« Une fois de plus, en France, les décisions sont prises unilatéralement, pour l’édification des masses ignorantes. La prééminence de représentations qui affirment sans jamais prouver n’en est que plus choquante » affirme le linguiste Jean-Pierre Jaffré, CNRS, dans une tribune accordée au Café pédagogique. « C’est notamment le cas du diagnostic porté sur l’état actuel de l’enseignement de la grammaire. Doit-on se contenter du jugement d’un ministre ?… Où sont les arguments « objectifs » sur lesquels se fonderait un tel point de vue ? Dispose-t-on d’une enquête montrant que les enseignants ont renoncé à tout enseignement systématique de la grammaire, ou qu’ils se sont voués corps et âme à la grammaire de texte ? ».
Pour Jean-Pierre Jaffré, d’autres arguments du rapport paraissent discutables. « L’un d’entre eux concerne par exemple la convergence apparemment nécessaire – mais qu’on nous dit aujourd’hui perdue – entre les savoirs enseignés et les savoirs parentaux. Tout enseignement devrait-il donc à jamais rester conforme aux savoirs antérieurement enseignés ? Malgré tout le respect que l’on peut avoir pour de tels savoirs, ne devrait-on pas plutôt donner la priorité aux objectifs que l’on se propose d’atteindre ? Or, en grammaire comme ailleurs, il n’y a aucune raison de penser qu’une connaissance est valable une fois pour toutes ».
Le rapport Bentolila est-il là pour assurer la revanche conservatrice ? « Tout le débat autour de la question de « la leçon de grammaire » confirme en tout cas, qu’en France, l’enseignement « officiel » de la langue répugne toujours autant à innover, en s’appuyant sur des recherches contemporaines. En rupture totale avec ce qui se pratique dans tous les autres domaines, la détection – réelle ou supposée – d’un problème d’apprentissage linguistique se solde par un irrépressible désir de retour en arrière. A. Bentolila refuse peut-être « la grammaire de papa » mais la référence à la linguistique des années 70 manque singulièrement d’audace, et de pertinence. En tout état de cause, un préalable élémentaire consisterait à se demander comment on enseigne vraiment la grammaire aujourd’hui, puis à s’interroger sur la meilleure manière d’aider les enfants, compte tenu de la façon dont ils gèrent la connaissance. Autant de questions dont les réponses ne relèvent évidemment pas de la seule linguistique. Au lieu de cela, on redessine le pré carré d’une grammaire à l’ancienne à l’intérieur duquel se retrouvent les tenants d’une permanence suprême. Rien ne se perd, rien ne se transforme ! »
Selon Antoine Fetet, maître formateur, dans une autre contribution au Café, le débat sur la grammaire est sur de mauvaises bases, notamment à cause du traitement médiatique et politique de la question. « Les enseignants n’ont pas besoin d’une énième réforme. Ils ont avant tout besoin d’outils et de techniques de classe qui aident réellement les élèves à dépasser leurs difficultés langagières… Il me semble douteux qu’un enseignement fondé sur une conception descriptive et analytique de la grammaire, même remise au goût du jour, puisse apporter une amélioration significative des compétences langagières des élèves. Cette conception, calquée sur l’enseignement des langues mortes, s’applique mal au français… « Ne pas mettre la charrue avant les boeufs », pour reprendre l’expression d’A. Bentolila, cela signifie surtout mettre les élèves devant des problèmes grammaticaux et orthographiques dont ils peuvent s’emparer, et les aider à fixer peu à peu des procédures efficaces les aidant à se repérer dans le système complexe de la langue française ».
La Peep, seconde association de parents d’élèves, approuve le rapport. « La Peep salue le retour de la »leçon de grammaire » et la proposition d’un apprentissage progressif de la grammaire indispensable à la compréhension et à la maîtrise de la langue française. La Peep, depuis son origine, défend la primauté éducative de la famille. C’est pourquoi elle est heureuse de voir que le rapport d’Alain Bentolila reconnaît la compétence éducative des parents en insistant sur la nécessité que la grammaire soit compréhensible par les élèves et par les parents qui accompagnent la scolarité de leurs enfants ».
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JP Jaffré sur le site Bien lire
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