F. Jarraud A – C – D – E – F – G – H – I – O – P – R – S – T – U – V Sous forme d’abécédaire, un outil cher à notre ministre, quelques questions qui font débat. Parce que rentrer c’est aussi affronter les enjeux du système éducatif.
L’égalité des chances est l’un des objectifs de l’école. Il est loin d’être atteint. Nous avons même quelques raisons de penser qu’au cours des trente dernières années, nous nous en serions sérieusement éloignés. Comme cela se fait-il ? Est-il encore possible de renverser le cours des choses ? Comment y parvenir ? Pour tenter de répondre, d’abord, à vos interrogations générales, je partirai de la notion fondamentale et incontestée d’ « égalité des chances « , de sa signification socialement progressiste et de ses limites face à un idéal intuitif de justice sociale. L’idée d’égalité des chances exprime une conception de la justice sociale selon laquelle il convient de doter tous les individus de possibilités équivalentes de promotion dans la société, en fonction des seuls critères de distinction que sont les qualités personnelles du mérite et du talent. Cela implique notamment de » neutraliser » les effets liés à l’origine sociale des individus. Ainsi, en France, depuis la IIIème République, l’extension de l’enseignement public, laïc, gratuit et obligatoire a été le vecteur de cette volonté de réduire l’impact de l’origine sociale dans la détermination des destins sociaux des individus. Depuis les années 1960, on sait que cette orientation d’une même école pour tous ne suffit pas à rétablir l’égalité des chances, puisque l’effet » origine sociale « , la nature de l’héritage culturel notamment, intervient dans les facultés mêmes d’assimilation par les élèves des matières scolaires. Cela est bien connu, mais la question demeure de savoir comment surmonter cette influence de l’inégalité d’origine sociale dans les prédispositions à l’apprentissage de la culture scolaire telle qu’elle est : par des mesures spécifiques, compensatoires, à l’égard des plus défavorisés (pour les plus éloignés de cette culture scolaire : cours de rattrapage et de soutien scolaire, avantages financiers et qualitatifs comme dans le cadre des ZEP, etc.) ou par des modifications plus profondes, affectant les contenus mêmes des savoirs transmis et leur importance relative pour la détermination des destins sociaux ? Mais, autre question peu soulevée en France : l’idée d’égalité des chances suffit-elle à répondre à l’exigence d’égalité, ou d’évolution de la société vers plus d’égalité économique et sociale entre les individus ? A cette question, un philosophe comme John Rawls répond négativement. Premièrement, il souligne à juste titre que la répartition des talents est aussi arbitraire que celle des origines sociales ; deuxièmement surtout, le bon fonctionnement d’une société ne dépend pas, selon Rawls, des talents considérés individuellement, mais de la qualité de la coopération sociale produite par l’interdépendance des talents. Dans cette optique, tous les types de talents (théoriques, pratiques, communicationnels, etc.) ont la même valeur sociale. Si on agrée à cette thèse, cela oriente bien sûr la réponse à la question précédente vers une incitation à des modifications structurelles, vers la recherche d’un réajustement dans l’importance relative entre les enseignements théoriques et pratiques notamment. Enfin, autres apports extérieurs à la France sur les questions de justice et d’égalité, des philosophes comme le Canadien Charles Taylor, ou l’Américain Michael Walzer, avancent que la notion de reconnaissance pour chacun de sa valeur sociale est peut-être plus importante que celle d’égalité, en tant qu’aspiration des individus dans les sociétés démocratiques (on peut penser d’ailleurs que l’actuel mouvement de violences urbaines qui affecte les banlieues relève, certes confusément et très maladroitement, de cette aspiration à la reconnaissance de la part d’une partie de la jeunesse d’origine immigrée en risque d’exclusion économique, culturelle et sociale). Michael Walzer soutient que les aspirations à la justice sociale et à la reconnaissance ne s’expriment pas sur la seule dimension de la revendication économique, mais également sur différentes » sphères de justice « , telles que l’implication politique, l’action associative ou syndicale, la responsabilité professionnelle, l’identité culturelle, etc. Parmi les moyens qui permettent d’établir d’avantage d’égalité, il y a celui de la compensation : donner davantage à ceux qui sont en situation défavorisée, par la position sociale ou par les talents. Pensez-vous que ce que l’on appelle la discrimination positive soit un moyen efficace pour réduire les inégalités dans le domaine de l’éducation ? Le débat public autour de la discrimination positive se caractérise d’abord par sa confusion : les uns diront qu’ils rejettent cette idée car elle conduit au » communautarisme « , d’autres parce qu’elle produit des effets stigmatisants, d’autres enfin parce qu’elle contredirait la règle républicaine d’égalité de traitement entre les individus (quotas), etc. Pour ma part, je distinguerais deux types de problèmes : celui de la compatibilité entre la discrimination positive et l’esprit de la Constitution française, d’une part, celui de l’efficacité de la discrimination positive à la française, d’autre part. Premièrement, sur le plan juridique et constitutionnel, le Rapport sur l’égalité du Conseil d’Etat de 1996, montre que l’idée de discrimination positive, consistant à » donner plus à ceux qui ont moins » afin de compenser certaines inégalités des chances à l’origine, est inscrite dans la démarche constitutionnelle. Celle-ci postule en effet, que des différences de traitement sont autorisées s’ils répondent à l’utilité commune. Or, les pratiques de discrimination positive à la française jusqu’à maintenant (les ZEP par exemple), qui proscrivent les critères ethniques ou les obligations de résultat (quotas), satisfont bien à l’exigence de l’utilité commune en luttant contre les inégalités. (Ces pratiques ont d’ailleurs comme antécédents l’impôt sur le revenu et les redistributions à travers la sécurité sociale). Par ailleurs, vis-à-vis du risque de stigmatisation, toutes les pratiques d’action sociale ciblée peuvent certes produire des effets pervers, mais ce qui importe, comme le dit le philosophe Albert Hirschman, c’est que les effets positifs soient supérieurs aux effets négatifs. Deuxièmement, sur le plan de son efficacité, la discrimination positive à la française, à l’exemple des ZEP, malgré un ensemble réel de moyens supplémentaires engagés, demeure peu efficace : après 25 ans de fonctionnement, les ZEP n’ont pas réussi à combler les écarts entre groupes sociaux, ni à supprimer les liens entre origines sociales et niveau des diplômes obtenus (études de Goux et Maurin, citées par Pierre Merle, La démocratisation de l’enseignement, Repères-La découverte, 2002, p.68). Ce constat suggère, non qu’il faille abandonner cette orientation pour en revenir à des principes encore plus formels d’ « égalité des chances par l’école » ; mais qu’il convient au contraire d’approfondir la discrimination positive, en intervenant, sur les causes structurelles de » l’inégalité des chances par l’école » : en rééquilibrant notamment la hiérarchie dans les modes de validation (ou de reconnaissance) entre les savoirs qui relèvent de l’abstraction générale et théorique, d’une part, et ceux qui relèvent de la pratique et du » concret « , d’autre part. Avant de préciser ce que pourraient être ces interventions sur les causes structurelles, de l’inégalité, pouvez-vous revenir sur ce qui fonde l’exigence d’égalité ? Ce principe est-il d’ailleurs celui auquel il faut continuer de se référer pour analyser la question scolaire ? Comme je l’ai dit ci-dessus, il me semble que la question de la reconnaissance (et de la lutte pour la reconnaissance), est plus à même de rendre compte des revendications contemporaines (qui débordent du cadre de l’économique), que celle de l’égalité. Toutefois, l’exigence d’égalité est une des façons de traduire plus concrètement cette aspiration à la reconnaissance (où à l’égale reconnaissance) de la valeur sociale de chaque individu. L’idée d’égalité apparaît dans nos textes fondateurs et revient fréquemment dans les textes constitutionnels actuels, sous différentes formes : égalité devant la loi, égalité des chances, égalité des droits économiques et sociaux (ces derniers étant plus proches d’une égalité de fait, apparus avec la sécurité sociale en 1945). Mais je pense que la démonstration la plus convaincante qui fonde encore notre exigence contemporaine d’égalité (et même, au-delà de l’égalité des chances, d’une exigence d’égalisation des situations socio-économiques) dans les sociétés capitalistes démocratiques, est celle de Durkheim (dans la division du travail social) : cet auteur démontre en effet que toute l’organisation de nos sociétés repose sur l’interdépendance et la complémentarité des fonctions exercées par les individus dans l’univers du travail (on retrouvera cette idée chez Rawls sous une forme encore plus générale, avec l’idée d’un fonctionnement social basé sur la complémentarité des talents). Il en résulte que tous ont une utilité sociale équivalente quelles que soient les positions dans la hiérarchie professionnelle. Pour Durkheim (contrairement à Marx), il ne s’agit pas de supprimer la division du travail ni la hiérarchie des revenus qui l’accompagne, car elles sont à la base d’une dynamique de création des richesses. C’est donc par une redistribution des revenus et des avantages sociaux dans un sens plus égalitaire, que Durkheim, et à sa suite le courant de pensée solidariste du début du 20ème siècle (Léon Bourgeois), se proposent de retrouver une répartition des richesses plus conforme à l’égalité dans l’utilité des contributions des individus dans la production des richesses. La fiscalité, la protection sociale, ainsi que les politiques sociales (y compris la discrimination positive), sont fondées sur cette analyse durkheimienne du lien entre » complémentarité égalitaire entre les travailleurs » et » redistribution des richesses dans un sens plus égalitaire « . Ainsi, vous associez étroitement le principe d’égalité à une revendication plus générale qui est celle de justice sociale. Ces deux notions sont associées dans les sociétés démocratiques. Mais, sur le plan le plus général, cette association n’est pas obligatoire. La justice sociale en effet se réfère à un ensemble de principes et de règles considérés comme légitimes par une majorité de sujets : s’il s’agit d’une société basée sur un système de castes hiérarchisées, toute décision qui respecte ce système peut être considérée comme juste, sans qu’intervienne la notion d’égalité. Dans nos sociétés démocratiques toutefois, on peut considérer que l’égalité (dont il faut préciser la nature : égalité devant la loi, et/ou égalité des chances, et/ou égalité socio-économique de fait) est un idéal, et que les principes de justice (les principes constitutionnels par exemple), constituent un système de règles allant dans le sens du type d’égalité souhaité. – Le modèle » libertarien « , qui accorde une place prépondérante à la liberté, et où l’idéal d’égalité se réduit à une répartition des richesses en fonction des talents de chacun. – Le modèle » libéral-démocratique « , que nous connaissons en France notamment, qui prône en outre l’égalité des chances par l’école, et une certaine égalisation des situations par des politiques redistributives. – Le modèle rawlsien, dit de » justice par équité « , qui maintient les idéaux d’égalité du modèle précédent, mais qui propose des principes de justice plus contraignants que les règles juridiques et constitutionnelles : évolution de la société à partir de l’évolution sociale prioritaire des plus mal lotis, exigence de transformations structurelles pour satisfaire à l’égalité des chances, égalité dans les libertés de base (après une définition rigoureuse des libertés de base), etc. Dans un tel système, est considérée comme juste, toute action qui satisfait aux deux principes de justice, le premier portant sur les libertés de base, le second sur les critères de répartition socio-économique organisés autour de la progression socio-économique des plus défavorisés. Revenons à l’éducation et voyons comment ces analyses s’y appliquent. Le second principe de Rawls invite à apprécier le caractère plus ou moins juste d’une action éducative en fonction de ses effets sur la situation des plus défavorisés. Comment cela se traduit-il concrètement ? L’application au système éducatif du principe de justice de John Rawls implique que l’organisation concrète d’un enseignement dans une classe devrait, pour suivre ce critère de justice, prendre appui sur le niveau de progression des élèves les plus en difficultés (ou, au moins, toujours le prendre en considération). Il s’agit bien là, en partie, d’une responsabilité propre à chaque enseignant, qui ne peut être entièrement rejetée sur les impératifs extérieurs. Or, Pierre Merle dans l’ouvrage précité (La démocratisation de l’enseignement, repère/la découverte, p.109), se réfère à des travaux récents qui montrent : – premièrement, qu’au-delà des déterminismes sociaux (Bourdieu), et des stratégies plus individualistes des élèves (Boudon), les modalités d’enseignement propres au professeur jouent un rôle dans le niveau de progression des élèves, y compris des plus défavorisés. – deuxièmement que certains professeurs sont plus équitables : » leur activité pédagogique permet une diminution des écarts entre les élèves faibles et forts « . De plus, ces études montrent également que : » Contrairement à une opinion commune, source d’élitisme, cette action égalisatrice ne favorise pas une égalisation par le bas. Les professeurs équitables sont aussi, généralement les plus efficaces et cette différence d’efficacité entre professeurs est susceptible de réduire très sensiblement les inégalités de réussite associées aux différences d’origine sociale « . (p.109). Vous suggérez également que l’hégémonie des compétences tournées vers l’abstraction par rapport à tout ce qui se rapporte à la pratique, est une source principale d’inégalité des chances à l’école. Remettre en cause cette hégémonie exige des réformes profondes. Lesquelles ? Sur ce plan, les théoriciens et les praticiens de l’éducation sont plus compétents que moi pour faire des propositions précises. Sachant que toutes les justifications fondamentales évoquées plus haut – équivalence des utilités sociales de toutes les fonctions de travail, complémentarité des fonctions (Durkheim) ou des talents (Rawls) – plaident pour des refontes structurelles, des remises en cause de cette hiérarchie génératrice de profondes injustices (sans parler des violences urbaines actuelles). La référence aux principes de justice (de Rawls, par exemple) permet d’évaluer les différentes propositions, en fonction de ce critère de justice. Dans cette optique, on peut déjà caractériser comme injustes les deux orientations opposées suivantes. Premièrement, celle qui se replie sur la conservation du système actuel, du primat absolu des enseignements généraux et abstraits. Cette orientation demeure injuste, même si elle est compensée par une discrimination positive visant à améliorer les conditions de formation pour les plus en difficultés sans modification sensible du système d’enseignement. Cela ne signifie pas que les plus défavorisés ne doivent pas accéder aux acquis de ces enseignements plus généraux et théoriques ; au contraire, il faut se donner les moyens de diffuser ces enseignements, comme il est dit plus haut, à partir du niveau des plus défavorisés. Mais, sans un certain rééquilibrage dans les légitimations scolaires, entre les reconnaissances des compétences théoriques et pratiques, les effets de sélection et d’éviction continueront à se manifester à l’encontre des plus éloignés de l’univers abstrait tel qu’il est imposé dans notre système scolaire. Deuxièmement, une spécialisation précoce des plus défavorisés, vers des orientations pratiques – ce qui est renforcé par la proposition actuelle d’une incitation à un engagement vers l’apprentissage dès l’âge de 14 ans -, qui ne fait que renforcer une école à deux vitesses. Non que l’idée de stages pratiques ou de périodes d’apprentissage soit mauvaise en soi (je ne m’inscris pas ici dans le débat » formation de citoyens » qui serait l’objectif noble de l’école contre » formation de travailleurs » qui caractériserait une école soumise au patronat). Mais, si un certain frottement à la pratique est nécessaire, ça l’est pour tous les élèves et pas pour les seuls élèves supposés en difficulté car issus de milieux les plus défavorisés. Plus généralement, tout ce qui va dans le sens de la reconnaissance d’une pluralité dans la nature des compétences soumises à l’évaluation des performances scolaires relève d’une orientation plus juste et plus égalitaire : revalorisation des filières professionnelles et techniques (renforcement des enseignements dit » généraux » au sein de ces filières, passerelles souples avec les filières générales, possibilités d’accéder aux grandes écoles et autres filières d’excellence, possibilité d’accès aux carrières administratives les plus élevées, etc.) ; revalorisation des enseignements pratiques au sein des filières générales Pour une grande part, ce type d’exemples d’évolutions vers un système d’enseignement plus juste, relève d’une réflexion et de débats au sein même de l’école, sans que tout soit déterminé par des facteurs extrascolaires. On peut d’ailleurs dire que ce type de débat a fréquemment mobilisé les syndicats et acteurs du système scolaire. Mais il a du mal à diffuser plus largement au sein de la population. Entretien avec Simon Wuhl, sociologue et enseignant. Serge Pouts-Lajus
E.N.T. : Quel accompagnement pour quels usages ?
« En 2007 tous les élèves devront être équipés d’un bureau virtuel ». Cette montée en puissance annoncée (mais sera-t-elle tenue ?) des Espaces numériques de travail (ENT) met au premier plan les questions des usages et de l’accompagnement de leur déploiement. Deux thèmes qui étaient au centre du « séminaire de clôture du blog ENT » ouvert par la Fing et le Café pédagogique.
Vendredi 7 juillet, à Paris, contributeurs et lecteurs du blog ont pu échanger sur les usages et les défis posés par les espaces numériques de travail (ENT) au système éducatif. Quelles conditions facilitent la mise en place d’un ENT ? Quelles ressources ? Quels rapports entre ENT et logiques disciplinaires ? ENT et ouverture de l’Ecole. Parents et enseignants, éléments clés de leur mise en œuvre selon une étude de la CDC et de l’ARF Elle établit que, pour les collectivités locales, les coûts de ce déploiement représentent, selon la formule retenue, entre 22 et 33 euros par élève. Les frais de fonctionnement se situent entre 5,6 et 7,2 euros hors taxes par élève et par an. Mais les ENT peuvent aussi générer des gains qu’Accenture a voulu calculer. La généralisation des ENT peut ainsi diminuer les frais postaux, par exemple pour l’envoi des relevés de notes, des notifications d’absences, des informations diverses liées à l’établissement. Au total l’ENT devrait permettre de ramener ces frais de 13,25 euros à 6,23 euros par an et élève. La dématérialisation des cahiers de textes et des cahiers de liaison devraient faire baisser les coûts d’achat de fournitures générant un gain de 0,92 euros. Enfin l’ENT supprimera les frais liés à des applications locales et diminuera les investissements informatiques, le tout pour 3,20 euros par élève et par an. Au total, les ENT devraient permettre d’économiser 11,54 euros par an et par élève. Un chiffre à mettre en parallèle avec les frais de fonctionnement. Affaire rentable donc que les ENT ? Oui. Mais « la capacité à réaliser effectivement ces gains dépend de plusieurs facteurs, les plus significatifs étant relatifs à l’adoption par les parents, les enseignants et l’administration des EPLE de la dématérialisation des échanges ». Les acteurs du déploiement, régions, Caisse et Ministère, sont donc appelés à mettre en place une politique de communication vers les parents et les enseignants. Or, il faut bien le dire, voilà deux catégories qui communiquent peu entre eux. « Il n’existe pas d’autre pays que la France qui ait construit son système scolaire à ce point contre le système familial » affirme P. Meirieu. Cette fermeture de l’Ecole renvoie à la fois à la conception de l’Ecole sanctuaire, à une posture pédagogique, celle du professeur transmetteur incontesté et finalement à une économie de l’Ecole (l’enseignant payé uniquement pour assurer ce service de transmission). La question du déploiement des ENT n’est donc pas d’abord technique. Elle ne pourra se faire qu’au prix d’une évolution profonde de ces conceptions.
Estime de soi : une question française
« L’Ecole est un espace où l’estime de soi est durement mise à l’épreuve. Lieu de passage et de rencontre de nombreux partenaires aux objectifs différents, lieu de socialisation et d’étude pour les élèves, lieu d’espérances et de déceptions pour les parents, lieu d’évaluation et de sélection pour les enseignants, l’établissement abrite autant et peut-être plus de déconvenues que de succès, ce qui ne crée pas le climat favorable à l’instauration d’une saine estime de soi ». Marie-Joseph Chalvin ouvre ce dossier d’Education & Management par un bilan : la question de l’estime de soi concerne tous les acteurs de l’Ecole. Et d’abord les professeurs. Ecoutons Jean-Yves Langanay, IPR, souligner les blessures narcissiques infligées par un mode d’inspection qu’il souhaite voir évoluer. « Si le critère premier de leur recrutement reste l’excellence disciplinaire, il ne suffit plus. Les inspecteurs sont de plus en plus conscients d’agir au nom d’une institution et dans une appréhension de plus en plus globale et systémique… Leurs pratiques doivent être marquées par l’exigence éthique et déontologique qu’appelle la réponse à la question de l’estime de soi ». Il invite donc les inspecteurs à prendre en compte les différentes dimensions du métier, à « des rencontres et des échanges pédagogiques plus fréquents et diversifiés », à « aider l’enseignant à sortir de son isolement », à s’attacher au projet de l’établissement : n’est ce pas reconnaître que le mode d’inspection « à la française » est à revoir ? Evidemment, la question concerne aussi les élèves. Yves Dutercq rappelle que « les enseignants français ont, dans leurs évaluations, tendance à insister sur les échecs plus que sur les réussites des élèves » et relève la faible diffusion des recherches en ce domaine. D’après Pierre Merle, « un collégien sur cinq s’est déclaré senti souvent ou assez souvent humilié par son professeur ». Cette culture du « rabaissement scolaire », qui rappelle tant le mépris vécu par nombre d’enseignants lors des inspections, nuit évidemment aux résultats. Pour P. Merle « les recherches ont montré que les jugements des enseignants influencent davantage la réussite des élèves faibles que celle des élèves forts ». Ne serait ce que par ces analyses, complétées par bien d’autres articles, ce numéro 31 d’Education & Management mérite de circuler dans les établissements. Alors on s’étonne qu’il n’ouvre pas sur des questions et des perspectives. Cette culture du mépris scolaire est-elle une spécificité française ? Peut-on évaluer autrement ? Comment font nos voisins ? Au moment où on veut baser les politiques éducatives sur des évaluations rigoureuses, pourquoi ne pas observer chez nos voisins comment se construit l’évaluation des uns et des autres et en rendre compte ?
Etablissement : Pour l’Inspection, l’effet établissement passe par leur chef
« Il convient… d’accentuer les efforts entrepris, en améliorant la formation initiale au management et en accentuant l’effort de formation permanente… Demain plus encore qu’aujourd’hui, un responsable d’EPLE devra être capable d’impulser les choix pédagogiques de l’établissement, d’assurer une gestion financière affinée, pour se dégager des marges de manœuvre dans le cadre de la LOLF, de négocier des conventions locales équilibrées, voire avantageuses avec la collectivité territoriale de rattachement, d’animer des équipes dépendant de plusieurs employeurs ». Selon le rapport de synthèse des visites d’établissements publics (EPLE : collèges et lycées), publié par les I.G. Jean-François Cuisinier et Thierry Berthé, les inégalités de résultats entre établissements relèveraient d’abord de pilotages de qualité différente. Ils relèvent de fortes différences entre établissements. Plus que l’effet taille, peu crédible à leurs yeux, ou le poids des inégalités sociales, très perceptible mais remédiable, le pilotage d’établissement leur semble être le facteur clé de l’effet établissement. Les établissements qui réussissent sont entraînés dans des politiques actives. « Des politiques pédagogiques de prise en charge collective et organisée des élèves en difficulté obtiennent des résultats positifs dans des collèges de profil différent (centre ville, ZEP, rural)… La volonté de prendre en charge l’hétérogénéité des élèves par des actions individualisées et des dispositifs adaptés qui ne soient pas conçus et organisés comme des filières cloisonnées, constitue la pierre angulaire des projets d’établissements qui obtiennent de bons résultats et s’appuient sur un ensemble de démarches complémentaires » affirme l’Inspection. Elle décèle trois conditions de réussite : « d’abord l’importance donnée à la classe comme lieu d’apprentissage et de socialisation : une attention forte est apportée à la composition des classes, à leur fonctionnement et à l’évolution des résultats en cours d’année; ensuite, la mise en œuvre de pôles valorisants : classes musicales, classes européennes, classe équitation, classe bilangue; enfin, la prise en charge des difficultés des élèves : heures de soutien systématiques en 6ème, organisation en 6ème et en 5ème d’une classe à effectif allégé pour des élèves plus lents, 4ème de soutien et 3ème d’insertion ». C’est particulièrement vrai au collège où des établissements sont montrés en modèles : ils assurent une liaison avec les écoles du quartier, aident les élèves, organisent des sorties culturelles etc. Le rôle du CDI apparaît particulièrement important : » La présence d’un CDI actif, bien équipé et accessible est un atout pour les élèves » particulièrement pour l’apprentissage des TICE. Est-ce à dire qu’il faille en finir avec les politiques globales de type ZEP ? Les inspecteurs ne le pensent pas, mais… » Globalement, les performances des collèges semblent reposer sur un fort déterminisme socioéconomique. Il est contrebalancé par la qualité du pilotage des établissements, notamment par les moyens alloués par l’administration et par la faculté d’entraînement du chef d’établissement auprès de ses équipes administrative et pédagogique. Cela paraît justifier les efforts entrepris jusque-là pour assurer la mixité sociale et pour renforcer les moyens à disposition des élèves les plus défavorisés. Peut-être faut-il aller encore plus loin, qualitativement, dans ces deux directions, mais aussi mieux détecter, former et soutenir les futurs cadres dirigeants des collèges. ». Un exemple : A l’école de la réussite
L’analyse comparée des résultats aux évaluations à l’entrée en sixième pour tous les collèges de l’académie (de Nantes) a montré qu’il existait une disparité importante entre établissements sur le territoire académique mais aussi… qu’il n’y avait pas de corrélation systématique entre les scores obtenus par les élèves et leur origine sociale… Ainsi, des collèges présentant des taux de PCS défavorisées supérieurs à la moyenne académique figuraient parfois dans le peloton des établissements où les élèves réussissaient bien, voire très bien les tests d’évaluation… Là où une forme de fatalité sociale aurait laissé attendre des résultats faibles, on se trouvait au contraire face à de véritables réussites scolaires, en français comme en mathématiques ». C’est le cas par exemple d’élèves venus d’écoles comptant 69% de PCS défavorisées et 35% d’élèves étrangers. Le pôle pédagogique de l’académie de Nantes a enquêté pour connaître les clés de ces réussites inattendues. L’étude met en évidence plusieurs facteurs. « Même si on constate dans la majorité des écoles visitées un manque d’ambition scolaire chez les élèves et leurs familles, une certaine pauvreté culturelle et langagière, contre laquelle des efforts importants sont menés, il y a partout un grand respect pour l’école, parfois au prix de gros efforts des équipes d’enseignants pour construire ou reconstruire une représentation positive de l’école auprès de certains parents » C’est que la qualité de la relation avec les parents, les efforts menés pour les intégrer dans la vie de l’école apparaissent comme des conditions de réussite. D’autres facteurs relationnels sont également importants : les établissements ont des équipes enseignantes stables, qui collaborent facilement et qui ont de bonnes relations avec des municipalités bienveillantes. Reste la partie strictement pédagogique. » La place et la spécificité de chaque discipline sont nettement prises en compte, mais on insiste beaucoup à chaque fois sur l’activité langagière : comme il a été dit par une équipe » tout se tient dans le langage « ». Les enseignants s’attachent également à donner du sens aux apprentissages, à développer des liens contractuels avec les élèves, qu’il s’agisse des codes de vie ou même du travail scolaire. Des pratiques pédagogiques décrites par un rapport académique qui suscitent de l’admiration et luttent contre le fatalisme ambiant. L’école qui réussit ça existe ! Evaluation : L’Inspection générale invite à révolutionner l’évaluation
« Tour d’horizon saisissant ! : parcouru du ministre à l’élève, comme nous venons de le faire, à la recherche de cet introuvable objet, le système éducatif français s’intéresse, en 2005, d’une façon bien imparfaite et aléatoire à ce qui justifie aussi bien son existence que le fait que l’État lui consacre près du quart de ses ressources : les acquis des élèves qui le fréquentent… L’idée défendue ici est que les acteurs du système sont trop éloignés aujourd’hui, dans leurs habitus et dans leur conception implicite de l’école, d’une considération suffisante portée aux apprentissages et aux acquis des élèves pour que, si on ne prend pas soin de réfléchir aux conditions d’une révolution scolaire, les nouvelles entreprises d’évaluation et de mesure se traduisent par une efficacité accrue de l’ensemble. Ni la méthode de la LOLF, ni les préconisations générales de la Loi ne seront autre chose qu’une machinerie bureaucratique, mobilisant les énergies à seule fin de rendre des comptes et de tenir des tableaux de bord, si on ne se préoccupe pas d’abord de faire évoluer l’entreprise d’éducation vers un nouveau paradigme pédagogique… L’école, en France, depuis longtemps n’est pas au clair, comme elle a pu l’être dans le passé ou comme le sont les écoles de certains pays, sur les rapports entre la prescription nationale des programmes et la réalité des apprentissages et des acquis des élèves… Le temps semble urgent, dans un contexte général qui fait parfois douter l’école d’elle-même, de reprendre la question et de lui rendre tout motif de croire en elle en l’assurant mieux sur la construction, le suivi, la mesure et la certification de ce qu’elle enseigne ». Le rapport de l’Inspection générale et de l’IGAEN piloté par Anne-Marie Bardi et Roger-François Gauthier, avec les inspecteurs Myriem Bouzaher, Annie Dyckmans, Alain Houchot, Michel Leblanc, Pierre Malléus, Christiane Menasseyre, Alain-Marie Bassy, Jean Vogler et Claude Sage, sur « les acquis des élèves » appelle à rien moins qu’à une « révolution des références de l’école ». C’est que le moment paraît choisi pour impulser des changements : la loi organique relative à la loi de finances demande aux administrations de rendre des comptes précis de l’argent des contribuables. La loi Fillon invite le futur Haut conseil de l’éducation à élaborer des outils d’évaluation de l’Ecole. En France, comme dans les autres pays développés, on voit se mettre en place un pilotage par les résultats, à l’image de ce que la loi No Child Left Behind a impulsé aux Etats-Unis. Enfin le « socle commun » prévu par la loi Fillon exigera un contrôle des compétences des élèves. Or, en France, les outils actuels ne permettent pas de connaître les acquis des élèves, affirme le rapport. » Au niveau national, la culture de l’évaluation tarde à s’enraciner… Les outils ne manquent pas. Ils sont au contraire pléthore. Mais certains sont trop rudimentaires pour permettre d’apprécier les acquis des élèves. D’autres, plus pointus et sans doute plus adaptés, sont, en matière de pilotage, peu utilisés ». Au niveau des enseignants, « si l’on constate que la très grande majorité des enseignants sont capables d’évaluer précisément les capacités et le niveau de chacun de leurs élèves, ils ont souvent du mal à traduire cette appréciation de manière fine en termes d’acquis, à l’expliciter et à la faire remonter vers la communauté éducative comme à la faire redescendre à l’élève et à sa famille. La conversion de toute évaluation en note et, dans certains établissements, le compactage en » note moyenne » par discipline sur le bulletin trimestriel de toutes les notes obtenues par l’élève au cours du trimestre… réduisent considérablement la précision de l’analyse des acquis et des manques ». Le rapport souligne l’absence de réflexion et même d’information des enseignants sur l’évaluation au niveau de chaque établissement et le culte de la moyenne, « spécificité française », qui empêche une estimation fine des compétences et des acquis. Seule la voie professionnelle semble avoir progressé sur ce terrain. Les programmes eux-mêmes donnent peu d’indications sur ce qu’apprennent les élèves : leur rédaction n’est pas toujours cohérente d’un niveau à l’autre et leur application varie d’un enseignant à l’autre. Résultat : « l’institution est-elle le plus souvent impuissante à rendre compte avec précision aux élèves et à leur famille de la réalité des savoirs ou des savoir-faire acquis comme des progrès accomplis dans leur apprentissage ». Aussi le rapport préconise-t-il des changements importants dans les programmes, les examens et les pratiques enseignantes. Ainsi il souhaite « diversifier les formes d’épreuves afin d’améliorer la cohérence des évaluations avec les objectifs des programmes ». On est loin des projets Fillon qui supprimaient les TPE au bac et se contentaient de limiter le nombre des épreuves sans chercher à évaluer autrement. Mais c’est surtout un changement dans les pratiques pédagogiques que vise le rapport. Et il propose des recommandations précises. Pour « conduire les maîtres à concevoir l’évaluation… comme un objet essentiel d’exercice de leur responsabilité professionnelle« , il envisage de « demander à chaque enseignant d’élaborer un document d’analyse et de réflexion pluriannuel décrivant ses stratégies pour faire progresser ses élèves et analysant les résultats ainsi obtenus » et de « proscrire tout calcul de moyenne entre notes à statut différent afin que le recentrage sur les acquis des élèves soit clair à l’ensemble des acteurs. Substituer aux divers bulletins trimestriels et dossiers à constituer pour chaque examen ou inscription, un livret scolaire unique se constituant tout au long de la scolarité et portant sur l’atteinte des acquis prévus par les programmes (et non sur la personne), outil qui sera aussi bien celui de l’élève que celui de l’institution« . Cela permettra de suivre l’acquisition des compétences de chaque élève et d’informer les familles des points à consolider ou à acquérir. Il s’agit d' »informer et responsabiliser les élèves. Valoriser leurs essais en donnant à l’erreur son juste statut. Favoriser l’autoévaluation grâce à l’explicitation des objectifs et à la fourniture d’outils. Guider les élèves dans la constitution d’un portfolio individuel rassemblant au cours de la scolarité les traces des productions les plus remarquables ». Portfolio, évaluation des compétences, évaluation croisée entre disciplines, transmission aux familles des bilans : des pas avaient été faits ces dernières années dans cette direction au lycée grâce aux modules. Jusqu’à ce que Luc Ferry puis François Fillon recadrent leur esprit et suppriment l’évaluation nationale et ses outils. Il faut souhaiter que ce rapport percutant et stimulant connaisse un autre sort et que le pilotage par les acquis ne devienne pas, comme c’est le cas parfois ailleurs, un simple pilotage par les statistiques aggravant les inégalités et les exclusions. Plus d’un millier d’expérimentateurs pour André Antibi
Comment lutter contre l’échec et l’humiliation scolaires ? André Antibi propose un système d’évaluation qui bénéficie du soutien de nombreuses organisations professionnelles et touche maintenant plus d’un millier d’enseignants.
A. Antibi est parti d’un constat : la répartition des notes dans le système éducatif français est très différente de celle des autres systèmes éducatifs. Elle suit exactement la même courbe de Gauss quels que soient les élèves, éliminant toujours une partie importante de ceux-ci. « En raison de conceptions ancrées sur le classement des individus, les pratiques d’évaluation apparaissent souvent comme un couperet destiné à sélectionner. Elles sont assujetties généralement à la règle des trois tiers : un tiers de « mauvais », un tiers de « moyens » et un tiers de « bons », y compris quand les objectifs ont été globalement atteints par la grande majorité des élèves. Ce phénomène, relaté sous le nom de » constante macabre » se manifeste à des degrés divers aux différents étages du système éducatif ». Ce système de notation « pourrit l’Ecole », démobilise une partie importante des élèves, crée de la rancune et de l’agressivité et finalement génère un taux constant d’échec scolaire. Pour André Antibi, « une telle situation n’est pas fatale. Inverser la tendance est possible, rapidement, au bénéfice de toutes les parties prenantes. Cela suppose une prise de conscience de ce dysfonctionnement, et la volonté clairement affichée de l’éradiquer. Des solutions simples et efficaces existent, déjà expérimentées… En particulier, le contenu d’une épreuve d’examen ainsi que sa longueur doivent correspondre à un contrat clairement annoncé par l’enseignant, sans piège. Dans ces conditions, l’échec éventuel d’un élève ne serait plus ressenti comme une injustice ». Ce que recommande le MCLCM c’est « l’évaluation par contrat de confiance » (EPCC), une méthode où l’élève est informé du contenu de l’exercice et s’y prépare. Mardi 20 juin, il faisait le point sur une année d’action. Le Mouvement bénéficie du soutien actif des associations de parents d’élèves, des syndicats enseignants et de nombreuses associations professionnelles et d’une reconnaissance formelle du ministre de l’éducation nationale. En une année il a doublé le nombre d’enseignants expérimentateurs, passant le cap du millier d’enseignants. Plusieurs enseignants témoignaient des effets de la méthode Antibi. Ils ont vu les résultats de la plupart des élèves monter et la confiance en eux revenir. Ce qui les amène à travailler davantage. Ce que confirment deux lycéens de seconde, élèves de Corinne Croc au lycée de Pont-Audemer. « On est mieux préparé au contrôle. Ca encourage à travailler. Du coup on a de meilleures notes et ça aussi c’est encourageant. Autant travailler pour avoir une bonne note ». Ce succès est-il généralisable ? Pour le recteur Joutard, si la démarche est bonne, si « l’évaluation traditionnelle pourrit le système scolaire », l’EPCC doit faire son chemin chez les enseignants de terrain, au prix d’une adaptation pour les disciplines non-scientifiques. Un appui ministériel plus actif y aiderait. En 2005, la Desco avait promis d’adresser un courrier aux recteurs et aux inspecteurs d’académie pour faire connaître son soutien à cette initiative. La lettre n’est toujours pas partie. |
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