En quoi la formation des enseignants sur les sciences cognitives légitime-t-elle leur expertise ? « Toutes les connaissances fondamentales font l’expertise de l’enseignant. C’est ce que les enseignants savent et les parents ne savent pas », soulève Fabien Emprin, professeur des Universités en didactique des mathématiques. Quelle place réserver au comptage sur les doigts, à l’intuition ou encore aux comptines des nombres ? Retour sur la dernière conférence des Terrains Innovants qui a traité des mathématiques au cours d’une table ronde en ligne très suivie.
« Les sciences cognitives apportent du recul aux enseignants »
« Il s’agit de voir comment la recherche se traduit concrètement dans les salles de classe », introduit Djéhanne Gani, rédactrice en chef du Café pédagogique. Cette table ronde explore l’importance et l’intérêt d’établir un dialogue collaboratif entre la recherche en sciences cognitives et plus précisément la recherche en cognition numérique, et l’enseignement des mathématiques. « Les apports des sciences cognitifs se situent à 3 niveaux ». Hippolyte Gros, maître de conférences en psychologie à Aix-Marseille Université cite les effets des fonctions transversales comme la mémoire, l’inhibition et les comportements mais aussi la méthodologie expérimentale. « On va tester l’efficacité des méthodes dans les salles de classe. On travaille aussi sur l’identification des processus de pensée spécifiquement à l’œuvre dans l’apprentissage des mathématiques comme l’intuition ou l’étude des représentations mentales ». Le chercheur cite aussi l’importance des différentes formes de quantifications et aussi de l’interférence des connaissances générales sur le monde et la pensée mathématiques. Il évoque aussi les travaux de Catherine Thevenot sur le comptage sur les doigts. « Pendant longtemps, on a pensé qu’il fallait pousser les élèves à ne pas utiliser les doigts pour compter. Ses travaux montrent que compter sur les doigts est un réel support d’apprentissage par les élèves en difficultés. Ses études débouchent sur des recommandations pédagogiques ».
Pierre Florek, professeur de mathématiques au collège Pierre de Ronsard de Poitiers, complète avec un exemple sur la division et le travail sur l’énoncé. « Cela fait 23 ans que j’enseigne, au début je ne me posais pas toutes les questions sur les arbitrages des élèves et leur sens critique ». L’enseignant apprécie « le recul proposé par les sciences cognitives ».
Ne pas aller trop vite entre le labo et la classe
« La didactique est une science qui se nourrit des autres sciences de façon naturelle » souligne Fabien Emprin, professeur des Universités en didactique des mathématiques à l’université de Reims Champagne Ardenne. « Cela permet de mettre en musique dans les classes avec beaucoup de vigilance ». Le professeur demande du temps pour comprendre « les résultats d’une recherche dans la pratique pédagogique ». Fabien Emprin prend exemple du lien supposé entre la capacité attentionnelle et la pratique des jeux vidéo. « Les travaux qui s’appliquent en laboratoire ne s’appliquent pas directement en classe », note Hippolyte Gros qui plaide pour une approche transversale. Valeria Giardino, philosophe et chargée de recherche à l’institut Jean Nicod, demande « un espace de dialogue plus clair entre les communautés. Les enseignants ont besoin de faire référence à la recherche ».
Quels sont les freins au lien enseignants-chercheurs ?
« Toutes ces connaissances fondamentales font l’expertise de l’enseignant. C’est ce que les enseignants savent et les parents ne savent pas », indique Fabien Emprin qui prend exemple de la comptine numérique. « L’enseignant a pleine conscience de tout ce qui est sous-jacent ». Il évoque les collections, les gestes et la relation avec le corps. « Ce dialogue légitime l’expertise de l’enseignant ». Pour lui, l’effet silo du monde de la recherche et la méthodologie randomisée de l’approche peuvent freiner les enseignants. « Les didacticiens sont habitués à une approche clinique. Ces dernières peuvent être moins bien vues car moins prouvantes ».
L’enseignant Pierre Florek souligne le manque de temps des enseignants pour se pencher sur toutes les recherches. « Les temps de formation sont désormais hors temps scolaire, cela va être encore plus difficile pour les collègues de s’investir et se former. Et pourtant, nous avons de plus en plus d’élèves avec des difficultés particulières ». Pierre Florek évoque « un concept de classe flexible » avec différents pôles d’élèves qui travaillent par thématiques. « Mes objectifs évoluent aussi depuis que j’enseigne. L’autoévaluation, la motivation des élèves et l’estime de soi sont des facteurs importants ».
En conclusion, Hippolyte Gros souligne l’importance des représentations mentales des élèves quand ils font des résolutions de problèmes. Toutefois, « il faut emmener les élèves à une conception plus abstraite avec des énoncés pas toujours intuitifs ». Pour prolonger les réflexions, Fabien Emprin guide les enseignants vers la revue des IREM mais aussi les associations professionnelles que sont l’APMEP et l’AGEEM.
Julien Cabioch
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