autres, sans avoir des affinités particulières ou encore de savoir argumenter, y compris pour défendre ses droits. Rien ne m’irrite plus que la diabolisation du monde professionnel, comme si d’ailleurs celui de l’Ecole était tellement plus juste et égalitaire. Là encore, vive la complexité !
Deux chapitres sont consacrés au métier d’enseignant. Finalement quelle image du métier défendez-vous ? Enseignant est ce encore le plus beau métier du monde ?
En fait, il y a plein de métiers qui sont les plus beaux du monde. J’ai coutume de dire à mes élèves que je leur souhaite de faire comme moi plus tard, c’est—à-dire pratiquer un métier que l’on aime. JP Obin, dans un rapport dont on a hélas bien peu tenu compte, avait développé l’idée que l’enseignant exerçait un métier de cadre, à opposer à un rôle d’exécutant qui ne fait qu’appliquer des consignes venues d’en haut.
Je crois à une dialectique qui fait qu’on doit être à la fois un professionnel, un créateur, mais aussi un fonctionnaire qui a des comptes à rendre à la collectivité (ce qui n’est pas la même chose que « l’Etat »). Si une des dimensions est oubliée, on a l’oubli de l’importance de l’affectif et du relationnel ou la liberté pédagogique érigée en absolu, ou encore l’éloge d’un feeling qui ne remplacera jamais la rigueur du « pro ». J’aime reprendre l’expression ancienne de Daniel Hameline pour qui les enseignants sont ou doivent être à la fois des saltimbanques et des géomètres.
Au fond, je suis enclin à aimer particulièrement ce métier lorsqu’il est attaqué et dénigré, mais je peux aussi porter un regard moins bienveillant sur mes collègues quand ils se prennent pour des victimes ou quand ils défendent inconditionnellement ce qui est parfois indéfendable. Mais l’aventure de l’apprentissage et de l’apprentissage du monde de demain est un défi qui me passionne toujours autant, et si ce que j’ai pu capitaliser durant mes années de pratiques peut être d’une façon ou d’une autre transmis, mutualisé, alors je serais heureux d’avoir fait ce livre.
Dans quelques semaines une nouvelle génération d’enseignants va arriver devant les élèves. Quels conseils peut-on leur donner ?
Je regrette bien entendu qu’ils ne disposent pas de temps pour réfléchir à leurs pratiques et que durant l’année ils ne puissent se retrouver fréquemment pour en parler entre eux, en dehors de leur établissement. SI je devais retenir une idée force parmi les multiples « conseils » (ou suggestions, j’aime mieux) qui jalonnent tout le livre, ce serait : ne croyez pas que votre mission s’arrête au fait de « bien enseigner », car ce qui compte, c’est ce que les élèves auront appris. Si on a cette optique, cela change tout et bien des débats sur savoir si on a « fait » telle ou telle notion sont dérisoires, l’important est ce qui sera retenu, non pour l’interro immédiate, mais à plus long terme. Et là, on est dans une logique de mobilisation des compétences qui est un des points forts du livre.
Et puis se méfier de tout ce qui serait trop simple, du « bon sens », des observations trop rapides (« ils ne savent rien »). D’ailleurs, si on ne sait pas toujours bien ce qu’il faut faire, on sait qu’il y a un certain nombre de pratiques qu’il faut proscrire. Et si on en croit des études récentes, ne pas oublier que le facteur décisif de la réussite pour les élèves est d’avoir une certaine estime de soi et une confiance dans ses capacités. Probablement que cela s’applique aussi aux enseignants.
Et puis un dernier conseil : il ne faut pas se contenter d’écouter des collègues grincheux ou nostalgiques d’un passé mythique, revenus de tout sans y être jamais allés comme dirait Meirieu (le mieux est de ne pas les écouter du tout !); il faut se documenter, échanger, se tenir au courant des innovations, des recherches en lisant revues et sites pédagogiques (et bien sûr le Café), car il faut allier là encore la créativité personnelle, ce qui vient de sa personnalité et la construction collective, où on apprend des autres…
Jean-Michel Zakhartchouk
Jean-Michel Zakhartchouk, Réussir ses premiers cours, ESF Café pédagogique, Paris, 2011, 240 pages.
Résumé et sommaire :
http://www.esf-editeur.fr/detail/706/reussir-ses-premiers-cours.html
Sur le site du Café
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