Au Japon, à Fukushima, une cabine téléphonique reliée avec « l’au-delà » permet aux vivants de parler à leurs défunts. A Lesneven, dans le Finistère, une semblable « cabine du vent » a été installée dans le CDI du lycée : des élèves ont produit les messages qu’aurait reçus sur son répondeur, après sa mort, le héros d’une pièce au programme de Jean-Luc Lagarce. Tous les élèves peuvent librement s’installer dans cette cabine pour écouter ces enregistrements grâce aux tablettes et QR Codes. Comment amener les élèves à habiter les œuvres, à faire exister les personnages, à formuler ce qu’ils n’arrivent pas à exprimer ? Comment faire du CDI un lieu vivant de lecture et de partage ? Eclairages de Marie Henry et Virginie Lissillour, professeures de lettres, et d’Elizabeth Ollivier, professeure-documentaliste.
Vous avez amené les élèves à produire des messages sur le smartphone de Louis après son décès, c’est à dire à la fin de la pièce de Lagarce, héros de la pièce de Jean-Luc Lagarce : en quoi un tel projet vous semble-t-il s’ajuster particulièrement bien à la pièce ?
La question de la parole est au cœur de la pièce de Jean-Luc Lagarce : aussi nous a-t-il semblé important que les élèves s’approprient cette question. Dans la pièce de Lagarce, le langage est en crise, les non-dits et les silences sont omniprésents. Les personnages peinent à communiquer. L’activité proposée permet aux élèves de s’interroger sur la place de ces non-dits, de se les approprier et de permettre aux personnages, une fois la mort de Louis annoncée, de libérer cette parole, de dénouer ou non leurs voix.
Il s’agit donc d’un travail d’appropriation de l’œuvre de Lagarce mais également un prolongement de la lecture et de l’étude de l’œuvre. En effet, libre à chacun des élèves de dire ou non ce qui a été tu, retenu ou mal exprimé par chacun des personnages.
Quelles ont été les consignes, étapes et modalités de travail ?
Les élèves collaborent par groupe de 4 ou 5, ils rédigent pour chacun des personnages de la pièce des messages laissés sur le smartphone de Louis à son décès. Puis, ils les enregistrent vocalement. Chaque groupe prend en charge l’étude d’un personnage du clan familial : Suzanne, Antoine, Catherine, la mère. Ils écrivent plusieurs messages de manière à ce que le personnage puisse exprimer différents sentiments (rancœurs, reproches, admiration, déclaration d’amour, envie de réconciliation, une anecdote, souvenirs à conserver…). Enfin, ils les mettent en voix en veillant à en faire un véritable exercice d’expression orale.
D’autres activités créatives ont été menées autour de la pièce de Lagarce : pouvez-vous nous les présenter ?
Effectivement il s’agit de réaliser un portrait du personnage de Louis, un personnage en crise sous forme de sketchnotes, planche de BD, vidéo, collages, citations, monologue à la première personne, courrier adressé à Jean-Luc Lagarce. L’objectif de ce travail est de procéder à un écrit intermédiaire afin de saisir la complexité de la personnalité de Louis qui offre une identité fragmentée. Certaines créations d’élèves nous ont montré à quel point cette identité parcellaire du personnage a été saisie.
En quoi toutes ces créations vous semblent-elles susceptibles de favoriser l’appropriation de l’œuvre ?
Ces créations facilitent le dialogue des élèves avec l’œuvre. Ils sont amenés à réfléchir par des voies différentes à ce qu’elle dit, raconte, touche en nous. La création littéraire permet aux élèves leur expression personnelle, elle leur offre la possibilité d’exprimer un ressenti, des émotions, de faire passer un message. Elle est à la fois un prolongement de la lecture mais également le terreau d’une connaissance plus fine de l’œuvre. Elle devient le lieu de rencontre entre soi et l’œuvre.
Une cabine téléphonique vintage a même été installée au CDI : pouvez-vous en expliquer le fonctionnement et l’intérêt particulier ?
La genèse de cette cabine téléphonique vintage vient d’une autre cabine, réelle cette fois, « La cabine du vent ». En effet, au Japon, à Fukushima, existe une cabine reliée avec « l’au-delà » et qui permet aux vivants de parler à leurs défunts. Cette cabine matérialise ces voix adressées à l’au-delà.
Il s’agit donc pour nous avec « la cabine vintage » de mettre en scène le projet, de valoriser le travail des élèves, de le rendre visible, de matérialiser les voix des personnages de la pièce et leurs rencontres avec nos élèves. De plus, lorsque les élèves travaillent et s’investissent, il nous semble important de valoriser ce travail, de lui donner sens en créant la possibilité d’un échange avec d’autres élèves, d’autres professeurs qui ont pu écouter les messages laissés dans la cabine. Enfin, de permettre aux travaux de sortir de la salle de cours !
Quel vous semble l’intérêt de faire ainsi du CDI un lieu d’exposition de la créativité et de l’engagement des élèves ?
Le CDI est un des lieux de la lecture, de la recherche et du travail collaboratif pour nous enseignants et nos élèves. Il nous semblait tout naturel de l’investir par ce travail. Le CDI, lieu de ressources, fait la part belle aux travaux des élèves qui parlent d’un livre, de personnages, les rendent vivants, attirants. Cela permet ainsi de donner une visibilité, aux productions tant du côté des élèves que des professeurs. Cette cabine particulièrement a piqué la curiosité et à suscité des échanges nourris autour de la pièce et des travaux réalisés par les élèves.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La fiche de consignes
Un message de Suzanne
Un message d’Antoine
Un message de Catherine
Un message de la mère
« La cabine du vent » au Japon
Un projet i-voix sur la pièce de Jean-Luc Lagarce dans Le Café pédagogique