« Il y a d’un côté les parents qui interviennent trop et mal dans l’école et de l’autre ceux qui ne prennent même pas la peine de venir au collège lors des demandes de rendez-vous ou des réunions parents-professeurs ».
« À rebours de la figure du parent démissionnaire, Chloé Riban montre au contraire que de nombreux parents de milieux populaires s’investissent dans l’éducation de leurs enfants » écrit Nicolas Grannec*. Ce CPE revient sur la représentation des familles envers les personnels de l’Education nationale. Pour lui, « il existe donc beaucoup d’incompréhensions entre les parents, notamment ceux issus de milieux populaires, et les professionnels de l’Éducation nationale ».
« Le principe de « coéducation » que cela implique peine à s’imposer »
Différents articles parus récemment dans la presse abordent la question de la relation entre les parents et l’école. La couverture de Télérama, par exemple, titrait le mercredi 27 novembre 2024 : Comment réconcilier parents et profs ? A ce sujet, dans le Café pédagogique du 17 juillet 2024, Catherine Becchetti-Bizot, la médiatrice de l’Education nationale expliquait que la relation Ecole-famille se dégradait : « Une culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours de l’élève semble se développer ».
L’article du Café pédagogique du 03 décembre 2024 sur le baromètre annuel de l’Autonome de solidarité, une association qui œuvre pour le conseil et la protection juridique des personnels de l’Education nationale est, lui aussi, alarmant : « La majorité de ces dossiers relève d’agressions ou d’un sentiment d’agression et dans près d’un cas sur deux, il concerne un des représentants légaux d’un élève ou un proche de la famille ».
La place des parents à l’école semble être un problème que l’Éducation nationale peine à résoudre. Peut-être parce que, comme le rappelait la sociologue Chloé Riban dans une conférence à l’INSPE de Lille le samedi 23 novembre, l’école n’a pas été pensée comme une institution qui communique avec les parents. Ils sont d’abord « tenus à distance ». C’est finalement la loi Jospin de 1989 qui va placer les parents comme acteurs de la communauté éducative. Mais le principe de « coéducation » que cela implique peine à s’imposer.
Dans mon établissement, un collège REP+ de la métropole lilloise, les enseignants ont beaucoup de mal à faire entrer les parents dans l’école. Ils vivent souvent comme des agressions les remarques ou les demandes d’explications. Ils se sentent remis en cause dans leur travail et préfèrent donc se « tenir à distance » des parents d’élèves. Comme dans beaucoup d’établissements, mon collège n’échappe pas non plus aux sempiternelles litanies sur les parents « démissionnaires » qui n’arrivent même pas à faire venir leur enfant à l’école. Il y a d’un côté les parents qui interviennent trop et mal dans l’école et de l’autre ceux qui ne prennent même pas la peine de venir au collège lors des demandes de rendez-vous ou des réunions parents-professeurs.
« Les professionnels s’attendent à ce que les parents transforment leurs enfants en élèves »
Là encore, Chloé Riban peut nous apporter un éclairage intéressant. Elle explique que le problème se situe au niveau de la représentation des professionnels vis-à-vis des parents. Celle-ci est très normée et repose sur la figure d’un parent « idéal ». Il y a donc des attentes assez précises comme l’importance de la signature sur les mots, du suivi des devoirs ou de la participation à l’école. Les professionnels s’attendent à ce que les parents transforment leurs enfants en élèves. Or, les parents issus de milieux populaires ont du mal à répondre à ces attentes et subissent bien souvent des jugements de la part des professionnels de l’Éducation nationale sur leur manière d’éduquer leurs enfants.
Chloé Riban, qui a enquêté dans des quartiers et des établissements situés dans des territoires défavorisés, montre pourtant que ces parents ont une grande confiance dans l’école. Certains s’en remettent complètement aux enseignants car « ils savent ce qui est mieux pour leur enfant », c’est notamment le cas en matière d’orientation.
À rebours de la figure du parent démissionnaire, Chloé Riban montre au contraire que de nombreux parents de milieux populaires s’investissent dans l’éducation de leurs enfants. Elle montre, par exemple, qu’au niveau de l’aide aux devoirs, certains parents qui ne peuvent pas assister leurs enfants mettent en place des stratégies et recherchent des solutions au sein de la famille élargie, du voisinage ou du centre social. Il y a aussi toutes les incitations verbales que font les mères avant le départ à l’école : « travaille bien », « comporte-toi bien », etc. Ou encore les achats de matériel, comme des ardoises pour jouer à la maîtresse. Mais tout cet investissement n’est malheureusement pas visible par les équipes enseignantes et n’est pas reconnu.
Il existe donc beaucoup d’incompréhensions entre les parents, notamment ceux issus de milieux populaires, et les professionnels de l’Éducation nationale. Mais comment y faire face ? Plusieurs dispositifs ont déjà été testés, comme la « mallette des parents » ou les cafés des parents au sein des établissements scolaires. Si l’enjeu est bien de créer un lien de confiance, il y a aussi, derrière ces dispositifs, la volonté également « d’acculturer » les parents, et en particulier les mères, à d’autres manières de procéder avec leurs enfants. Est-ce vraiment l’enjeu de la coéducation ?
« Pas de recette miracle, mais il faut apprendre à regarder autrement »
L’association ATD Quart Monde travaille depuis plusieurs années à faire dialoguer les parents et l’école par le biais du croisement des savoirs et des pratiques. Les membres de l’association partent du principe que les parents issus de la grande pauvreté ont développé des connaissances, des savoirs, des stratégies qu’il faut savoir écouter. Tous les participants à ces rencontres – professionnels, parents, acteurs sociaux – sont à égalité. Ces échanges permettent souvent de lever des malentendus sur l’interprétation des mots ou des manières de faire. Cela demande du temps, mais permet réellement une amélioration du lien entre parents et école.
Ce que l’on peut conclure, c’est qu’il n’existe finalement pas de recette miracle, mais qu’il faut apprendre à regarder autrement, sans jugement a priori, à accueillir l’autre dans toute sa diversité et accepter de ne pas être d’accord. Il faut donner de la place à des instants informels mais rassurants pour les parents, comme lorsque l’on croise un parent à la grille et que l’on discute ensemble de la vie du quartier, ou encore lorsque l’on s’intéresse à la vie de cette maman fatiguée par la gestion de ses trois enfants en bas âge et qui voudrait juste un peu de temps pour elle. Ces petites choses du quotidien, ces petits riens, paraissent pourtant essentiels pour remettre un peu d’humanité au cœur de nos pratiques.
Nicolas Grannec*
*L’auteur écrit sous pseudonyme
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