A l’occasion de la nomination de François Bayrou à Matignon, l’historien Claude Lelièvre retrace son « passif du passé à l’Education nationale » entre 1993 et 1997. Sa ligne est proche de celle de l’Elysée depuis 2017 : favorable au privé, à l’orientation précoce, défavorable au collège unique. « Voilà, voilà » conclut-il…
Il n’est pas appelé d’abord pour cela, Dieu merci ! Mais pour ce qui concerne l’Ecole, il s’est de longue date situé sur une ligne proche de celle qui a dominé ces dernières années. Fin du collège unique, à l’instar de son aphorisme « collège unique, collège inique ! » Prédilection pour le privé, en phase avec sa tentative d’abolition de la loi Falloux (amputée). Focalisation sur les « fondamentaux » allant dans le sens de sa « lutte primordiale contre l’illettrisme » (manquée).
François Bayrou a été « ministre de l’Éducation nationale » du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 (François Fillon étant dans le même temps « ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche »). Puis il a été « ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche » du 18 mai 1995 au 2 juin 1997.
« Collège unique, collège inique »
Cela a été l’aphorisme le plus marquant, de François Bayrou, dès la rentrée scolaire 1993, donnant lieu à une réplique cinglante de la part de René Haby : « Par un jeu de mots inacceptable, François Bayrou qualifie le collège ‘’unique’’ de collège ‘’inique’’ […]. Le fait nouveau de proposer à tous les jeunes Français de suivre ensemble un ‘’ tronc commun ‘’ de formation, prolongeant et élevant celle de l’école primaire marquait l’action gouvernementale de l’époque au même titre que la législation sur l’interruption volontaire de grossesse ou l’attribution du droit de vote à dix-huit ans […]. Comment ! Voici une nation évoluée qui, depuis vingt ans, vivrait dans l’erreur la plus complète concernant la conception d’un des étages essentiels de son organisation scolaire. Professeurs et dirigeants auraient été, durant cette longue période, les instruments de l’ ‘’ iniquité ‘’ ![…]. Aucun juge n’a le droit de brandir l’accusation d’ ‘’ iniquité ‘’ à propos d’un tel sujet » ( « Le Monde » du 21 octobre 1993)
Le nouveau ministre de l’Éducation nationale François Bayrou adopte alors un nouveau slogan : « passer du collège pour tous au collège pour chacun »…
Un ex-professeur de lettres classiques nostalgique
L’agrégé de lettres classiques François Bayrou devenu ministre de l’Éducation nationale décide qu’à partir de la rentrée 1996, les élèves pourront choisir une option latin dès leur entrée en cinquième, et non plus seulement à partir de la quatrième.
André Legrand, un ancien directeur du ministère de l’Education nationale (sous Lionel Jospin puis François Bayrou), commente : « Depuis trente ans, le système éducatif multiplie les efforts pour retarder les échéances de l’orientation. Trois mois auront suffi à François Bayrou pour effacer ces trente ans. La sixième devient le cycle d’observation, et c’est donc la fin de la sixième et non plus de la cinquième ou de la troisième qui constitue désormais le palier d’orientation essentiel : c’est une régression en deçà de la réforme gaullienne du collège d’enseignement général de 1963, et un retour à la case du début des années 60 » (« Le système E », Dunod, 1994).
Sa tentative d’abroger la loi Falloux pour permettre un financement plus élevé du privé
L’Unapel (organisation de parents d’élèves du privé) avait obtenu des deux principaux partis de droite et du centre (le RPR et l’UDF) l’inscription dans leurs programmes électoraux de voter l’ abrogation. Après leur victoire, le nouveau ministre de l’Education nationale François Bayrou s’empresse de préparer un projet de loi soumis à l’Assemblée nationale dès la première session de printemps 1993 puis au Sénat fin décembre. Le parti socialiste décide de soumettre immédiatement la loi votée au Conseil constitutionnel qui rend son arrêté le 16 janvier 1994. Cet arrêté précise que la liberté de l’enseignement et l’aide à l’enseignement privé sont constitutionnelles, mais que cette dernière ne saurait aboutir à engendrer des inégalités. Or l’article 2 de la loi, qui autorise les collectivités territoriales à financer ce qu’elles veulent, n’offre pas les garanties d’égalité voulues, et n’est donc pas constitutionnel. Par ailleurs, la manifestation organisée contre cette loi par le Comité national d’action laïque a un très grand succès : six cent mille personnes défilent le 16 janvier dans la capitale. C’est le dernier épisode de haute intensité de guerre scolaire. La loi est finalement promulguée, mais amputée de son article 2.
Sa « lutte primordiale contre l’illettrisme », manquée.
Après avoir été pendant plus de six ans (de 1987 à 1993) à la tête du « Groupe de lutte contre l’illettrisme ». François Bayrou devenu ministre de l’Education nationale annonce immédiatement une grande politique de réduction de l’illettrisme : « Il faut engager une politique ambitieuse pour réduire de moitié en cinq ans le nombre d’enfants – 30% actuellement- qui ne savent pas comment lire et comprendre un texte simple » (« Le Monde » du 3 mai 1993).
Mais quatre ans plus tard, à la journaliste du « Monde » qui lui demande le 8 mars 1997 : « Qu’est-il advenu de votre objectif de diminuer de moitié en cinq ans le pourcentage d’élèves qui entrent en sixième sans savoir lire ? », François Bayrou qui est toujours ministre de l’Education nationale est amené à répondre en adoptant un profil très bas : « J’espère que les changements intervenus dans les programmes et dans l’organisation de l’école ont un peu amélioré les choses. Je n’ai pas réussi à faire naître le grand débat qui est le préalable à tout progrès ».
Voilà, voilà.
Claude Lelièvre