« Convenons que l’arrivée de François Bayrou à la tête du prochain gouvernement n’a pas forcément de quoi rassurer » écrit Yannick Trigance. Dans cette tribune, il revient sur l’instabilité ministérielle, le démantèlement de l’école publique, le « virage libéral [qui ]est à l’opposé d’une école de tous pour tous » des quinquennats du président Emmanuel Macron.
« L’émancipation individuelle et collective ne constituent plus le socle d’une politique éducative »
Sept années de présidence macroniste et déjà six ministres de l’Éducation nationale : Jean-Michel Blanquer pendant tout le premier quinquennat, Pap Ndiaye, Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra, Nicole Belloubet, Anne Genetet et peut-être un.e septième prochainement suite à l’arrivée de François Bayrou au poste de premier ministre, soit un record absolu de 6 ministres en 2 ans !
Cette instabilité ministérielle impacte durablement le fonctionnement même de notre école au sens où le défilé de ministres s’accompagne d’une succession de réformes toutes menées dans la précipitation, sans concertation et … sans financement.
Le temps du politique n’est pas le temps de l’école : si les ministres persistent dans leur obsession qui consiste à donner coûte que coûte leur nom à une réforme, l’école quant à elle, ses enseignants et les élèves ont besoin de temps pour mettre en œuvre, pour s’approprier et, au final, pour vérifier si une réforme porte ses fruits en matière de démocratisation de la réussite, si tant est que cet objectif soit bien celui de nos gouvernants et de leurs réformes. Or, depuis 2017 la réalité est tout autre : le droit à la réussite des élèves, la réduction des inégalités, l’émancipation individuelle et collective ne constituent plus le socle d’une politique éducative que la République devrait pourtant ériger en priorité absolue pour tous ses enfants.
Les intermittents de la rue de Grenelle
Et si l’instabilité ministérielle renvoie l’image d’une école déconsidérée et désarticulée, pour autant le fil conducteur de cette politique éducative depuis 2017 est sans équivoque : il s’agit bel et bien de démanteler l’enseignement public en introduisant à marche forcée une politique ultra-libérale fondée sur l’entre soi, la compétition et la mise en concurrence entre les établissements, entre les collègues et entre les élèves.
Mené tambour battant, à coups d’injonctions infantilisantes autant que méprisantes pour les personnels, privilégiant la réussite individuelle sur l’élévation du niveau scolaire de toute la nation, ce virage libéral est à l’opposé d’une école de tous pour tous.
Face à ce casting « d’intermittents de la rue de Grenelle », la communauté éducative se retrouve à ce jour avec des dossiers en suspens et une absence d’arbitrage qui pose question : brevet des collèges 2025, groupes de besoins de la 6ème à la 3ème, acte 2 de la réforme du « choc des savoirs », labellisation des manuels, épreuve de mathématiques pour les lycéens de 1ère générale et technologique et tout récemment programme à l’éducation affective, relationnelle et sexuelle …
« Un entre soi qui aggrave le séparatisme et le tri social »
Plus grave encore, cette succession de ministres et de mesures effectives ou à venir passent totalement et de manière assumée à côté de 3 défis majeurs qui conditionnent le respect de la promesse républicaine du droit à la réussite de tous les élèves.
Le premier de ces défis est celui d’une école profondément inégalitaire qui, en dépit de l’engagement sans faille de nos enseignants, ne parvient pas à réduire l’influence sociale des élèves sur leur réussite : c’est ainsi que 90% des enfants de cadres et d’enseignants obtiennent leur baccalauréat sans problème en 7 ans après la 6ème contre seulement 40% d’enfants d’ouvriers.
La mixité sociale et scolaire -véritable déni des gouvernements successifs et du Président de la République depuis 2017- constitue le second défi de notre temps pour notre système éducatif et au-delà, pour notre société : comment en effet parler d’égalité si des générations de jeunes ne grandissent pas côte à côte sur les mêmes bancs d’une même école, au moins le temps de la scolarité obligatoire ? Comment accepter que 75% des 200 collèges présentant les Indice de Position Sociale –IPS- les plus élevés soient des collèges privés sous contrat quand 98% des collèges présentant les IPS les plus bas sont des collèges publics ? La mixité est la condition même d’une véritable école de la République : elle est aujourd’hui dramatiquement ignorée au plus haut niveau de l’État au bénéfice d’un entre soi qui aggrave le séparatisme et le tri social.
Enfin, troisième défi tout aussi urgent : celui du déclassement de nos enseignants. Déclassés, déconsidérés, livrés par exemple à la vindicte populaire par un ancien Président de la République dont les mensonges n’ont d’égal que son mépris pour l’école publique, nos enseignants sont aujourd’hui injustement et durablement maltraités.
Alors qu’ils sont les moins bien payés – ils ont perdu 15% à 20% de leur pouvoir d’achat entre 2000 et 2020 -, les moins formés tout en ayant les effectifs de classe les plus élevés et faisant le plus d’heures devant élèves – dans le premier degré – comparés aux pays de l’OCDE, nos enseignants voient leurs conditions de travail se dégrader année après année face à des ministres qui inlassablement martèlent le dogme sacré du « faire mieux avec moins ».
Au final, cette succession de ministres et de réformes aux couleurs d’un libéralisme effréné écarte l’enjeu majeur qui consiste à « penser » l’école sur le temps long mais également à « panser » le service public d’éducation sur un temps très court.
Tentative d’abrogation de la loi Falloux en 1994
Et convenons que l’arrivée de François Bayrou à la tête du prochain gouvernement n’a pas forcément de quoi rassurer lorsque l’on se souvient de ses 4 années – de 1993 à 1997 – au ministère de l’éducation nationale et d’un bilan qui restera marqué par une volonté de remise en cause du collège unique – qu’il qualifiait de collège « inique » – et de sa tentative d’abrogation de la loi Falloux pour permettre aux collectivités de financer de manière accrue l’enseignement privé, qui amènera près de 1 million de défenseurs de l’école publique à manifester avec succès le 16 janvier 1994.
Face à une politique éducative d’hyper – fragilisation en terme de moyens, de brutalisation managériale et de caporalisation des personnels, d’hyper-sélection des élèves et de suppression de tout dialogue social éducatif avec les enseignants comme avec les familles dont on verra comment elle évolue avec François Bayrou, il nous faut continuer sans relâche à proposer et à promouvoir pour notre jeunesse un tout autre modèle d’école.
Celui d’une école de la République juste pour tous, exigeante pour chacun, capable de détecter très tôt les fragilités scolaires, une école qui fasse « grandir » ses élèves en plaçant au cœur des enseignements cette dimension civique du lien social, une école porteuse d’émancipation, d’altérité et du vivre-ensemble futur.
Une école qui ne laisse personne au bord du chemin, une école qui respecte et valorise ses enseignants, pierres angulaires de notre projet de société.
Nous ne renonçons pas.
Yannick Trigance
Conseiller régional Ile-de-France