« Nous accueillons des enfants qui souffrent de traumatismes divers violents, des enfants en situation de handicap, et tous les autres. Tous méritent une attention particulière et un enseignement digne, à la hauteur des valeurs de la République. Je me bats chaque jour pour cet enseignement mais je souffre. Nous souffrons toutes et tous. » Dans ce texte, Emmanuelle Boucart Loirat, professeure des écoles, témoigne de ses conditions de travail et de la difficulté de l’inclusion sans moyens. Elle souligne la lourdeur de la tâche. Elle parle de sa fatigue tant physique que psychologique, sans oublier celle de la famille. Ce texte rejoint de nombreux témoignages de professeur.es, qui sont en proie au désarroi, à la souffrance, voire à la détresse face à des situations d’inclusion sans moyen, ni accompagnement à la hauteur des besoins des enfants.
En colère
Aujourd’hui je suis en colère. En colère contre mon institution, celle pour laquelle je travaille depuis plus de 20 ans maintenant. Rappel de la situation : j’enseigne en PS-MS et j’accueille un enfant qui présente de gros troubles du comportement, un dossier MDPH qui a été refusé car il manquait une signature, une relance faite en septembre mais un dossier toujours pas passé en commission, une réduction du temps scolaire a été décidée en équipe fin septembre et acceptée par la famille qui a réduit son temps de travail, donc ses revenus, pour garder son enfant l’après-midi. Solution temporaire donc. Dans ma première fiche RSST je parlais de ma fatigue physique et psychologique, des répercussions que cela avait sur ma vie en général. La réponse de l’institution respecte la procédure, courrier avec les aides possibles vers qui me tourner. A mes frais je consulte déjà une psychologue et à mes frais également je travaille à temps partiel (75%) de droit grâce à la reconnaissance de mon handicap invisible. Et l’institution envoie un humain, enfin une humaine, pour discuter avec moi à l’école. Sa première question fut « suis-je débutante ? », je m’interroge sur la relation entre la situation avec cet élève et mon degré d’ancienneté. Soit. Mais pouvoir discuter et porter témoignage est plus important, et je suis heureuse de pouvoir le faire à ce moment-là.
Nous discutons. Dans ma classe où un tsunami n’aurait pas fait plus de dégâts. Nous avions préparé le marché de Noël en faisant divers ateliers avec les enfants et mon élève avait particulièrement déchiré les livres et les affichages, renversé tout ce qu’il lui était tombé sous la main et mis dans sa bouche quantité d’objets. Il n’est accompagné par personne dans la classe, je dois donc gérer les ateliers seule avec mon atsem, et garder une attention constante sur cet élève. L’humaine donc me demande si je me suis formée pour accueillir ce type d’élève. Oui, bien sûr que je suis formée, j’accueille ce type de profil depuis des années et je sais adapter mon travail afin que tous nous souffrions le moins possible. Des rituels stables, le moins de bruit possible, des réactions bienveillantes en toutes circonstances, etc, etc. Je sais faire. Mais je m’interroge. Est-ce moi la propre responsable de cette situation finalement ? Bien sûr que non mais un doute s’installe, et c’est la raison de ma colère.
Le mépris
Le mépris n’est pas loin. Celui de l’humaine venue me voir. L’enfant crache, il est certainement enrhumé et la gorge prise. Il mord aussi, peut-être a-t-il mal aux dents qui sait ? Mais mon bras a un bleu depuis hier. Et puis je ne dois pas m’inquiéter car au milieu de tout cela mes élèves m’écoutent et suivent la séance. C’est positif. Qu’est-ce qui est positif dites-moi ? Que cet élève souffre au milieu d’un groupe dont il ne comprend pas les interactions ? Que mes élèves souffrent de ne pas pouvoir apprendre correctement car leur maîtresse est clairement occupée à autre chose qu’aux apprentissages ? Que je souffre de me sentir une mauvaise enseignante car occupée à mille autres choses que faire mon métier ? Que je souffre de me sentir jugée dans la pratique de mon métier ? Que je souffre de m’entendre dire « n’oublie pas de faire des retours positifs à cet élève, c’est important ! »
Le mépris est là, celui de mon institution. Nous accueillons des enfants qui souffrent de traumatismes divers violents, des enfants en situation de handicap, et tous les autres. Tous méritent une attention particulière et un enseignement digne, à la hauteur des valeurs de la République. Je me bats chaque jour pour cet enseignement mais je souffre. Nous souffrons toutes et tous. La réponse de mon administration fut méprisante et absolument pas à la hauteur de mes attentes. Entendons-nous bien, elles sont modestes mes attentes car je connais la situation et les rouages de diverses administrations qui vont peut-être finalement aboutir à une aide humaine en classe. Mais l’écoute, la compréhension des divers acteurs de l’institution ne coûtent rien sinon le courage d’affirmer que l’administration dont ils/elles sont les représentant.es est défaillante et que nous tous, et moi aussi, nous faisons un boulot incroyable malgré les obstacles sur notre chemin. Je ne pense pas être la responsable de la situation de ma classe. Je ne suis pas coupable et pourtant c’est l’impression qui est restée après ma rencontre avec l’humaine de l’institution. Il n’est pas déraisonnable de dire les choses. Nos idéaux sont encore là, notre motivation également, mais face à une institution qui refuse de reconnaître les problèmes, ou même de les écouter, de les faire remonter, l’impasse n’est pas loin.
Je suis une enseignante fatiguée et en colère !
Emmanuelle Boucard Loirat
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