Les problèmes permettent de donner sens aux notions mathématiques et de développer des mécanismes de résolution. 14 chercheur.es ont étudié la résolution de problèmes comme objet et comme outil d’enseignement. Le fruit de ce travail parait dans l’ouvrage La résolution de problèmes en mathématiques : enjeux pour l’enseignement et l’apprentissage dirigé par Sylvie Coppé et Jean-Luc Dorier. Ils répondent aux questions du Café pédagogique.
Quel est le point de départ de cette étude ?
Dans les recherches en didactique des mathématiques, le thème de la résolution de problèmes est largement étudié selon différents points de vue. En effet, apprendre des mathématiques suppose de résoudre des problèmes et les compétences travaillées et construites sont fondamentales pour les futurs citoyen·es : être capable de chercher, d’être persévérant et imaginatif, de raisonner, d’expliquer et de justifier sa démarche, etc. De plus la résolution de problèmes en mathématiques est au cœur des programmes scolaires de différents pay,s et depuis longtemps, même si les pratiques enseignantes sont encore très variées (voir les résultats des items sur les problèmes des études PRAESCO en France).
Dans ce livre, nous avons voulu donner une synthèse avec des points de vue fédérateurs et unifiants de diverses recherches menées sur plusieurs années dans notre équipe de Didactique des Mathématiques à Genève (DiMaGe). Ces recherches s’étalent du début du primaire à la fin du secondaire et s’intéressent tout autant à des cas où on utilise la résolution de problèmes pour enseigner des concepts de mathématiques précis (aspect outil) qu’à des enseignements pour apprendre à résoudre des problèmes (aspect objet). Nous tentons de répondre à diverses questions comme : quelle place et quel rôle les problèmes peuvent avoir dans la classe de mathématiques ? pour quels apprentissages ? quelles difficultés pour évaluer la résolution de problèmes ?
Quel lien entre la recherche et la classe faites-vous ? quelle transposition didactique ?
Nos recherches ont pour l’essentiel une assise expérimentale, soit avec des questionnaires à des enseignant·es ou des élèves, soit avec des observations dans des classes de différents niveaux scolaires, de l’école primaire au secondaire. Certaines portent plus sur le point de vue l’enseignant·e et ses pratiques ou bien celui des élèves en train de résoudre des problèmes. Nous avons également une habitude de travail collaboratif avec des enseignant·es pour élaborer des ressources. On trouvera donc dans le livre, outre des analyses de programmes scolaires, de questionnaires sur la perception des problèmes par les enseignant·es ou les élèves ou encore des analyses épistémologiques sur les problèmes :
- Deux études sur l’aspect outil de la résolution de problèmes. L’une sur la géométrie avec la reconnaissance des formes au début du primaire (projet Proform, Sylvia Coutat et Céline Vendeira), l’autre sur l’étude des fonctions au début du secondaire 2 (projet Profon, Pierre-François Burgermeister, Michel Coray, Marina De Simone et Laurence Merminod)
- Une étude des pratiques évaluatives des enseignant·es dans le cadre d’un cours centré sur la résolution de problèmes en mathématiques proposé au secondaire 1 à Genève (Maud Chanudet)
- Une caractérisation de démarches d’élèves du primaire et du secondaire 1 dans les conditions habituelles de la classe, lorsqu’elles et ils résolvent des problèmes mathématiques pour lesquels on peut faire des essais et des ajustements (Stéphane Favier)
- Une étude de la place de la démarche d’investigation dans le Baccalauréat International et le rôle du dispositif d’évaluation spécifique nommé « Exploration en mathématiques » (Yana Lacek)
Vous distinguez l’activité à résoudre les problèmes, de l’investigation de la résolution elle-même. L’approche est-elle importante plus que les résultats en mathématiques ? la résolution des problèmes est en soi un objet d’enseignement ?
Nous avons été amené·es à distinguer deux contextes selon que les problèmes sont utilisés comme des outils pour apprendre une notion mathématique, pour lui donner du sens et des raisons d’être ou bien comme des objets travaillés pour eux-mêmes. Les problèmes outils sont ceux qui sont proposés dans le cadre de l’enseignement de notions mathématiques identifiées dans les plans d’études, ils visent alors l’apprentissage de ces savoirs mathématiques. Les problèmes objets sont proposés pour que les élèves aient une activité qui se rapproche du travail mathématique des expert·es en favorisant des démarches scientifiques ou l’investigation. Pour nous, il est important que ces deux types d’utilisation des problèmes soient présents dans la classe, à différents moments.
Cette démarche d’investigation ferait une plus large part à la coopération, et à l’expérimentation. Quels outils pour les enseignants proposer afin de la développer ?
Effectivement, dans la classe, proposer des problèmes à résoudre de façon habituelle et fréquente va permettre aux élèves de développer des compétences qui leur seront utiles pour leur vie de citoyen·e dans un monde complexe : savoir chercher, prendre des initiatives, raisonner, argumenter, vérifier, développer un esprit critique, être inventif, être autonome. En plus, cela peut être l’occasion de faire travailler les élèves en groupes pour qu’elles et ils coopèrent et argumentent. Pour l’enseignant·e cela suppose de trouver de bons problèmes à proposer, de laisser du temps aux élèves pour qu’elles et ils puissent chercher mais aussi de pouvoir donner des relances pertinentes pour soutenir le travail des élèves. Une bonne formation est donc nécessaire. A la suite des travaux présentés dans ce livre qui ont fait l’objet d’un soutien financier du Fonds national suisse pour la recherche (FNS) pendant 4 ans, nous avons obtenu un nouveau soutien pour 4 ans du FNS pour mener des recherches collaboratives (enseignant·es/chercheur·es). Nous évoquons cet aspect dans nos conclusions et perspectives.
L’organisation traditionnelle place les problèmes en fin d’apprentissage d’une notion mathématique. Que nous apprennent les autres pays sur cette place des problèmes dans l’apprentissage ?
Cette organisation traditionnelle a été largement remise en cause notamment depuis les années 1970-80 en France. On note ainsi des évolutions notables d’une part sur la nature des problèmes (avec un élargissement conséquent de la palette des problèmes proposés) et sur leur place dans le processus d’enseignement. Actuellement, les ressources proposent aux enseignant·es d’organiser leur progression en choisissant des problèmes pour introduire une notion, puis des problèmes pour appliquer, réinvestir, s’entrainer et enfin des problèmes plus complexes qui nécessitent davantage de recherche ou de mobiliser et d’articuler plusieurs notions ou concepts mathématiques.
C’est la même chose dans les autres pays. Par exemple, aux Etats-Unis, suite aux travaux du mathématicien Pólya, depuis les années 60, s’est développé le courant dit du « problem solving » puis, plus récemment, celui du « problem posing ». Ces travaux ont permis de développer des ressources pour les enseignant·es et de lancer des études sur de nombreux thèmes. On trouve également de nombreuses études sur les problèmes dans les pays est asiatiques, notamment en lien avec les « lessons studies ».
En Europe, les premiers résultats des grandes enquêtes internationales de type PISA ont soulevé de nombreuses questions sur l’enseignement dispensé dans les différents pays. Le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Rocard et al., 2007) qui pointait une certaine désaffection pour les sciences, due notamment à un enseignement trop « descendant », ainsi que la trop faible place des filles dans les sciences a été le point de départ d’un grand plan de financement d’initiatives (notamment plusieurs projets européens de recherche) au sein de la communauté européenne pour travailler sur la résolution de problèmes dans le cadre de l’enseignement des mathématiques. Ce rapport a notamment mis l’accent sur les démarches d’investigation IBSL (Inquiry Based Sciences Learning), inspirés de Dewey qui élargissent la perspective de la résolution de problèmes en mettant fortement en avant l’investigation notamment grâce aux outils technologiques qui permettent aux élèves de rechercher des informations qui ne sont pas données mais qu’il faut aller chercher et organiser avant de les traiter.
Les travaux s’inscrivent sur une étude de pratiques genevoises. Quelle lecture pour la France, cela change-t-il l’analyse ?
Non, les différences entre la France et Genève ou la Suisse romande se situent vraiment à la marge car les programmes d’enseignement ne sont pas si différents et les pratiques enseignantes également. On peut tout à fait adapter ce qui est dit au cas français. Ce serait sûrement plus différent avec la Suisse alémanique.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
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