Par François Jarraud
Réunis à l’appel du Snes, des stagiaires franciliens ont témoigné d’une charge de travail d’autant plus insupportable qu’ils cumulent un temps complet d’enseignant avec des journées de formation inutiles car ils sont trop épuisés pour en profiter. Le Snes demande une entrée progressive dans le métier et la mise en place d’un système de pré recrutement pour faire face à la pénurie de candidats.
Natacha, Nicolas, Agnès, Agathe, Léa, Julie, Jean, Adrien, et même… Luc. Tous sont enseignants stagiaires, parfois pour la seconde fois. Le Snes les a réunis le 5 octobre pour qu’ils témoignent de leurs difficultés. Le message est unanime : « on est dans une situation pas normale ».
Premier choc. Ce qu’ on déjà appris les stagiaires c’est la méfiance envers l’institution. Ces stagiaires vous ne les verrez pas et les prénoms cités ci-dessus sont inventés. Ils craignent les représailles puisque l’avis de l’inspection est essentiel pour leur titularisation. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle ils ont peu de considération pour l’institution. Leur premier contact, que ce soit à Créteil, Versailles ou Paris, se fait avec des inspecteurs sympathiques mais tenus à la langue de bois officielle ou des personnages arrogants. « Vous allez souffrir, vous devez vous y habituer » leur lâche l’un. « Vous allez travailler la nuit. Ce sera de bons souvenirs » dit un autre. L’institution est déjà décrédibilisée et pas seulement parce qu’elle a imaginé une entrée dans le métier aussi pitoyable. Les stagiaires ne supportent plus qu’on essaye en permanence de les culpabiliser. Qu’on leur envoie l’image de l’enseignant « inné » ayant le « feu sacré ».
Mais le gros problème c’est la masse de travail. « Je fais 65 heures par semaine pour 1600 euros par mois » nous confie Jean, professeur d’histoire-géographie dans un lycée du 93. Etre stagiaire c’est faire un temps complet dès le début de l’ année (les certifiés stagiaires qui dans certaines académies sont déchargé de deux heures se sont vus gratifiés de deux heures supplémentaires…) avec ce que cela implique comme préparations quand on débute et comme copies. S’y ajoutent les journées de formation (qui sont en plus du temps de travail). « On a des problèmes de cerveau disponible » nous dit Agathe qui « ne rêve la nuit ». « Cela devient un problème pour nos élèves car on est fatigués et encore moins efficaces », ajoute Léa. Il faut dire que les stagiaires ne sont pas épargnés par les rectorats. Plusieurs d’entre eux enseignent en zone d’éducation prioritaire (Eclair). D’autres, comme Agathe, des classes d’examen, ce qui n’aurait pas du être le cas. Ils ont de l’accompagnement personnalisé (souvent en classe entière !). Ils connaissent des camarades bombardés professeurs principaux, ce qui alourdit encore le temps de travail.
« On enchaîne les mauvais cours« . La demande de formation est bien là. « Je sais parler l’anglais très bien. Mais je ne sais pas l’enseigner. On ne me l’a pas appris », dit Agnès, stagiaire dans un lycée de l’académie de Versailles. Les stagiaires sont déçus des 5 journées de formation qui ont eu lieu avant la rentrée. Trois journées ont été utilisées en discours officiels et renseignements administratifs. Il est resté une journée sur l’enseignement de la discipline, ce qui est jugé insuffisant, et une journée de « tenue de classe ». Tout en reconnaissant qu’ils ont appris quelques trucs, les stagiaires sont assez ironiques sur cette formation. « C’était surtout des conseils superflus », dit Jean, professeur d’histoire-géographie dans l’académie de Paris, « du style regarder les élèves dans les yeux ».
Quel avenir comme enseignant ? Natacha, qui est cette année professeur titulaire, se demande ce que peut produire une telle formation. « On est le nez dans le guidon en permanence. On a une conception limitée du métier ». Ils n’ont pas de formation didactique et craignent de n’en avoir jamais.
Cet aspect là a aussi été mis en avant par les responsables du Snes. Alain Billate, secrétaire académique à Bordeaux, craint l’avenir. « On a affaire dans l’administration à des gens qui nient la nécessité d’une formation. On forme des professeurs qui jamais ne liront de livre de pédagogie. C’est dramatique ». Emmanuel Mercier, secrétaire national en charge de la formation, critique vertement la nouvelle formation en alternance sensée résoudre la question didactique. »On envoie les étudiants en classe. Mais ce n’est pas de la formation. Il n’y a pas d’analyse et de réflexion sur la pratique. On généralise l’idée que l’apprentissage est un mode de recrutement » pour l’enseignement. Frédérique Rolet, secrétaire générale, a montré les conséquences pour le système de la situation actuelle : la baisse du recrutement. Aux concours 2011 il y avait 119 candidats présentas en lettres classiques pour 185 postes, en maths 1319 pour 950 postes, en éducation musicale 134 pour 120. Elle a soutenu les revendications du Snes : une entrée progressive dans le métier, appuyée par un prérecrutement sur le modèle des anciens IPES. Le Snes appelle les stagiaires à participer à une enquête d’opinion.
François Jarraud
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