Loin de se limiter aux seules épreuves de controle continu, la Note de l’inspection générale, destinée au comité de suivi de la réforme du lycée et que le Café pédagogique s’est procurée, montre que les problèmes s’accumulent devant les réformes du bac et aussi du lycée. Les choix de spécialité sont « genrés jusqu’à la caricature », le financement des options l’année prochaine est menacé par une dotation (DHG) insuffisante, les parents et les élèves déplorent la pression continue des épreuves, les tests de 2de sont sans intérêt, quant aux 54 heures destinées à l’orientation elles « peinent à se mettre en place ». Alors que ces réformes semblent mal parties et ne sont pas financées, le ministre devrait annoncer mi mars une « simplification » des E3C , c’est toute sa réforme qui semble bien mal partie.
Une réforme du lycée qui n’est pas financée
La Note rédigée par les inspecteurs généraux Christophe Lavialle et Pierre Vinard en janvier 2020 est destinée au Comité de suivi de la réforme du lycée. Si les inspecteurs estiment qu’il y a » une appréciation souvent positive de la logique de la réforme de la part des familles et des élèves », notamment en raison du choix des spécialités, la note est extrêmement critique sur l’application de la réforme. Les inspecteurs critiquent d’ailleurs même le choix des spécialités en soulignant que « les choix de spécialité restent très genrés, parfois jusqu’à la caricature », ce qui remet en question l’idée de leur liberté.
Mais c’est la réduction des spécialités en terminale (2 au lieu de 3 en 1ère) qui inquiète l’Inspection tout simplement parce que la réforme du lycée n’est pas financée. » La forte demande des options de mathématiques, tant l’option « mathématiques complémentaires » de la part notamment des élèves choisissant de ne pas poursuivre l’enseignement de spécialité, que celle de « mathématiques expertes » pour les élèves au profil et au projet explicitement scientifiques, toutes deux indispensables pour certaines poursuites d’études, pose la question des moyens pour ouvrir ces options », disent les inspecteurs. S’ajoute d’ailleurs une demande en faveur de l’option « Droits et grands enjeux du monde contemporains » pour laquelle les ressources humaines sont rares. Mais c’est surtout le niveau des dotations horaires qui va poser problème. » le montant de la DHG et le financement des options en classe de terminale seront un point très sensible de la rentrée 2020″, estime l’inspection. Les victimes à venir sont désignées : les options arts, langue vivante 3 ou langues anciennes qui » risquent de ne plus pouvoir être financées ».
Cette situation ne devrait pas améliorer la situation de l’éducation à l’orientation qui elle aussi n’est pas financée. Du coup, » la mise en place des 54 heures à destination des élèves peine à se faire ou à se généraliser, en raison d’une focalisation compréhensible de beaucoup d’établissements sur les aspects organisationnels et financiers ». Quant aux régions, qui ont maintenant la responsabilité de l’orientation, » les conseils régionaux se mettent en ordre de marche de manière très progressive. » La promesse de mieux orienter les élèves grâce à la réforme du lycée est bien un leurre, comme l’établit d’ailleurs le récent rapport de la Cour des comptes.
Les tests inutiles en 2de et le New Public Management
L’Inspection est très critique sur les tests instaurés par le ministère en 2de. » Les tests sont considérés, en l’état, comme peu utiles ou peu utilisables, par la plupart des acteurs », écrit l’Inspection qui souligne « des problèmes de passation récurrents et très lourds, des tests considérés comme non informatifs sur le niveau des élèves en maths et français et leurs besoins de formation, des tests qui demeurent sans valeur ajoutée par rapport aux évaluations déjà menées par les équipes pédagogiques ». En plus ces tests inquiètent les familles. Rappelons que ces tests sont la version lycée des tests imposés en Cp, Ce1 et 6ème. Ils participent du grand projet de management du système avec évaluation des élèves et enseignants chaque année.
L’inspection souligne aussi « la disparition du groupe classe » au lycée. » Partout sont engagées des réflexions sur les évolutions possibles, et les bonnes pratiques sont confrontées et échangées. La semestrialisation de l’année est envisagée dans de nombreux établissements », écrit l’Inspection. Cette « solution » pourrait conduire à l’annualisation des temps de travail des enseignants autrement dit à faire davantage d’heures gratuitement.
Qui veut encore des E3C ?…
Reste la réforme du bac. Qui les apprécie encore ? Les parents, selon l’Inspection, les jugent comme « de complexité excessive ». Les élèves se sentent « sous pression » en permanence. Les chefs d’établissement sont devenus des chefs de centre d’examen en continu. « Il semble que se soit instituée une confusion entre la logique de la certification (baccalauréat) et la logique de la formation (notes « balises »), qui devrait être au coeur de la réforme : le poids (effectif ou présumé) des épreuves (E3C) déséquilibre l’ensemble, au détriment de la formation – on n’est pas sorti de la notation-sanction », estime l’Inspection.
Un Comité de suivi favorable à la réforme du bac
L’insatisfaction sur les E3C se retrouve dans le compte rendu de la réunion du comité de suivi de la réforme du 28 janvier. « Personne ne se satisfait de la situation actuelle des E3C1 » (1ère session) note le compte-rendu. Les E3C divisent d’ailleurs les membres de ce comité de suivi entre partisans des épreuves terminales et partisans d’un controle continu (parents, Snpden Unsa, Sgen Cfdt et les 3 syndicats du privé). L’Unsa est pour « une simplification » mais avec une harmonisation académique des notes. On soulignera l’avis de la seule organisation censée représenter les élèves, Avenir lycéen, qui dénonce « l’angoisse générée par les professeurs » et les « comportements inacceptables de certains professeurs et élèves au moment des E3C ».
Le comité de suivi soumet à la décision du ministre, pour la mi mars , de premières mesures de « simplification » qui vont dans le sens de l’abandon du diplome national :pas de formalisation des convocations, durée des épreuves établie sur 55 minutes et multiples de façon à correspondre aux horaires des cours. Du coup on comprend pourquoi les indemnités de correction des E3C sont annoncées comme « exceptionnelles » et pour la seule année 2019-2020 : elles disparaitraient avec les nouvelles épreuves qui seraient des devoirs comme les autres.
Alors que l’Inspection générale met en évidence les failles des réformes impulsées qui auront des effets accrus avec la seconde année d’application, notamment en appauvrissant l’offre éducative, alors que de nombreux enseignants sont las de la réforme, le comité de suivi semble entrainé vers la fin du bac national.
François Jarraud