Dossier spécial
L’article 4 de la loi du 23 février 2005 aura au moins eu un effet positif : éveiller l’intérêt pour l’histoire du colonialisme et de la colonisation, faire réfléchir aux rapports entre histoire et mémoire.
De pétitions en commissions
Rappelons que cet article de loi invite les enseignants à professer les aspects positifs de la colonisation française. Une injonction repoussée par de nombreux citoyens, historiens et enseignants à travers plusieurs pétitions demandant son abrogation (voir la rubrique Histoire du numéro 68 du Café). La pétition lancée par les partis de gauche a obtenu plus de 40 000 signatures et a été remise au président de la République fin décembre.
Mais le 13 décembre est apparu un nouveau texte « contre la vérité officielle ». « L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique ».
Dix-neuf historiens (Jean-Pierre Azéma, Jean-Jacques Becker, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Mona Ozouf, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet, Michel Winock etc.) ont lancé cette pétition qui vise à supprimer toutes les lois encadrant les travaux historiques. La loi du 29 janvier 2001 concerne la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Celle du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La loi du 13 juillet 1990 est la célèbre loi Gayssot qui punit le négationnisme. Si la loi du 23 février 2005 est malheureuse, faut-il pour autant désarmer la justice face aux nostalgiques des génocides ?
A cette question, Claude Lanzmann répond négativement dans une tribune du 10 janvier. « Il y a, c’est ma conviction, une universalité des victimes comme des bourreaux elles se ressemblent toutes, ils se ressemblent tous. Cela ne veut nullement dire qu’il faille comparer les événements de l’histoire. A cet égard, on ne peut qu’être surpris par la publication d’un manifeste intitulé «Liberté pour l’histoire», signé par un aréopage d’historiens de renom, qui ajoute à la confusion là où on serait en droit d’attendre, de leur part, clarté et distinction… Comment ne pas voir que la loi Gayssot diffère par nature de celle qui exalte la colonisation et en quoi son abolition serait une régression infiniment grave ?… La loi Gayssot, qui porte sur le désastre le plus paradigmatiquement antihumain du XXe siècle, est aussi une garantie et une protection pour toutes les victimes… La loi Gayssot n’est pas une limitation de la liberté de l’historien, mais se déduit au contraire de la rigueur propre à sa discipline : elle n’est rien d’autre que le rappel de l’obligation de vérité. Plus encore, je n’hésiterais pas à dire que c’est elle qui rend indéfendable et inepte la loi sur les bienfaits de la colonisation : il est absolument contraire à l’universalité de l’humain que l’ex-colonisateur fasse de son propre chef le bilan du passé, se décerne des bons points et décrète avoir fait du bien aux peuples à qui il a peut-être apporté écoles, chemins de fer, structures administratives, vaccins, une langue même, mais que par ailleurs il a brimés, humiliés, méprisés, exploités, torturés. Il s’agit là d’une disposition à la Orwell, qui réécrit l’histoire en fonction des intérêts du pouvoir. La loi Gayssot, c’est tout autre chose, car le négationnisme n’est pas, comme on veut nous le faire croire, le fait de quelques illuminés inoffensifs qu’on pourrait facilement museler en déléguant aux historiens «sérieux», pour reprendre un mot de madame Chandernagor, le soin de dire le vrai. Le négationnisme fut le moteur et l’arme du crime nazi, qui effaçait ses propres traces à l’instant et au coeur même de son accomplissement. En un sens, le crime parfait a été accompli et ceux qui disent qu’il n’a pas eu lieu sont les héritiers directs des tueurs. La loi Gayssot n’opprime personne, n’exerce nulle contrainte, elle défend des valeurs consubstantielles à la démocratie ».
Dans une curieuse annonce, sous l’angle de la séparation des pouvoirs, Jacques Chirac a annoncé le 4 janvier que l’article serait « réécrit ». Il a chargé Jean-Louis Debré de la direction d’une mission sur le rôle du Parlement face à l’Histoire. Le ministre de l’intérieur a aussitôt créé sa propre commission chargée de réfléchir à « la loi, l’histoire et le devoir de mémoire », ajoutant ainsi au désordre.
Le point sur les prises de position
http://www.communautarisme.net/A-propos-des-lois-memorielles_a658.html?PHPSESSID=31fece2f50255a300a9e1ff700a45a3e
La pétition des 19
http://www.liberation.fr/page.php?Article=344464
La réponse de Lanzmann
http://www.liberation.fr/page.php?Article=350126
Enseigner le fait colonial
Les 5èmes Rencontres de la Durance
Organisées par l’Inspection pédagogique régionale d’Aix-Marseille quelques jours avant le fameux article 4, ces Rencontres ont porté sur « colonisations, développement, mondialisation ». Ils mêlent communications scientifiques et ateliers pédagogiques.
Ainsi Colette Dubois (Aix Marseille 1) analyse les politiques de développement en Afrique noire durant la colonisation. « Non seulement les colonies ne doivent rien coûter, mais encore les populations colonisées doivent supporter leur propre développement, tout en soutenant celui des métropoles ». Ce qui entraîne la perception d’impôts, le travail forcé. Même si, plus tard, le colonisateur accentue son effort, les effets négatifs l’emportent. Ainsi « l’Etat colonial crée l’école moderne, mais en limite son accès à une infime minorité : il apporte le savoir… mais en limite la circulation. Sur tous ces plans, la colonisation a exprimé des promesses, mais ne les a pas réalisées ».
Gérald Attali, IPR de Lille, rend compte des ateliers pédagogiques et montre les carences de l’enseignement du « fait colonial ». « La tradition scolaire, qui préfère le terme de colonisation, conduit à majorer le processus de conquête de terres lointaines et l’installation de colons au détriment de l’étude des effets du système colonial qui obligerait à donner davantage de place à la perception de la colonisation par les colonisés et donnerait une dimension politique au cours ». Il fait donc quelques propositions pédagogiques : favoriser l’étude du fait colonial, construire des études de cas, rendre visible les femmes. « L’histoire de la colonisation reste une histoire délicate à enseigner… La mise à jour des connaissances et la réflexion didactique doivent seules rester garantes d’une étude raisonnée du passé ».. Sans nul doute, ces Actes y contribuent.
http://www.histgeo.ac-aix-marseille.fr/durance/brochure2005.doc
Des séquences pédagogiques
La Café en avait fait le recensement dans un dossier spécial du numéro 66. On peut y ajouter les travaux réalisés par l’association des Clionautes. D’une part elle propose une recension qui inclut des documents audiovisuels. D’autre part elle publie les témoignages d’un administrateur de la Haute-Volta (1951-57) et de sa femme : des documents tout à fait intéressants. L’académie de Reims publie un dossier « Indochine », réalisé par Gilles Eloy, Jean-François Martini et David-Pierre Roou, qui propose une webographie, un commentaire de document, un cours et de nombreux documents iconographiques et textuels.
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2005/66_accueil.aspx
http://www.clionautes.org/article.php3?id_article=915
http://www.clionautes.org/article.php3?id_article=934
http://www.ac-reims.fr/datice/hist-geo/dossier/site_indochine/index.html
http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/colonisation.htm
Sur Le site.tv
Le site.tv offre de remarquables documents d’archive qui permettent de travailler sur l’idéologie coloniale de la France, les mémoires de la colonisation, la femme indigène et la propagande coloniale : autant d’approches prometteuses. Pour chacune Le site.tv propose un extrait vidéo accompagné d’une fiche pédagogique.
http://www.lesite.tv/index.cfm?nr=2&f=0000.0807.00
Histoire et mémoires
Quelles mémoires doit-on enseigner ? Que signifie enseigner la mémoire aujourd’hui ? Mémoire et judiciarisation du passé : Jean-Pierre Husson partage ses analyses sur un site qui reste une référence. A voir également sur le site de D. Letouzey : les comptes-rendus du colloque « Histoires coloniales », tenu à la BPI les 18 et 19 novembre. Benjamin Stora, Claude Liauzu, Catherine Coquery-Vidrovitch, Daniel Hemery, Sandrine Lemaire etc. : deux journées d’une grande richesse.
http://www.crdp-reims.fr/memoire/enseigner/memoire_histoire/menu.htm
http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/colonisation.htm
En Angleterre
« Nous avons besoin d’apprendre à dire notre histoire de telle façon qu’elle explique pourquoi tant de gens ont leurs racines dans d’autres parties du monde ». Pour la Fabian Society, un club de réflexion « left of the center », l’histoire scolaire doit faire sa place aux mémoires de l’empire britannique. Le QCA, l’autorité qui surveille les diplômes, estime également que les Tudors et l’histoire du 20ème siècle prennent trop de place aux dépens de l’histoire coloniale.
http://news.bbc.co.uk/1/hi/uk/4541610.stm