Et si je vous parlais d’un pays où les cours se passent ainsi. « Cours de la langue nationale (20 élèves de 14 ans environ ; étude d’un roman du XVIIème siècle): le professeur rappelle, à l’aide d’un transparent, le plan de l’ouvrage, puis donne la consigne aux élèves : chacun devra lire en classe un passage du livre puis l’exposer à ses camarades. Les élèves se lèvent pour aller prendre un exemplaire de la série qui figure sur les rayonnages abondamment fournis de la bibliothèque de la classe et se plongent silencieusement dans la lecture avant de prendre à tour de rôle la parole devant le reste de la classe. Cours d’histoire (20 élèves de 14 ans environ) : les élèves sagement assis sur des tapis de sol, assistent au gymnase à une saynète jouée par une troupe amateur ; il s’agit d’un épisode de la seconde guerre mondiale mettant aux prises serbes et croates. Les élèves applaudissent puis après quelques explications et consignes du professeur se répartissent par groupe pour noter sur des feuilles de papier Canson leurs impressions et leurs réflexions, par écrit ou de façon imagée ».
Et c’est pas fini ! Dans ce pays « ce n’est qu’à partir de 7 ans que les enfants commencent normalement à apprendre à lire. Auparavant le jardin d’enfant (1 à 6 ans) et l’éducation préscolaire (6 à 7 ans) cherchent avant tout à éveiller les aptitudes des enfants, leur curiosité, leur habileté… Jusqu’à 9 ans les élèves ne sont absolument pas notés. Ce n’est qu’à cet âge qu’ils sont évalués pour la première fois, de façon non chiffrée. Puis plus rien de nouveau jusqu’à 11 ans. C’est dire qu’au cours de l’équivalent de toute notre scolarité primaire les élèves ne subissent qu’une seule évaluation. L’acquisition des savoir fondamentaux peut ainsi se faire sans le stress des notes et des contrôles… Les notes chiffrées n’apparaissent que quand les enfants atteignent l’âge de 13 ans. Après 13 ans, le même rythme d’évaluation est conservé au collège avec des notes chiffrées pouvant aller de 4 à 10… L’élève sait ou ne sait pas ; s’il ne sait pas il obtient 4, note qui implique de devoir recommencer l’apprentissage non accompli. On a proscrit le 0 infamant et les notes très basses : quel intérêt de construire une échelle de l’ignorance? Jusqu’à 16 ans les séquences de cours sont limitées à 45 mn et entrecoupées de plages de repos de 15 mn pendant lesquelles les élèves peuvent vaquer librement dans les couloirs, discuter tranquillement dans les salles de repos, jouer ou se connecter sur les ordinateurs mis à leur disposition ».
Pour beaucoup ce pays laxiste, ce cauchemar de l’école robienne, où les élèves peuvent faire du scoubidou en classe sans craindre la mauvaise note (et pour cause) ne peut qu’obtenir des résultats catastrophiques et porter en germe la décadence de la nation et la perte de la culture.
Pourtant ce pays, présenté par Paul Robert, principal de collège, c’est la Finlande, c’est-à-dire un pays européen, et un des états qui a obtenu les meilleurs résultats lors de l’enquête internationale Pisa et aussi un des pays où il y le moins d’écart de niveau entre les catégories sociales : le quart le plus défavorisé de la population se situe au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, preuve s’il en est que l’école peut corriger les inégalités sociales.
Les leçons du modèle. Paul Robert met l’accent sur quelques points forts de ce modèle qui tiennent autant à l’organisation du système éducatif qu’à une stratégie pédagogique. Du côté de celle-ci il faut signaler la posture pédagogique des enseignants. « Les relations entre les professeurs et les élèves sont empreintes d’une grande familiarité qui n’exclut aucunement le respect mutuel. Du jardin d’enfant au lycée, les professeurs sont accessibles, disponibles, attentifs… Une jeune élève allemande du lycée de Niinivaara, venue passer une année dans le cadre d’un échange international, raconte qu’elle avait un jour téléphoné à un professeur sur son portable pour obtenir des éclaircissements sur un point du programme. Assez intimidée, elle craignait la réaction de l’enseignant. Mais celui-ci s’était montré, à sa grande surprise, enchanté de pouvoir lui rendre service. « Tout le monde, ajoute-t-elle, est ouvert et positif. Les professeurs cherchent à aider les élèves à apprendre. C’est extrêmement chaleureux et amical »… Un des critères que le lycée de Niinivaara fait entrer dans son auto-évaluation est le sentiment qu’ont les élèves de pouvoir être eux-mêmes en toute circonstance! »
Sur le terrain institutionnel, « un des traits les plus connus du système finlandais est la grande liberté de choix laissée aux élèves pour organiser leur cursus. En réalité cette liberté est très progressive, en relation avec le degré de maturité des élèves. Tout au long de « l’école fondamentale » (entre 7 et 13 ans) le cursus est le même pour tous. Tous les élèves commencent l’anglais à 9 ans. A 11 ans, ils peuvent choisir une deuxième langue parmi l’allemand, le français, le suédois et le russe, l’allemand étant nettement majoritaire. A partir du niveau 7 (13 ans) , des matières optionnelles sont introduites, différentes selon les collèges qui définissent leurs propositions en accord avec les municipalités ».
Un autre trait réside dans la suppression des classes, à partir du lycée les élèves s’inscrivent à des cours et composent leur programme. Enfin le système finlandais a trouvé un équilibre particulier entre centralisation et autonomie locale.
Paul Robert ajoute que, sur le plan des moyens la Finlande « a fait le choix de concentrer les dépenses d’éducation sur ce qui est vraiment au service des élèves – des taux d’encadrement élevés, des conditions matérielles optimales – et de faire des économies sur des postes qui nous paraissent incontournables : vie scolaire, inspection, administration ». Il souligne par exemple que les classes ne comptent pas plus de 20 élèves et que les établissements disposent de nombreux conseillers COP. Enfin les élèves immigrés bénéficient d’un assistant bilingue pour 5 élèves qui les suit dans tous les cours pour les aider.
Les limites du modèle et le 18 décembre. « L’étonnante réussite de l’éducation finlandaise n’est pas seulement due à la prouesse d’une savante construction technocratique : elle a partie liée avec une langue, une culture, un peuple qui a fait du développement de la personne humaine dans toutes ses composantes le but de l’éducation ». Même si certains aspects de cette école peuvent être intégrés ici, Paul Robert a raison de souligner que la réussite de l’école finlandaise est liée à la culture et à l’âme du peuple finlandais. Il y a peu de chance que les Français se « finlandisent » même sur ordre. Et les Français savent également qu’une autre école modèle, la coréenne, repose sur un tout autre type d’école.
Ces deux modèles ont pourtant un point commun : l’importance que ces sociétés affectent à l’Ecole, quelque chose d’assez important pour qu’un consensus apparaisse sur les questions scolaires. « Si l’éducation était vraiment une priorité nationale, reconnue et partagée » s’interroge P. Robert,« pourquoi un consensus, transcendant les oppositions politiques, ne pourrait-il pas se dégager qui permettrait enfin d’avancer dans une direction mûrement réfléchie, sans à-coups et sans retours en arrière ? » Ce consensus semblait trouvé après la consultation Thélot.
L’exemple finlandais indique quand même une voie et permet de mesurer la validité de certains discours ministériels. Alors que les enseignants sont accusés de ne pas savoir enseigner la lecture ou la grammaire, qu’ils sont montrés du doigt comme les responsables d’une école en échec, qu’une chasse aux sorcières est lancée, que leur statut est modifié sans aucune concertation, force est de dire que ce consensus est à reconstruire. On ne pouvait pas ne pas le signaler ce 18 décembre.
Le texte de P. Robert (en pdf)
Ou sur le site d’E et D