L’écriture d’un programme disciplinaire, nous le savons bien, est un processus complexe qui anime les débats au sein de la profession depuis plusieurs années. En général, un groupe est constitué pour rédiger un projet, puis vient le traditionnel temps des débats et après quelques évolutions ou amendements, le texte final est publié, laissant apparaître quelques cicatrices (Gilles Klein, 2003). Alors qu’il avait été validé par le conseil supérieur des programmes (CSP) en date du 23 octobre 2018 et soumis à la consultation des enseignants, le projet de programme de l’enseignement commun, conçu par le Groupe chargé de l’Elaboration des Projets de Programme EPS (GEPP-EPS) pour le LGT, a été remanié en profondeur, tel qu’il en ressort du texte final du Programme publié au BOEN du 22 janvier 2019.
Nous avons aussi été surpris que les amendements formulés sur le projet initial par les organisations syndicales et professionnelles auditionnées aient également été retoqués. Dès lors, et sans vouloir rentrer dans une quelconque forme de polémique, nous avons souhaité comprendre la démarche de conception du projet de programme initial du GEPP-EPS, et tenter d’en comprendre les points saillants et les enjeux pour le lycéen(ne).
Bonjour, pouvez-vous nous expliquer quelle a été votre démarche de conception pour la rédaction de ce projet de programme ?
Constitué de 7 personnes, un Inspecteur Général EPS, un enseignant-chercheur, un IA-IPR, trois enseignants d’EPS et une chargée de mission du CSP, notre groupe a été nommé par le Conseil Supérieur des Programmes en mai 2018. Dans un calendrier très contraint, nous avons réalisé 6 séminaires de plusieurs jours pour concevoir deux projets de programme d’EPS pour le lycée général et technologique : enseignement commun et enseignement optionnel.
Notre démarche a été de commencer par partager un diagnostic de l’enseignement de l’EPS au lycée et de réaliser 6 auditions : deux associations scientifiques (l’ARIS ; l’AFRAPS), deux associations professionnelles (AEEPS ; Centre EPS et société) et le corps d’Inspection (Doyenne de l’IGEN-EPS et deux IA-IPR). Ces auditions ont permis d’alimenter nos réflexions et nos échanges.
Des comptes rendus systématiques, internes au groupe, étaient réalisés après chaque séminaire et audition. Une note détaillée sur l’état d’avancement du travail a été rédigée à la demande de Madame la Présidente du CSP en juillet 2018.
Chacun des membres du groupe avait la liberté de s’exprimer. Au départ, nous avions des points de désaccords. Nos confrontations d’idées ont permis d’aboutir à un consensus. Chaque idée, notion, était débattue, validée par l’ensemble du groupe avant d’être retenue pour l’écriture des projets de programme.
Quelle a été votre analyse de la situation actuelle de l’EPS au lycée et des programmes de 2010 ?
L’EPS est en grande majorité bien vécue par les adolescents au lycée. Nous avons identifié l’évolution de leurs motivations pour la pratique physique : la santé, le bien-être, la recherche d’appartenance sociale, et plus seulement l’engagement pour la compétition. En revanche, après le lycée, on constate un rapport inquiétant des adolescents et jeunes adultes à l’activité physique, sportive, artistique (fort décrochage de l’activité physique vers 17 ans et post-bac avec une baisse plus marquée chez les jeunes femmes).
Un autre point que nous avons considéré est la nécessité de prendre en compte les exigences de l’enseignement supérieur dans le nouveau cursus lycée « Bac -3 / Bac + 3 », notamment les compétences liées à l’autonomie, le travail collaboratif, la capacité à faire des choix et décider.
En conséquence, nous avons fait évoluer la finalité du programme (2010) vers la recherche de plus d’autonomie chez l’élève, tout en définissant clairement les acquisitions visées en EPS en fin de cursus (sur 3 années), en vue qu’il poursuivre un mode de vie actif et solidaire après l’école.
Nous avons souhaité abandonner la progression linéaire et cumulative par niveaux de compétence du programme lycée 2010 pour retenir une progression spiralaire. La raison de ce choix est liée à la spécificité de la discipline EPS : celle-ci engage les élèves dans des apprentissages corporels complexes dont la maîtrise suppose l’intégration de ressources de différente nature (motrices, cognitives, sociales, émotionnelles …) qui ne peuvent être acquises de façon isolée.
Dès lors, quelles évolutions vous semblent prioritaires ?
Nous avons mis en avant la notion d’« expérience corporelle », en lien étroit avec celle d’« expérience corporelle caractéristique » après avoir longuement réfléchi sur d’autres termes tels que : expérience corporelle typique, expérience corporelle signifiante, expérience corporelle authentique. Nous avons voulu proposer une classification alternative à celle du « champ d’apprentissage » (Programme collège 2015) qui, selon nous, n’explicite pas suffisamment la nature de l’apprentissage. Par ce nouveau critère de classification, nous avons souhaité lier les dimensions personnelles et vécues de l’élève avec les dimensions culturelles des Pratiques physiques, sportives, artistiques » (PPSA).
En effet, la notion « d’expérience corporelle » réhabilite la dimension expérientielle dans l’apprentissage, le rôle de l’élève en tant que personne et sujet apprenant : une expérience corporelle est singulière, subjective ; elle renvoie à la façon dont l’élève engage et met à l’épreuve son corps pour effectuer une pratique. La notion « d’expérience corporelle caractéristique » insiste, elle, sur l’idée qu’au-delà de la diversité des pratiques sociales que sont les PPSA, certaines d’entre elles sont porteuses d’un fond culturel d’expériences corporelles partagées par les pratiquants : il s’agit de formes d’engagement corporel caractéristiques (des motifs d’agir, des émotions, des connaissances…) qui animent les pratiquants de ces PPSA.
Nous avons souhaité introduire la notion de « Pratiques physiques, sportives, artistiques » (PPSA) à la place d’ « Activités physiques, sportives et artistiques » (APSA). Ce changement notionnel visait à distinguer les « pratiques » corporelles sociales de « l’activité » de l’élève (l’apprenant) engagé dans ces pratiques corporelles. Les PPSA sont des productions sociales et culturelles, induites par un ensemble de normes, que l’élève va découvrir, en les pratiquant, en s’y exerçant, en s’y adaptant par son activité. Par le choix et le traitement de la PPSA, l’enseignant aide l’élève à s’approprier une pratique, d’abord en lui faisant « vivre émotionnellement ou sensoriellement une expérience », puis en lui permettant « d’organiser, et d’apprendre de, cette expérience » et aussi de la « partager en partie ». Cette évolution conceptuelle s’inscrivait dans les propositions de l’ARIS et faisait écho à la fois à un des groupes ressources de l’AEEPS mais aussi à un article de Daniel Bouthier paru dans Centre EPS et société (2005).
En proposant que l’EPS au lycée vise un habitus de pratique physique autonome, régulière et pérenne, notre ambition était de donner aux élèves le pouvoir d’agir hors et après l’école, aussi bien dans un cadre sportif institutionnalisé que non encadré. Pour opérationnaliser cette finalité, nous avons défini un « Savoir se préparer et savoir s’entrainer à pratiquer » comme étant une expérience corporelle à développer et contextualiser à chaque cycle de PPSA. Son acquisition visait à amené l’élève qui est habitué à être « entraîné par » à devenir « un élève qui sait s’entraîner de façon autonome ».
Selon vous, comment ces évolutions sont-elles comprises et perçues par la profession ?
La notion d’expérience corporelle était déjà présente sommairement dans les programmes antérieurs (programmes LGT 2001 et LP 2002, programmes collège 2008, LP 2009 et Lycée 2010), mais nous lui avons donné une place centrale comme levier à la construction de compétences en EPS. Nous n’avons pas perçu d’opposition franche lors de nos auditions, même au contraire une adhésion forte de certaines associations professionnelles et scientifiques voyant dans cette notion un point novateur pour la réflexion sur la didactique des PPSA et l’apprentissage moteur.
Nous avons également subdivisé l’expérience corporelle caractéristique n°3 « Réaliser une prestation corporelle… » en deux sous-ensembles : « …issue d’un processus de création artistique » ou « …issue d’une production de formes codifiées, destinée à être vue et appréciée ». Ce choix n’a pas été mal perçu. Il était pour nous un compromis : il préservait pour les enseignants une classification en cinq types d’expérience, dans la continuité des programmes 2010 avec les 5 compétences propres, tout en différenciant bien les activités de création et celles de (re)production de formes.
Le « savoir s’entrainer » est actuellement au cœur de l’enseignement de l’EPS dans la CP5, mais davantage dans l’optique d’un entretien de soi. Des expérimentations pédagogiques dans d’autres compétences propres à l’EPS existent déjà avec des résultats satisfaisants. La profession est donc en partie prête à accueillir cette nouvelle notion et devrait s’en saisir sans trop de résistance comme un axe de développement.
Enfin, nous avons souhaité donner aux enseignants un seul « Rendez-vous » final en définissant des compétences à viser en fin de cursus, et en laissant ensuite une grande initiative aux équipes pédagogiques pour identifier et organiser seules les contenus disciplinaires et progressions pédagogiques les mieux adaptées à leur contexte d’enseignement pour y parvenir.
Pourquoi alors le CSP n’a-t-il pas pris en compte ces évolutions ? Quelle est votre analyse à posteriori ?
Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a pris en compte les évolutions proposées par le GEPP-EPS LGT et a voté le projet de programme à l’unanimité le 23 octobre 2018. Le texte a ensuite été transmis en l’état au ministre et à la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO). A partir de cette date, le GEPP-EPS n’a plus été en relation avec le CSP. Il n’a pas été non plus contacté par la DGESCO pour discuter d’éventuelles modifications.
Lors de la publication du programme officiel le 22 janvier 2019, le GEPP a relevé des modifications sur le fond par rapport au texte du projet de programme. Il n’en connait pas les raisons.
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