Du 24 au 27 novembre, le Salon de l’éducation est une occasion unique pour tous les acteurs de l’Ecole. Pour les parents et les élèves c’est d’abord LE moment clé de l’année pour l’orientation : en une journée ils peuvent faire le tour des métiers et des formations. Les enseignants y découvrent des débats et des conférences. Ainsi, vendredi 25 novembre à 16h15, Philippe Meirieu intervient sur la question de l’échec scolaire : « l’aide individualisée, programme personnalisé : est-ce la bonne solution ? ». Il a bien voulu faire un premier point avec le Café.
FJ- Les discours sur le PPRE et l’efficacité de l’école, les objectifs fixés par la loi Fillon ont réveillé le projet d’une Ecole qui offrirait à chacun sa chance. C’est d’ailleurs bien ce qui est affirmé par la loi Fillon : l’aide sera personnalisée et ce sera à l’élève de saisir sa chance. L’efficacité politique de ce discours semble assurée. Qu’en est-il de l’efficacité pédagogique ?
PM- Les “programmes personnalisés de réussite éducative” ne sont en rien une nouveauté de la “loi d’orientation sur l’avenir de l’école” : c’est une nouvelle manière de baptiser un dispositif traditionnel, voire archaïque, celui de la “pédagogie de soutien”. Mais, quand elle a été introduite officiellement par la Réforme Haby, et avant d’être largement dénaturée puis progressivement abandonnée, la “pédagogie de soutien” était autrement plus intéressante : il s’agissait, pour les enseignants, de se fixer des objectifs hebdomadaires et de répartir les élèves en “soutien” et “approfondissement”, de manière ponctuelle, en fonction de leurs résultats et de leurs besoins. La “pédagogie de soutien” se voulait une manière de donner plus de rigueur à l’acte pédagogique et d’adapter les parcours aux élèves de manière fine. On peut, bien évidemment, la trouver insuffisante, montrer qu’elle ne pouvait permettre de traiter tous les besoins des élèves, mais elle avait bien pour objectif de “différencier sans exclure”, de s’adapter aux élèves sans créer des ghettos.
Le PPRE, pour ce que nous en savons et sans présager sur sa réelle mise en place (de plus en plus hypothétique), participe apparemment de la même intention, mais s’inscrit, en réalité, dans une toute autre logique : l’enseignant “avance” avec sa classe “normale” et identifie ceux et celles à qui l’on doit fournir une aide, parce qu’ils sont “en échec”. C’est la ségrégation assurée! Et, en même temps, l’abandon de toute véritable différenciation pédagogique dans la classe même. C’est aussi le retour à ce dont nous savons que cela ne marche jamais : l’isolement des élèves “faibles” et l’acharnement, avec eux, sur les fondamentaux. Quand ces derniers auraient, le plus souvent, besoin d’un détour culturel, d’une mobilisation originale, on leur offre avec obstination “plus de la même chose”, plus de ce qui n’a pas marché.
FJ- Peut-on dire du PPRE qu’il sera davantage un procédé de filtrage qu’un outil d’aide ?
PM- Il pourrait être un outil d’aide pour certains élèves à qui, précisément, il n’est pas destiné. Pour dire les choses de manière un peu grossière, il y a des élèves “moyens moins”, comme on dit parfois, plus “en difficulté” qu’ “en échec”, assez studieux et motivés par le travail scolaire, mais qui ont besoin d’un peu plus de temps que les autres, d’une explication supplémentaire, sous un autre jour, en petits groupes. A ceux-là, on peut, effectivement, proposer des heures d’ “entraînement” qui vont pouvoir leur donner le coup de puce qui les fera décoller. Mais, utilisé avec des élèves “en échec”, qui ont décroché du travail scolaire, le PPRE risque bien d’être un procédé de filtrage qui permettra d’anticiper les orientations vers les classes “dépotoirs”. Je crains plus que tout que cette “aide”, officialisée, se retourne, au moment des conseils de classe, contre ceux qui en ont “bénéficié” et devienne une étiquette qui sera vécue comme “infâmante” par les élèves eux-mêmes.
Plus généralement, nous assistons à un recul pédagogique par rapport à l’idée forte que portait la loi d’orientation de 1989 : aider chacun dans des dispositifs provisoires et souples, en gardant les bénéfices de l’hétérogénéité et en donnant aux enseignants dans les situations les plus difficiles les moyens d’engager des projets très ambitieux au plan culturel. Plutôt que des heures fléchées vers les PPRE, je souhaiterais que l’on reprenne cette inspiration et que l’on donne des heures à des équipes sur des projets capables de remobiliser les élèves.
FJ- Il faut reconnaître que les dispositifs actuels (aide individualisée en 2de par exemple, effectifs allégés en CP) n’ont pas montré une grande efficacité. Comment expliquer ce semi échec ?
PM- Il y a, sans doute, plusieurs explications : d’une part le travail de remédiation que les enseignants sont censés faire dans ces heures n’a pas fait l’objet d’une véritable formation. Donc, on a “l’effet étiquette” sans le bénéfice d’une aide ciblée et pédagogiquement efficace. D’autre part, je crains que ces dispositifs ne soient parfois utilisés pour “tirer les élèves par le bas” : quand il faudrait travailler sur le sens et la saveur de savoirs complexes, ils s’entêtent sur l’acquisition de mécanismes. Bien sûr, ce n’est pas toujours le cas et je connais, personnellement, des heures de “suivi individualisé” en seconde où l’on redonne vraiment aux élèves le goût des mathématiques ou le souci de la perfection de la langue. Mais, cela ne semble pas être le cas le plus fréquent.
FJ- Pour autant, faut-il abandonner l’espoir d’une école de la réussite ?
PM- Evidemment non ! Mais il faudrait regarder de près l’histoire de la pédagogie et en tirer quelques leçons. Or, nous vivons dans le déni de cette histoire et de toute pédagogie. Ce qui nous fait sans cesse réinventer l’eau tiède et commettre les mêmes bêtises. Le “Plan Dalton”, individualisant complètement les apprentissages mais sur la gestion du temps seulement, date de 1905, “l’école sur mesure” de Claparède des années 20, les typologies des écoliers de Ferrière de 1942…
Depuis nous avons travaillé, décortiqué les différentes acceptions et pratiques qui relèvent de la “différenciation pédagogique”. Nous savons qu’il est, généralement inefficace et, parfois très dangereux, de travailler dans la théorie du “diagnostic a priori” qui s’emballe toujours vers la sélection précoce, quand ce n’est pas la prédestination. Il est, en revanche, toujours plus “démocratisant” de développer “la panoplie méthodologique” des maîtres et leur inventivité pédagogique : c’est dans cette “différenciation régulée”, nourrie par le travail d’équipe et soucieuse d’une véritable ambition culturelle qu’on devrait pouvoir trouver les voies d’une “école de la réussite”.
Venez écouter Philippe Meirieu au Salon de l’éducation en téléchargeant l’invitation gratuite ci-dessous. Nous vous invitons à venir nous voir Hall 7.2 stand CE 963 (près du bloc 4).
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